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Je suis résolument universaliste, en accord avec ma culture mathématique

Interview de Cédric Villani, député et mathématicien


Député de l’Essonne, vous présidez l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST). Le 4 mars dernier, vous avez présenté, en pleine crise de la covid, un rapport intitulé « promouvoir et protéger une culture partagée de l’intégrité scientifique ». Ce rapport ne tombe-t-il pas à pic dans un monde scientifique confronté à la défiance ?


— Ce rapport, présenté par le sénateur Pierre Ouzoulias et le député Pierre Henriet, était prévu de longue date, mais il arrive à point nommé. Il a permis plusieurs enrichissements de la Loi de programmation de la recherche, et il tire des enseignements de la crise COVID sur les liens entre science, confiance et politique. L’intégrité scientifique c’est bien plus large que la lutte contre la fraude ou autres scandales scientifiques : c’est la publication à bon escient, l’expertise indépendante, la mise en responsabilité des thésards… Il faudra encore un gros travail pour que nos institutions et pratiques soient au point sur ce sujet, pour lequel le sénateur Claude Huriet avait fait un travail pionnier.


Cette crise semble avoir en effet révélé la défiance d’une majorité de citoyens à l’égard des scientifiques, mais aussi des décideurs politiques qui se sont parfois illustrés par des injonctions contradictoires en France, mais aussi en Europe. Pensez-vous que nos démocraties sortiront fragilisées de cette crise ?


— La démocratie s’étiole à travers le monde depuis des années; la crise lui porte un coup supplémentaire. Nombre de pays que j’ai parcourus dans les années 2000 sont devenus littéralement infréquentables… En outre, la confiance en la science a chuté, au moment, terrible paradoxe, où elle faisait des miracles : vaccins développés en un temps record et bien plus efficaces que prévu. L’Europe s’est réveillée à l’occasion de la campagne de vaccination, mais les polémiques délétères ont vite repris. La solidarité nationale et internationale, l’enseignement supérieur sont dans une situation périlleuse. Il faudra œuvrer ardemment pour le sursaut de démocratie et de confiance dont notre époque a besoin en vue des grands défis en matière d’environnement et de paix.


En temps de crise, et plus particulièrement de crise sanitaire, la gouvernance publique doit s’adapter à la gestion de crise et à la culture du risque. Les pays anglo-saxons semblent plus agiles que nous dans ce domaine. Quel est votre sentiment ?


— Dissipons d’abord une illusion : la Grande-Bretagne et les États-Unis ont eu une gestion erratique de la crise elle-même. D’ailleurs, le très intéressant rapport Harvard-Cornell sur la crise de 2020 les classe dans la catégorie « Chaos » (alors que la France et l’Allemagne sont en « Consensus » et certains pays asiatiques comme la Corée dans la catégorie « Contrôle »). Là où les pays anglo-saxons ont marqué des points, c’est d’une part dans l’ampleur de la réponse économique, surtout aux États-Unis; et d’autre part, dans leur façon de soutenir la recherche vaccinale et de passer des deals avec les laboratoires. Le rapport de l’OPECST sur la stratégie vaccinale recommande que l’Europe se dote d’un outil similaire à la BARDA américaine, qui a démontré son efficacité pour investir massivement dans les innovations médicales, en l’occurrence les vaccins.


Une autre conséquence de cette crise sanitaire est l’accroissement des inégalités, le malaise social et psychologique d’une partie de notre jeunesse, des personnes isolées, de ceux qui ne peuvent exercer leurs emplois ou qui le perdent. Quelles mesures supplémentaires pourriez-vous proposer à ces publics fragilisés psychologiquement et matériellement par cette crise ?


— Le problème psychologique touche toute la population, mais, pour avoir conduit des auditions sur ce thème avec le Comité consultatif Paris-Saclay et pour en avoir discuté abondamment, je pense que c’est peut-être pour les étudiants qu’il est le plus grave et lourd de conséquences. Le second confinement a été bien plus dur pour eux que le premier, ils se sont sentis abandonnés par rapport aux entreprises et même aux classes préparatoires; réduits à une litanie inhumaine de cours à distance et de relations sociales virtuelles, alors même que leurs risques sanitaires propres sont très réduits. Tout en étant globalement partisan d’un affermissement des mesures sanitaires à l’échelle de la société, je plaide pour que l’on revienne en présence sur les campus universitaires, bien plus que maintenant.


Répondre à l’injonction de la convention citoyenne sur l’urgence climatique « ouvrons les yeux et bougeons nous » est l’un de vos combats. Avez-vous le sentiment que les travaux parlementaires qui ont suivi ont été suffisamment ambitieux ?


— À l’heure où j’écris ces lignes, les travaux parlementaires sont encore en cours. Mais malgré les milliers d’amendements déposés, il n’y a guère d’amélioration significative en vue ! J’admire les conclusions de la Convention citoyenne pour le climat : ambitieuses et précises, elles constituent un superbe témoignage d’intelligence collective et d’événement démocratique innovant réussi. Le résultat du débat parlementaire sera beaucoup moins glorieux. Pour notre part, à Écologie Démocratie Solidarité, nous n’avons même pas voix au chapitre : trop peu nombreux pour constituer un groupe parlementaire, nous n’avons quasiment pas de temps de parole. C’est sous cette contrainte que nous avons lancé le Débat Sans Filtre (debatsansfiltre.fr), où nous invitons citoyens, experts, responsables, pour commenter les débats et débattre nous-mêmes. Ce « débat augmenté » c’est un peu le hacking du Parlement, mis à disposition des citoyens.


Vous vous êtes peu exprimé sur les sujets qui fragilisent le pacte républicain, ce rapport du particulier à l’universel, la montée des identités et des communautés. Quel regard portez-vous par exemple sur l’affaire de l’UNEF ou celle de la traductrice hollandaise d’Amanda Gorman ?


— Je suis résolument universaliste, en accord avec ma culture mathématique. Mais cela ne doit pas empêcher de garder le sens de la mesure et l’écoute. En tant que législateur, je suis très perplexe de voir revenir du Sénat le texte sur les « Principes républicains » : un amendement qui y a été adopté est si radicalement universaliste qu’il interdit à un BDE d’organiser une réunion d’élèves étrangers pour parler de leur découverte de la France. Ou à un club catholique d’inviter des croyants à une réunion de discussion autour de leur foi. Il faut quand même garder du bon sens ! En ce qui concerne les réunions polémiques de l’UNEF, de ce que j’en comprends, il s’agit de groupes de parole visant à rassembler, pour les mettre en confiance, des personnes qui ont subi une expérience commune de discrimination par la société : on peut discuter de cette méthode (qui a quand même fait ses preuves dans le combat féministe), demander un changement d’intitulé, mais c’est insensé d’accuser sur cette base l’UNEF de racisme, voire d’apartheid comme on l’a entendu. S’agissant d’Amanda Gorman, j’aurais souhaité que Marieke Lucas Rijneveld ignore la pression et continue le projet de traduction comme prévu. Maintenant si ces débats ont lieu, c’est avant tout parce qu’il existe toujours, dans nos sociétés, des préjugés discriminatoires, basés sur l’origine ou la teinte de peau : on le sait par les témoignages et par les expériences sociologiques, par exemple basées sur des substitutions de patronyme dans les lettres de motivations. C’est là qu’est le combat le plus urgent.


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