Entretien avec Geoffroy de la Tousche, Curé de Rouen
Vous êtes un homme d’Église engagé dans votre territoire. Pourriez-vous nous dire comment ces engagements se traduisent quotidiennement ?
Les hyper-centres des métropoles de la France concentrent un exceptionnel patrimoine. Les églises de Rouen sont des trésors. L’accès gratuit de ces édifices à tous est un incroyable tremplin de rencontres gratuites, dans un monde où tout est payant ! Ici l’esprit est ouvert et il s’ouvre à plus grand, plus beau, plus digne. Organiser des expositions sur Jeanne d’Arc, Giotto, Rupnik, ne plus allumer les spots pour favoriser des messes à la bougie, sont des investissements à destination du plus grand nombre.
La crise sanitaire a révélé la terrible angoisse que l’être humain éprouve face à la mort, face à la maladie, face à la vulnérabilité, comme si nous avions oublié qu’elles font partie de la vie. Pourrions-nous l’interpréter comme une crise de la spiritualité ?
Vous avez raison : le Concile Vatican II a prophétiquement lié le sujet de la vie et de la mort à l’athéisme. Après les 30 Glorieuses et l’effondrement du communisme, voici l’ultra-libéralisme qui créé de nouvelles angoisses liées à la notion de manque, de vide intersidéral et d’individualisme ultra-connecté au rien de l’écran plat. Or l’esprit de l’homme est fait pour des horizons, des sommets, des défis, pour le tout-autre, l’Autre, Dieu. Quand le politique impose la mort comme repère sociétal, il enterre l’esprit de l’homme sans espérance. La spiritualité, c’est vivre dans la dépendance de l’Autre, du Vivant, dans la reconnaissance humble que « tu es poussière et que tu redeviendras poussière ».
Comment définiriez-vous votre rôle dans la Cité ?
Décalé, sans intérêt. Décalé parce que croire en l’homme et continuer de toujours y croire car Dieu s’est fait homme, cela ne correspond pas aux critères de la société. Mais la société française aime se faire décaler par quelques décalés, pour réfléchir autrement que dans le rush du quotidien qui oblige à la rentabilité, à l’efficacité plus qu’à la fécondité. Sans intérêt, parce que le prêtre est gratuit. En France, tous les prêtres sont titulaires de diplômes de plutôt très haute qualité et leur salaire est inférieur à 1000€/mois, sans aucune progression financière. Ils offrent gratuitement leur personnalité à la Cité pour la faire avancer sur l’âpre chemin de l’humanité qui cherche toujours le sens de sa vie et de sa destinée.
Depuis les années 50, la mutation urbaine de nos sociétés a entraîné des changements culturels. Dans cette évolution, comment inventer un nouveau rapport entre la Révélation chrétienne et la civilisation urbaine contemporaine ?
Les mutations sont énormes ! J’ai comme l’impression que la France des métropoles a voulu copier Manhattan pendant plus de 50 ans et qu’une nouvelle politique veut maintenant horizontaliser les espaces : permettre à l’homme contemporain de déambuler dans des villes qui respirent. C’est plutôt intéressant de sortir de la Tour de Babel pour retrouver le Jardin d’Eden ! La Révélation chrétienne entend Dieu qui invite Abraham à quitter son pays. C’est une invitation à ne pas figer nos constructions dans l’orgueil d’un « avant nous c’était nul » et « après nous, on s’en fiche ». L’Eglise travaille tout cela avec des artistes, des architectes, des penseurs. Après la Seconde Guerre Mondiale, près de 4000 églises détruites ont été restaurées et rendues au culte. Les débats de l’époque ont été violents… on les retrouve autour de Notre-Dame de Paris et je les trouve étriqués, sans grande perspective. J’ai peur qu’on ait perdu une occasion dans ce drame de faire avancer l’histoire.
En décembre dernier, le pape a effectué un voyage au camp de réfugiés de Mavrovouni pour y plaider en faveur d’un meilleur accueil de ces populations. Ce cri du pape contre l’indifférence s’inscrit-il dans la doctrine de l’Eglise face à l’évolution du phénomène migratoire ?
Nous nous sommes répandus dans l’opulence. La grasse Europe a pensé que cela suffirait de distribuer des bols de riz les vendredis de carême à une jeune population pleine de désirs. Maintenant l’Europe vieillit. Elle ne veut absolument pas changer son mode de vie. Mais elle n’a pas d’enfant pour la servir. Ces migrations sont une crise de riches individualistes qui insultent le pape lui-même fils de migrant. La Méditerranée et la Manche sont des cimetières de jeunes qui fuient la misère. J’aimerais tant vous présenter Muhannad, Emerance, Mariama et Hani pour ouvrir nos cœurs à leur histoire ! Oui l’Eglise est et sera toujours aux côtés d’eux. Ce n’est pas de la doctrine, c’est du cœur. Qu’on arrête de nous dire qu’ils vont remplacer la civilisation européenne chrétienne ! Quand nous leur ouvrons nos portes, nos humanités sont transformées pour toujours. Et notre civilisation se renouvelle jusque dans ses racines. Quelle joie !
LaudatoSi, - l’encyclique du pape sur la préservation de la nature -, peut-il jouer un rôle dans la prise de conscience écologique ?
C’est le premier document d’un pape sur le sujet. On aurait aimé que chaque chef d’Etat ayant participé à la Cop21 à Paris écrive lui aussi un document aussi complet ! Je suis fier de voir comment les chrétiens de France se sont emparés de ce sujet : il oriente sans cesse nos décisions, depuis l’apéro à la sortie de la messe avec du recyclable jusqu’aux budgets de photocopieurs. Plus profondément encore, LaudatoSi nous fait travailler sur le respect de l’homme, de sa conception naturelle à sa mort naturelle. Vous parliez du rapport à la vie et à la mort : une fois encore ici, l’homme est-il un loup pour l’homme ou un frère ? Le Pape François éclaire la conscience écologique du 21e siècle par l’exclamation incroyable de François d’Assise, son maître, il y a 800 ans : « Loué sois-tu mon Seigneur, pour notre sœur la terre ».
Votre dernier ouvrage s’intitule « France, renouvelle ton alliance » et fait, par l’intermédiaire de la figure de Jeanne d’Arc, un pont entre l’Eglise et la République française ; comment repenser aujourd’hui la vocation universelle de la France pour le bien commun ?
Ce livre est un « fruit » du confinement : après avoir célébré les messes sur YouTube CathoRouen pendant plusieurs semaines au moment de la commémoration du double centenaire de la canonisation et de la création de la fête patriotique de Jeanne d’Arc, nous avons retranscrit les conférences et homélies de cette période. Jeanne délivre un pouvoir politique embourbé dans une mondanité qui ne sert plus le peuple. Jeanne va rappeler au Dauphin, aux Bourguignons, aux Armagnacs et même aux Bretons que la France n’est pas un pays de recroquevillement pessimiste et orgueilleux mais une nation d’ouverture et de service humble. Même trahie puis scandaleusement condamnée, Jeanne mourra en embrassant la croix du Christ, dans la fidélité à sa vocation. J’ose croire que ce livre permet de réfléchir à qui nous sommes : en opposition toujours, c’est possible, mais avec la volonté de construire. C’est ce que j’ai dit au Ministre de l’Intérieur dans l’église de Saint-Etienne de Rouvray, 5 ans jour pour jour après l’assassinat du Père Jacques Hamel. La France de 1920 l’a compris. Et si pour sortir de cette « guerre » contre la pandémie, Jeanne nous était à nouveau donnée comme témoin de l’espérance et de l’engagement ?
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