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RSE : l’enjeu principal est celui de la bataille des normes



Entretien avec Florence Blatrix-Contat, sénatrice de l’Ain (SER) et vice-présidente de la délégation sénatoriale aux entreprises.



Vous êtes co-rapporteuse du rapport d’information, fait au nom de la délégation sénatoriale aux entreprises, visant à « faire de la responsabilité sociale des entreprises (RSE) une ambition et un atout pour chaque entreprise ». Pourquoi ce rapport ?


Ce rapport s’inscrit dans la continuité d’un précédent rapport sénatorial consacré à la RSE, rédigé par Élisabeth Lamure et Jacques Le Nay en 2020. Nous voulions proposer une lecture réactualisée de la RSE à l’aune des nouvelles obligations en matière de reporting extra-financier, prévues par la directive Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD).


La directive CSRD abaisse le seuil des entreprises européennes soumises à des obligations de reporting extra-financier, si bien qu’elles seront prochainement 50.000 à l’être directement et, par effet domino, bien plus encore à l’être de façon indirecte. Il ne s’agit donc plus d’être pour ou contre la RSE, tous les acteurs sont convaincus qu’il faut véritablement s’emparer du sujet. La question est plutôt : comment pouvons-nous en faire un outil de compétitivité pour chaque entreprise ?


Par exemple, j’ai la conviction que les financeurs détestent le risque. Or, en l’état actuel, un certain nombre d’entreprises n’entrent pas dans les critères RSE – ce qui devient un risque – et peineront donc à se financer. On comprend alors pourquoi il nous faut, d’une part, accompagner les entreprises et, d’autre part, promouvoir la RSE comme outil de compétitivité.


Comment faire pour que la RSE soit un atout pour les entreprises européennes ?


L’enjeu principal est celui de la bataille des normes. L’Union européenne a perdu la bataille sur les normes financières face aux États-Unis qui ont imposé l’International Accounting Standards (IAS).


Désormais, l’Union européenne propose les normes les plus ambitieuses en matière de RSE. Il est alors essentiel, dans un souci de compétitivité des entreprises européennes, de les promouvoir et de les répandre à tous les acteurs. Sinon, nous assisterons à un phénomène de distorsion de concurrence qui entamera la compétitivité des entreprises européennes, pourtant plus vertueuses. Cette volonté de promotion des normes européennes relatives à la RSE est partagée sur tous les bancs.


Or, on ne pourra remporter cette bataille des normes sans proposer une évaluation au niveau européen pour éviter une mainmise des agences de notation sous contrôle étranger. Nous proposons donc de confier à l’Autorité européenne des marchés financiers l’évaluation publique des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Cette mesure est d’autant plus nécessaire à l’heure où les pratiques de green washing des fonds d’investissement sont mises en évidence par la presse européenne.


Si la RSE doit être source de compétitivité, le « choc de complexité » des obligations qu’elle induit ne risque-t-il pas de nuire à la compétitivité des entreprises européennes ?


L’obligation nouvelle, pour certaines entreprises, de reporting extra-financier est une étape nécessaire. En revanche, il est vrai qu’il ne faut pas que cette obligation justifiée conduise à un travail administratif lourd et couteux pour les entreprises – notamment pour les ETI et les PME.


C’est pourquoi nous proposons de proportionner les exigences de reporting avec la taille des entreprises. Si les grandes entreprises disposent de moyens logistiques et financiers appropriés à un reporting exhaustif auquel elles sont déjà acculturées, les ETI tout particulièrement appréhendent cette nouvelle obligation. Aussi les ETI doivent encore se développer en France : il serait donc absurde d’entraver leur progression par une charge administrative déraisonnable. Par ailleurs, nous suggérons de sectoriser la remontée des données. Il faut consentir à un véritable effort d’adaptation des données selon les secteurs d’activité des entreprises autant que selon leur taille.


En somme, le reporting extra-financier gagnera certainement à être proportionnalisé. Je n’en reste pas moins convaincue que son existence est nécessaire. Ce serait véritablement rater un train que de ne pas s’engager dans la RSE, qui appelle un reporting extra-financier. Il faut embarquer tout le monde dans la transition sociale et environnementale, mais il faut le faire en accompagnant chacun. Testons donc l’opérationnalité des obligations de reporting dans les ETI et les PME puis appliquons-les avec les besoins d’adaptation nés de l’expérience.


Vous recommandez également de mettre les critères RSE dans la commande publique…


Oui. Cela ne serait d’ailleurs pas nouveau puisque certaines collectivités le font d’ores et déjà en prenant en compte des considérations environnementales et sociales dans leurs commandes respectives.


Nous souhaitons toutefois aller plus loin en recommandant d’introduire la notion d’« offre économiquement, écologiquement et socialement la plus avantageuse » dans le Code de la commande publique. Les donneurs d’ordres publics disposeraient ainsi d’un droit de préférence, à égalité de prix, pour les offres des entreprises exemplaires en matière de RSE.


Cela implique un effort de formation des collectivités aux enjeux liés à la RSE, n’est-ce pas ?


L’adaptation de la commande publique à la RSE ne peut effectivement faire l’économie d’une formation des agents des collectivités, notamment pour s’assurer que la rédaction des marchés publics soit cohérente avec ce mouvement.


Plus largement, il est essentiel de former les comités exécutifs et les comités de direction des entreprises à ces enjeux. Je dirais même que les actionnaires gagneraient à l’être également pour mieux composer avec les deux temporalités qui sont les leurs, à savoir le court et le long terme. Raisonner uniquement à court terme et exclusivement selon des préoccupations financières conduit souvent à des choix imparfaits – y compris économiquement : c’est le cas pour les décideurs publics lorsqu’ils ne s’appuient que sur le PIB, c’est également le cas pour les actionnaires lorsqu’ils ne prennent en compte que les performances financières. Si les actionnaires recherchent une rentabilité à court et long termes, alors ils doivent poursuivre des objectifs en matière de RSE également.


Nous évoquions les collectivités… Quel est le meilleur échelon pour accompagner les entreprises ?

Les fédérations professionnelles m’apparaissent comme le meilleur lieu d’accompagnement : elles sont familières aux entreprises et coutumières des actions de formation. Les services de l’État déconcentrés ont déjà beaucoup à faire au même titre que les collectivités territoriales.

Établissez-vous une différence fondamentale entre la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) et la responsabilité territoriale des entreprises (RTE) ou sont-elles bien plutôt les deux faces d’une même pièce ?


À mon sens, la RSE et la RTE se complètent l’une l’autre. Elles concernent deux champs différents mais qui s’entrecoupent bien souvent.


D’abord, la RSE vise la réduction de l’impact carbone de l’entreprise à laquelle la proximité territoriale de l’entreprise vertueuse en matière de RTE contribue. Aussi, la RSE assigne une mission sociale à l’entreprise que celle-ci poursuit, notamment, en tissant des liens avec le territoire et le bassin d’emploi au sein desquels elle exerce ses activités.


C’est pourquoi nous devons affirmer simultanément la responsabilité sociétale et la responsabilité territoriale des entreprises !


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