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Entretien avec Thierry Langreney



Entretien avec Thierry Langreney, président des Ateliers du Futur et chargé de mission interministérielle sur l’assurabilité des risques climatiques  

 

Vous êtes chargé de mission interministérielle sur l’assurabilité des risques climatiques auprès des ministres de l’Économie et des Finances, et de la Transition écologique. Quelle est la genèse de cette mission et quelle est son ambition ?   


Cette mission est née du constat que tous les mécanismes d’assurance sont mis sous forte tension par le changement climatique. Les évènements extrêmes sont plus fréquents et plus impactants, spécialement en France depuis 2016, les résultats et même les fonds propres des assureurs et réassureurs en souffrent. L’équilibre du Régime d’indemnisation des Catastrophes naturelles, largement porté par la CCR, est menacé.


Ceci peut même conduire à un début de restriction de l’offre sur les secteurs les plus exposés aux intempéries, car certains assureurs développent une sur-segmentation pour se protéger.


Ces constats méritaient un approfondissement et surtout des pistes de solution. Nous avons proposé à Bruno le Maire et Christophe Béchu des recommandations sur 3 plans : la contribution des acteurs de l’assurance à l’atténuation du changement climatique ; la prévention accrue des risques naturels par les assurés et les assureurs ; la consolidation du Régime d’indemnisation des Catastrophes naturelles.

  

Vous avez récemment déclaré, à propos de l’avenir du secteur financier, que le dérèglement climatique « crée à l’évidence des opportunités de développement rentable et de nouvelles occasions à court terme de se différencier, et à moyen-long terme de prouver son utilité au service de la Société actuelle ». De là surgissent deux questions : devant ces opportunités de marché, comment expliquer le retard des banques et assurances en matière climatique ? Surtout, quelle devrait être, à vos yeux, leur utilité sociale ? 

 

Deux questions essentielles en effet.


Le retard du secteur financier découle d’abord de la concurrence permanente entre le court terme et le long terme que connaissent toutes les entreprises de la planète. Investir pour la décarbonation à long terme suppose des investissements ou des efforts à court terme qui peuvent nuire à la productivité, aux marges et même au développement. Ne plus prêter à de grands énergéticiens revient à se priver de commissions très importantes pour une banque d’affaires. Ne plus investir au capital des groupes de secteurs « brun » peut priver un investisseur d’une prime de risque favorable au rendement… Or, toutes ces institutions évoluent dans un environnement de concurrence internationale qui ne pardonne pas la sous performance, surtout boursière.


De plus, ces institutions financières ont un vrai problème de visibilité pour orienter leurs ressources vers la transition écologique : l’opacité de leurs clients. Jusqu’à présent, très peu de groupes communiquent de manière précise sur leurs éventuelles trajectoires de décarbonation prospectives. C’est la raison pour laquelle dès 2021 les Ateliers du Futur ont transmis à la Commission Européenne et à la Fondation IFRS une proposition complète de reporting extra financier orienté Climat baptisée Net Climate Liability. L’Europe a heureusement suivi nos ambitions, concrétisées dans la CSRD, alors que l’ISSB reste en retrait. Notre Palmarès des Trajectoires Climat de 2023 montre le chemin qu’il reste à parcourir même au sein du CAC 40 pour disposer de publications complètes et cohérentes ! 


Sur l’utilité sociale des institutions financières, la question est très large. Pour rester sur le Climat, nous considérons qu’elles peuvent et doivent actionner au moins 4 leviers d’incitation pour la transition écologique : la sensibilisation de leurs clients, voire du grand public au sens large, s’agissant des acteurs de B2C ; la comparaison des performances et l’échange de bonnes pratiques entre leurs clients entreprises ; l’incitation financière à travers des systèmes de bonus-malus liés à la performance extra financière d’un projet ou d’une entreprise ; les normes et politiques internes pour orienter l’action vers le progrès sociétal. Cela inclut, entre autres, l’abstention sur des contreparties qui négligent ou nuisent objectivement à la trajectoire mondiale de décarbonation. 

 

La crise environnementale complexifie, si ce n’est décourage, l’assurance des risques climatiques. Dans le même temps, l’adaptation à ces risques déteste la non-assurance. Comment éviter l’impasse à laquelle conduit ce cercle ?  

 

Le stress climatique met clairement sous tension les assureurs, réassureurs et même l’État, garant du Régime Cat Nat. Notre analyse conduit à privilégier un mix de solutions alliant prévention, solidarité et responsabilité. Dans un environnement plus exigeant, chacun devra prendre une part des efforts supplémentaires à réaliser : les assureurs mais aussi les assurés, les pouvoirs publics, spécialement les collectivités locales qui portent la prévention collective de proximité, et même l’État qui doit assurer la gestion de ses propres risques. 


 

Il existe deux modèles assurantiels concurrents : d’une part, un modèle fondé sur la liberté de marché et la liberté de souscription de l’individu et, d’autre part, un modèle fondé sur l’encadrement par l’État des conditions d’exercice du marché - à travers un contrôle de la tarification ou encore des obligations d’assurance. Selon vous, un des deux modèles se montre-t-il plus performant que l’autre devant la démultiplication des risques climatiques ? 

 

Le second modèle est à l’évidence le plus performant pour garantir un accès universel à l’assurance contre les périls climatiques. La France le démontre en proposant les 2 régimes : le premier pour l’assurance récoltes qui ne couvre que 30% des producteurs et, d’autre part, le Régime Cat Nat bénéficiant partout, à tous.


Il faut souligner que cette performance est un vrai sujet stratégique car sans couverture, pas de résilience, pas de confiance en l’avenir et donc pas d’investissement. 


Vous défendez les vertus du Régime français d’indemnisation des catastrophes naturelles, bien que vous appeliez à le réformer pour en assurer l’équilibre. Pourquoi ? 

 

Cet équilibre a été rompu, sous les coups de butoir du climat que nous connaissons depuis bientôt 10 ans. Les solutions traditionnelles de l’assurance doivent être mobilisées, tarif, prévention, mais à l’échelle nationale et de manière pérenne. Un des grands défis à anticiper est en effet l’inflation d’évènements climatiques extrêmes qui s’ajoutera durablement à celle, monétaire, des réparations et à l’accumulation de valeur des biens et activités assurées.

 

Qu’ils soient le fruit de parlementaires (Christine Lavarde en février 2023, Vincent Ledoux en octobre dernier) ou de magistrats (Cour des comptes en février 2022), les rapports sur le risque RGA (retrait-gonflement des argiles) se succèdent sans être véritablement suivis d’effets. Avez-vous un avis à ce sujet ? 

 

Le RGA a sans doute déjà pris la première place en termes de charge annuelle moyenne de tous les périls couverts par le régime Cat Nat. Il représente donc un enjeu financier très important qui rend toute modification sensible. Il me semble que la loi Baudu et la circulaire 3DS sont des avancées bien réelles. Reste à préserver l’équilibre financier du régime en lien avec ces élargissements d’indemnisation. Cela semble accessible. En parallèle, les investissements de recherche sur les mesures horizontales de prévention sont prometteurs et à intensifier. 

 

Vous présidez l’ONG les Ateliers du Futur. Quelle est la mission de l’organisation et quelles actions mène-t-elle ?  


Notre ONG agit pour le Climat. Elle se focalise sur les entreprises qui nous paraissent les seules à disposer de 3 leviers essentiels pour réussir la décarbonation des activités humaines dans les 25 ans à venir : le Pouvoir Faire grâce à leurs moyens financiers ; le Savoir Faire grâce aux technologies vertes qu’elles développent et, dans une certaine mesure, le Vouloir Faire grâce à leur engagement. Il faut ici rappeler les limites, évoquées plus haut, dues à la concurrence entre le court et le long terme. 


Nous agissons donc pour les inciter à adopter les stratégies de décarbonation les plus ambitieuses, les plus efficaces et les plus rapides possibles.


Notre équipe, exclusivement composée de dirigeants de tous les secteurs, utilise 3 leviers essentiels : la sensibilisation des comités de direction, conseils d’administration et encadrements supérieurs ; la réputation, à travers le « concours de beauté » que constitue notre Palmarès des Trajectoires Climat du CAC 40 ; et la réglementation, en interagissant par exemple avec la Fondation IFRS et l’EFRAG sur le reporting extra-financier, la Commission Européenne et l’UNFCC sur les autres normes.


Nous participons par exemple aux COP et autres temps forts des Parties à l’Accord de Paris en qualité d’Observer Organisation reconnue par l’UNFCC.

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