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« Les banlieues sont des territoires sous exploités »

Entretien avec Aziz Senni


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Vous développez dans un livre à sortir le 6 novembre prochain intitulé « Made in banlieue » une vision économique et pragmatique de la périphérie urbaine : faire des banlieues françaises un moteur de croissance. Pourquoi menez-vous ce combat ?


N’est-ce pas une absurdité économique de laisser 1 609 territoires constitutifs du premier réservoir de jeunesse, représentant l’un des premiers pôles de main-d’œuvre disponibles, disposant d’une réserve foncière stratégique estimée à environ 300 millions de m², avec 250 000 TPE-PME générant près de 75 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuels, à la marge du système productif ?

N’est-ce pas totalement absurde d’exclure ces territoires émergents de toute réflexion stratégique sur la croissance nationale ?

N’est-ce pas aberrant qu’un entraîneur laisse sur le banc ses meilleurs attaquants alors qu’il joue un match décisif ?

Les banlieues ne sont pas un problème, ce sont des territoires sous-exploités.

Durant des décennies, nous ne les avons regardées qu’à travers le prisme de la sécurité, de l’urbanisme ou de l’action sociale.

Je ne nie en rien les défis sur ces sujets, mais au-delà de ces prismes, j’y vois des territoires d’opportunité : pleins de talents, de mètres carrés, d’énergie et d’envie.

Mon combat, c’est d’en faire des territoires d’opportunité productive.

Pas par la pitié, la stigmatisation ou l’action paternaliste, mais par la dignité de l’économie réelle et du travail pour tous.


Vous êtes un entrepreneur originaire de Mantes-la-Jolie, très engagé depuis plusieurs années pour réconcilier la France avec ses banlieues populaires par l’économie. Vous organisez les 27 et 28 novembre prochain au CESE la 2ᵉ édition du « Davos des banlieues ». Qu’attendez-vous de cet évènement ?


Faire tomber le mur invisible entre la France qui investit et celle qui a besoin de ces investissements.

Entre la France qui cherche de la rentabilité à impact et celle qui peut l’offrir.

Le Forum Économique des Banlieues (www.feb2025.com), c’est une salle des marchés à impact : on y signe des contrats, on y parle business, en plaçant l’humain au centre de l’action.

Le levier économique est un levier puissant pour lutter contre la pauvreté (42 % dans ces territoires) et contre tous les maux sociaux qu’elle entraîne.

En 2024, l’événement a réuni environ 1 000 participants, permis de mobiliser plus de 100 M€ de commandes et près de 900 M€ de financements publics et privés.

En 2025, nous visons 2 000 participants, 200 M€ de commandes et 1 milliard d’euros de financements mobilisés.

L’objectif : ancrer l’événement dans le calendrier économique national et prouver que si la croissance mondiale se joue dans les pays émergents, la croissance française, elle, se joue dans ses propres territoires émergents.


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Que répondez-vous à ceux qui affirment que les banlieues populaires coûtent plus cher qu’elles ne rapportent ?


Faux. Les banlieues sont rentables.

Vous remarquerez que celles et ceux qui disent que la banlieue "coûte" ne disent jamais combien elle rapporte, et pour cause.

Les chiffres le prouvent : ces territoires produisent plus qu’ils ne consomment d’aides.

On y investit environ 10 milliards d’euros d’aides publiques et privés directes par an, alors qu’ils génèrent plus de 75 milliards d’euros de chiffres d'affaires et 42 milliards d’euros de consommation.

Saviez vous que le département de la Seine-Saint-Denis fait d’ailleurs partie des plus importants contributeurs nationaux en matière de TVA et de cotisations sociales ?

Si les 1 609 quartiers prioritaires formaient une région, ils seraient la 5ᵉ puissance économique de France.

Le PIB cumulé de nos banlieues avoisine celui de la Slovénie.

En faisant les bons choix, nous pourrions, d’ici 15 ans, atteindre l’équivalent du PIB du Portugal.

Le vrai coût, c’est celui du potentiel perdu que j’estime à au moins 150 milliards d’euros.

Ignorer cette force, c’est priver notre pays d’une décennie de croissance durable.


Le communautarisme, notamment religieux, comme l’insécurité, le trafic de drogue gangrènent depuis plusieurs années un certain nombre de ces territoires que certains affirment être « perdus pour la République »… Est-ce une fatalité ? L’État a-t-il failli ? La rénovation urbaine mise en œuvre par Jean-Louis Borloo n’est-elle qu’une étape nécessaire mais pas suffisante pour transformer positivement ces quartiers ?


Ni fatalité, ni hasard : c’est une faillite stratégique.

Quand on ne propose pas de projet économique, d’éducation et de sens, d’autres idéologies occupent l’espace. 

Quel est le projet pour ces territoires ?

Qui a posé et répondu à la question : "Que voulons-nous en faire à 20 ans ?" Personne !

C’est d’ailleurs l’essence de mon livre "Made In Banlieue"

Jean-Louis Borloo a refait les murs en créant l'Agence de Rénovation Urbaine (ANRU) c’était une première étape vitale.

Il faut désormais s’attaquer au deuxième étage de la fusée : celui où se trouve le moteur.

Après la rénovation urbaine il faut maintenant la rénovation économique : des investissements, des entreprises qui s’installent et se développent, des modèles de réussite locaux.

Le trafic de stupéfiants, c’est une économie parallèle de près de 6 milliards d’euros par an, dont 80 % des consommateurs n’habitent pas ces territoires.

Les policiers et spécialistes le disent : assécher la consommation fait tomber la production et la distribution.

Le problème n’est donc pas que dans les quartiers il est aussi dans les beaux quartiers...

Quant aux formes de repli communautaire, elles sont souvent la conséquence de pratiques d’attribution de logements sociaux qui produisent de fait une homogénéité ethnique ou culturelle dans certains immeubles.

Le résultat de processus administratifs et locaux qu’il faut corriger par plus de mixité et de transparence.


À quelques mois des élections municipales et présidentielles, avez-vous le sentiment que certains politiques ont intérêt à faire perdurer une image négative de ces quartiers à des fins électorales ?


Certains, oui.

La peur, c’est rentable électoralement.

Faire croire que nos banlieues sont un danger est plus simple que d’expliquer qu’elles sont une chance.

La peur de l’Autre, qu’il soit l'étranger ou le bourgeois, alimente la colère et le vote extrême.

Mais à long terme, même si le mensonge prend l’ascenseur et la vérité l’escalier, la vérité économique finit toujours par s’imposer.

Les investisseurs et les grandes entreprises, françaises et étrangères, voient déjà le potentiel : foncier disponible, main-d’œuvre jeune, pouvoir d’achat à reconstruire... 

Les politiques de toutes tendances suivront lorsque les investisseurs et les entrepreneurs auront ouvert la voie, car tous auront besoin de relancer une croissance durable pour financer leurs programmes.


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Un sondage réalisé par l’IFOP et commandé par ConfiNews a montré il y a quelques mois des points de convergence entre les banlieues populaires et la ruralité. Qu’en pensez-vous ?


Absolument.

Ruralité et banlieue sont les deux faces d’une même fracture territoriale : celle des zones que la France a oubliées.

Manque d’investissements, oubli stratégique de ce qu’on veut en faire à 20 ans.

Nos banlieues sont les " villages périphériques " des métropoles.

Elles partagent les mêmes colères, mais aussi les mêmes leviers : relocalisation, circuits courts, économie de proximité, entrepreneuriat.

Lors du Forum Économique des Banlieues, une table ronde sera consacrée au lien entre banlieues et ruralité pour traduire ces convergences en actions communes.

L’avenir de la France se joue dans ces territoires d'opportunités.


Votre espoir est-il de passer de la “cité-dortoir” à la “cité-productive” ?


C’est le cœur de notre action et de mon livre.

Créer, c’est redonner fierté, autonomie et puissance économique.

Nos quartiers doivent devenir des épicentres de production : économie verte, numérique, artisanat 4.0, services à la personne, économie du reconditionnement.... les idées ne manquent pas !

L’objectif : révéler un potentiel de 150 milliards d’euros de croissance supplémentaire à 15 ans.

C’est plus qu’un espoir : c’est un plan de reconquête nationale, déployé en douze piliers dans mon livre.

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