Entretien avec Antoine Armand, député de Haute-Savoie (Renaissance)
Vous abordez, dans un essai publié aux éditions Stock, Le mur énergétique français (2024). Pourquoi ce titre ?
Si le titre se veut choc, c’est parce que la situation est urgente et l’enjeu primordial. C’est d’ailleurs pourquoi j’ai voulu être rapporteur de la commission d’enquête sur les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France (2023) avant de me consacrer à la rédaction de ce livre.
Le mur énergétique français ; ce n’est pas seulement le dérèglement climatique face à nous, c’est aussi notre attentisme devant lui. Par exemple, il est frappant de voir combien les acteurs de la filière énergétique ont eu du mal à passer du logiciel du facteur quatre – la division de nos émissions de dioxyde de carbone par quatre – à celui de la neutralité carbone.
Devant ce mur, le livre part du postulat que les mêmes causes produiront les mêmes effets. Nous devons rompre avec l’illusion de l’abondance, rattraper le retard dans les filières industrielles d’avenir ou encore mettre à mal l’idée selon laquelle la sobriété résoudra tous les problèmes.
Le sous-titre de votre ouvrage n’est autre que Comment rattraper 30 ans d’erreurs politiques. De celui-ci surgissent deux questions : pourquoi avoir retenu 30 ans comme bornes temporelles de votre analyse ? Surtout, les dirigeants politiques ont-ils le monopole des erreurs en la matière ?
Ce sont deux très bonnes questions.
Notre retard en matière énergétique n’a fait que s’accumuler depuis les trente dernières années. Parler d’accumulation est particulièrement fidèle à la réalité puisque c’est parce que nous avons trainé à structurer une filière d’énergies renouvelables (EnR) que nous sommes en retard sur le sujet, et c’est parce que nous avons été trop longs à dessiner le visage que nous voulons donner à notre parc nucléaire qu’il est dans l’état actuel. L’accumulation d’un retard depuis trente ans est donc une première explication de l’horizon temporel choisi.
Surtout, faire débuter l’ouvrage dans les années 1990 m’apparaissait judicieux en cela que c’est précisément la décennie où les conclusions des climatologues commencent à être suffisamment diffusées dans la société si bien que chacun sait, à la veille des années 2000, que nous allons devoir changer de modèle. En même temps, la France est à un point pivot puisque la construction de son parc nucléaire se termine tandis que la filière des EnR apparait à peine.
Depuis lors, nous avons peu progressé. Au contraire, l’illusion de l’abondance des années 1990 a conduit à sous-évaluer le besoin en EnR. Les années 2000 ont été marquées par le débat mortifère entre les défenseurs du nucléaire et ceux des EnR. Celui-ci a entrainé, d’une part, le sabordage de notre parc nucléaire et, d’autre part, un retard croissant en matière de production d’EnR. La dernière décennie a été celle de la dernière hésitation avant de se mettre, enfin, sur de bons rails. Seulement le trajet est long.
Comme vous le voyez, ce sont essentiellement des erreurs politiques qui ont mené à la situation actuelle. En revanche, vous avez raison de souligner que les dirigeants politiques n’ont pas été les seuls à faillir. La rapport de Jean-Bernard Lévy sur La construction de l’EPR de Flamanville (2019) montre combien le fiasco de Flamanville résulte également d’une problématique de gestion de projet, de ressources humaines, de savoir-faire technique, etc. Par ailleurs, la guerre intestine entre Orano, anciennement Areva, et EDF a fait beaucoup de mal à la filière énergétique française. Néanmoins, je reste convaincu que la responsabilité est d’abord politique puisque lorsque l’État est véritablement planificateur, il ne laisse que peu d’espace aux querelles industrielles.
À vous lire, la première faute des gouvernants des trente dernières années n’est autre que « l’illusion sur-capacitaire » dans laquelle ces derniers se seraient complu. Sommes-nous sortis de ce mirage ?
Nous commençons à peine à nous en extraire mais, comme je vous le disais, le trajet est long !
L’illusion sur-capacitaire continue à structurer notre société de l’abondance dans laquelle lorsque qu’on souhaite recharger un téléphone portable, on pense qu’il suffit de le brancher à une prise électrique. Du reste, le progrès économique s’est toujours pensé autour des notions d’abondance et de consommation. Peut-être est-il temps d’y inclure la préservation des ressources naturelles, la fiabilité de notre économie ainsi que sa souveraineté.
Si l’illusion sur-capacitaire persiste encore, c’est parce que nous continuons d’importer environ deux tiers de l’énergie qu’on consomme pour n’en produire que le dernier tiers. Cela a toujours plus ou moins fonctionné donc on se dit, au fond, qu’il en sera toujours ainsi. On oublie un peu vite la dépendance que cela implique, notamment à l’égard de pays aux valeurs loin de celles que la France porte.
Les conclusions de la commission d’enquête consacrée aux « raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France » plaidaient en faveur d’une souveraineté énergétique européenne. Qu’est-ce que cela exige ?
Le rapport de cette commission d’enquête comme le livre formulent beaucoup de critiques à l’endroit du cadre européen. Seulement, je prends toujours soin de rappeler qu’il n’est pas une décision européenne qui n’a été actée sans que la France n’ait donné son accord. L’Union européenne est ainsi faite… Par ailleurs, la France est un grand pays et sa voix porte. En revanche, il est vrai que les décisions européennes sont toujours le fruit de compromis. Je suis de ceux qui pensent qu’un compromis intermédiaire est chose meilleure que le statut quo. C’est difficile à accepter pour ceux qui prônent des réponses simples mais c’est la réalité.
La politique énergétique l’illustre très bien. J’ai entendu beaucoup de parlementaires appeler à la sortie du marché européen de l’électricité. Outre qu’ils taisent que cela implique de sortir de l’Union européenne, c’est surtout faire preuve d’une méconnaissance absolue du fonctionnement de ce marché. Nous avons terriblement besoin d’un marché européen intégré de l’électricité pour bénéficier de l’électricité la moins chère possible. Ce marché, c’est également, entre parenthèses, ce qui nous a permis de ne pas connaitre un blackout au cours de l’hiver 2022.
Précisément, la question énergétique vous semble-t-elle aborder judicieusement dans les débats qui préfigurent les élections européennes ?
Elle est moins abordée que ce que je pensais mais c’est probablement bon signe. Cela montre qu’on a résolu un certain nombre de problèmes, à l’instar du marché européen que nous évoquions.
En revanche, il est vrai que le débat nous contraint souvent à choisir entre sobriété et production. Pourtant, la croissance et la décroissance sont les deux faces de deux médailles : il faut décroitre très vite dans notre consommation d’énergies fossiles mais il faut augmenter encore plus rapidement notre production d’EnR. C’est exactement le même écueil que le débat qui oppose les partisans du nucléaire à ceux des EnR. Les parlementaires sont les premiers à s’enfermer dans ces postures caricaturales alors même que ce n’est pas ce qui est attendu d’eux par leurs électeurs.
Nous avons abordé un certain nombre de préconisations mais vous en évoquez encore bien d’autres dans vos contributions. Pouvez-vous résumer votre plan de construction d’un futur différent ?
Précisément, le plan est d’abord d’avoir un plan. En l’occurrence, il doit s’agir d’un plan sur trente ans afin d’avoir une vraie stratégie énergétique qui permettra, demain, de mettre en place les filières industrielles qui y concourent.
J’aime bien dire qu’on s’est réconcilié en France, depuis quelques années, avec l’idée d’être une nation productrice. Maintenant il faut qu’on se réconcilie avec les moyens de produire. Cela appelle des choix difficiles mais il faut trancher. Par exemple, est-ce qu’on peut se permettre d’avoir autant de normes procédurales ? Est-ce qu’on peut être aussi pointilleux sur la biodiversité sans ralentir l’installation des EnR ? La réponse est, malheureusement, dans la question. On a parfois l’impression qu’on peut tout faire avancer en même temps. C’est faux. Si tel était le cas, nous n’aurions pas besoin de faire de la politique, ni de gouverner. Dès lors, le plan, c’est aussi de trancher.
Un dernier mot pour arriver à quai ?
Je voudrais souligner que la vitesse du train, allant des énergies fossiles vers les EnR, dépend essentiellement de notre capacité à installer des rails pour lui permettre de circuler. C’est primordial, non seulement pour la souveraineté énergétique de notre pays, mais aussi pour rester à fidèle à la vocation de modèle qui fait la singularité de notre nation.
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