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Philippe Claudel, le vin pour compagnonnage

À travers deux évènements, Onzième Sens a récemment rencontré Philippe Claudel, dont le dernier roman, "Crépuscule" tient du grand chef-d'oeuvre humaniste. Portrait d'un écrivain parmi les hommes.



Le Prix Goncourt 2023 sera remis le mardi 7 novembre. Parmi les dix membres de l'Académie Goncourt, l'un d'entre eux a une place à part : le secrétaire général de l'institution. Depuis 2021, Philippe Claudel occupe cette responsabilité, lui conférant une place centrale dans la vie littéraire française.

Le 28 avril dernier, nous avions rencontré Philippe à l'occasion de la soirée "Histoire d'en Parler", lorsque René Vuillermoz avait invité le Prix Renaudot 2003 à Thônes, pour évoquer son dernier roman, "Crépuscule" (Stock). Ce fut un immense plaisir de découvrir cette histoire cruelle nichée au coeur d'une vallée fermée, dans un pays imaginaire si "vieille Europe", le mariage d'une Bosnie endormie avec une Hongrie arriérée, gagnée de neige amère, lorsque se fracasse le destin de deux communautés, quand il s'agit de désigner de si faciles boucs-émissaires. Ce pourrait être un "grand roman russe" utilisant le décor d'une nature austère, les sentiments exacerbés et si simples, l'ambivalence, et la violence des hommes, atténuée de tendresse. "Crépuscule" est un grand roman tout court, qui s'ancre si longtemps en chacun de nous, prenant d'humanité, et de détresse.





En parler avec Philippe Claudel devant une centaine de lectrices et lecteurs représenta l'un des moments forts de 2023. Philippe Claudel était descendu de "sa montagne" dans la vallée de Thônes, sous sa casquette de tweed, se proposant aux uns aux autres, avant la conférence. Avec tant de bienveillance, comme tout le temps accordé aux lecteurs au moment de la séance de dédicaces organisée par Jean-Marc Lefèvre de la librairie des Aravis, avec un détail particulier, cependant : ce verre de vin à portée de main, si proche, pendant les signatures... En l'occurence une cuvée de "copains" : "Engouement", un Saint-Chinian enlevé et fruité, du Domaine de la Maurine, prescrit par Sylvie Duchateau, heureuse caviste à Thônes (La Sélection Duchateau". Malgré les tentations, nous avons été sages ce soir de printemps radieux.


Beaucoup moins cinq mois plus tard, à l'occasion du Prix Blù Jean-Marc Roberts, qui a consacré Neige Sinno pour "Triste Tigre" (P.O.L), Philippe Claudel membre du jury, ayant ardemment défendu ce titre, dans un éloge éloquent avant la remise du prix, premier de la rentrée littéraire qui perpétue la mémoire de Jean-Marc Roberts, sous les mécénats prestigieux de la Fondation Jan Michalski et de Vignobles & Signatures. C'est l'occasion de rassembler les amis de Jean-Marc, dans une célébration qui devient fête de famille. Dans les amis sont évidemment compris les auteurs de Jean-Marc Roberts, cette joyeuse communauté qui lui doit tant, dont Philippe, si présent au sein de cette famille, tendre et joyeux avec tous, et souvent distributeur des jolis verres proposés par Vignobles & Signatures. Quand il ne bondit pas sur scène pour proposer à Brigitte Giraud, lauréate Goncourt 2002, de lire un extrait de "L'Éditeur" (Phébus), le remarquable essai de Capucine Ruat consacré à Jean-Marc Roberts.



Pour le vin, ce "compagnonnage" avec les lettres, Philippe reste le plus simple du monde : "J'aime tout, quand c'est bon". Celui qui a consacré des heures d'écriture au vin, s'est dépouillé depuis toujours de toute cuistrerie. On le ressent si bien en cette toute fin de soirée, lorsque les rangs se sont éclaircis, que demeurent les braves qui ne craignent en rien le coeur de nuit, un verre de Château Haut-Selve (Graves, 2016) de la famille Lesgourgues, d'équilibre et de juste plaisir, dans une main qui pourrait être celle d'un généreux paysan lorrain, lorsque Philippe se livre le mieux. Il pourrait être un "parrain" écrasant, il est en fait présence irremplaçable, lien cardinal entre générations, incarnation du travail bien fait de l'écrivain tenace ("Crépuscule" reste l'oeuvre de onze années), et confident attentif et curieux des fins de soirées.


Combien devons-nous tous, écrivaines et écrivains, à Philippe, de représenter notre monde. Merci.


Vincent Crouzet

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