Entretien avec Annabelle Jaeger-Seydoux, directrice de la Mission pour la Transition Énergétique du Gouvernement Princier de Monaco
La Mission pour la Transition Energétique, que vous dirigez, a été fondée en 2016. Quelle est sa vocation ?
La Principauté de Monaco s’est engagée à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 55% à l’horizon 2030 par rapport à 1990 et atteindre la neutralité carbone en 2050. Pour accompagner cette démarche ambitieuse, S.A.S le Prince Souverain a décidé la création de la Mission pour la Transition Énergétique en 2016. La Mission se veut donc un facilitateur et un accélérateur de la transition : son rôle est d’agir avec l’ensemble des acteurs publics et privés de la Principauté comme partenaire technique, financier, ou relais de leurs actions, afin de nourrir et amplifier la dynamique.
La Mission gère ainsi le Fonds Vert National pour mener des projets concrets, d’envergure, à la hauteur des objectifs fixés.
Peu après la création de la Mission, naissent le Livre Blanc de la Transition Énergétique et le Pacte National pour la Transition Énergétique. Que sont ces deux initiatives et que traduisent-elles de l’esprit des politiques publiques environnementales monégasques ?
Le Livre Blanc de la Transition Énergétique a été la première étape de la mobilisation de la communauté monégasque. Cette démarche visait à l’associer étroitement afin de définir avec elle la feuille de route qui nous porte vers 2050. Dès 2016, des ateliers collectifs ont été organisés par secteur d’activité ; les enjeux et pistes d’action identifiés par les participants ont été présentés dans le Livre Blanc de la Transition Énergétique publié en mars 2017.
Le 9 mai dernier, la Mission organisait un séminaire Bilan pour présenter à ces mêmes acteurs les actions réalisées depuis les 5 ans de publication du Livre Blanc. Cette étape comprenait également l’animation d’ateliers visant à recueillir des idées d’actions supplémentaires pour mener Monaco à ses objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre pour 2030 et 2050.
La réalisation du Livre Blanc a permis de mettre en lumière la grande motivation des acteurs monégasques à agir. Ainsi, conformément au vœu de S.A.S. le Prince Souverain, la Mission pour la Transition Energétique a créé, en janvier 2018, le Pacte National pour la Transition Énergétique pour mobiliser les résidents, travailleurs, étudiants, entreprises, institutions et associations de Monaco. Cette démarche de progrès consiste à permettre à chacun de contribuer, par ses actions concrètes, à la transition énergétique de la Principauté. Au 5 juillet 2022, près de 1.750 particuliers et de 300 entreprises, institutions et associations avaient signé le Pacte National. Ils sont autant de relais et de partenaires de nos politiques publiques.
Monaco ne cesse d’innover aussi bien dans le processus d’élaboration des politiques énergétiques que dans leurs concrétisations technologiques. La Principauté s’érige-t-elle, à son corps défendant ou non, en modèle d’une transition énergétique qui se pense dans son environnement naturel et avec son environnement social ?
L’impulsion donnée par notre Souverain, les capacités financières de Monaco, la proximité des acteurs de notre État-ville sont autant de spécificités et d’atouts réels qui nous permettent de développer une politique en phase avec les attentes et les besoins des acteurs, et de trouver des réponses sur-mesure.
Les contraintes monégasques - au premier rang desquelles notre densité urbaine - nous invitent à sans cesse innover et proposer des solutions adaptées. Prenons l’exemple des boucles thalassothermiques. Certes, il est plus aisé de raccorder un nouveau quartier comme Mareterra (le nouvel éco-quartier construit sur la mer), en l’anticipant dès la conception, mais le projet des deux nouvelles boucles des quartiers de la Condamine et du Larvotto a été pensé pour alimenter des bâtiments existants ! Plus de 70% du réseau évite la voirie et privilégie les galeries souterraines existantes afin de limiter les nuisances de chantier et de rendre le projet possible. Fruit d’un réel savoir-faire monégasque, le déploiement conjugue des expertises publiques et privées. Concrètement, Monaco pourra compter, après la première grande phase de travaux, sur une production locale d'environ 35 GWh d'énergie décarbonée, soit une économie de 6.025 tonnes de CO2, au bénéfice de 3.500 logements.
Le Gouvernement Princier soutient activement des initiatives de réduction d’émission de gaz à effet de serre, notamment dans les domaines de l’hôtellerie de luxe et du yachting. Est-ce le moyen, pour Monaco, de ne pas renoncer à son identité tout en se conformant à l’impératif climatique ? Croyez-vous cela possible ?
L’image de Monaco est bien plus complexe et étonnante que l’on peut se l’imaginer de l’extérieur. Aux côtés du Grand prix, l’ePrix de Monaco (Formule E) prend davantage d’ampleur chaque année. Dans le secteur du yachting, le Monaco Energy Boat Challenge réunit tous les ans des équipes de recherche du monde entier pour décarboner la propulsion des bateaux… Monaco s’appuie sur ses forces et encourage l’innovation, hier pour la voiture électrique et aujourd’hui pour le bateau à hydrogène. Monaco avance ainsi sur le chemin de la transition énergétique.
Sont présents ici la volonté politique, des décideurs et entrepreneurs de tous pays et les financements privés et publics, nécessaires pour faire émerger les solutions.
Quels sont les principaux défis environnementaux à venir en Principauté ?
Sont-ils différents d’ailleurs ? Je ne le crois pas. Dans un urbain dense comme le nôtre en climat méditerranéen, le défi environnemental qui me semble aujourd’hui plus fort encore est celui de faire face aux températures élevées, particulièrement difficiles à vivre à proximité d’ilots de chaleur (des élévations localisées des températures, particulièrement des températures maximales diurnes et nocturnes, enregistrées en milieu urbain). Le besoin de froid pour refroidir nos bâtiments ne cesse d’augmenter et notre pic de consommation d’énergie est constaté l’été, à mi-journée.
Pour faire face à cela, de nouvelles solutions pour aménager la ville et le bâtiment s’imposent : il s’agit de recourir à des solutions fondées sur la nature qui participeront à rafraichir la ville, à des solutions énergétiques vertueuses comme les pompes à chaleur sur eau de mer ou la géothermie, et enfin, de concevoir et rénover nos bâtiments selon les principes du bioclimatisme et de la ventilation naturelle.
Une pensée qui anime votre action ?
Je l’emprunterais à Antoine de Saint-Exupéry : « Pour ce qui est de l'avenir, il ne s'agit pas de le prévoir mais de le rendre possible ».
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