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Nous n’avons pas tous un accès égal à l’espace urbain


Entretien avec Sybil Cosnard, Présidente de City Linked



Paysagiste et urbaniste, vous avez fondé CITY Linked en 2010, une société́ de conseil en stratégies urbaines. Quel regard portez-vous aujourd’hui sur la ville en termes d’usages, de mobilité et de cadre de vie ?


Le regard est forcément multiple car notre territoire est très varié, ce qui en fait sa richesse mais aussi sa complexité en termes d’aménagement. A l’heure de la sobriété foncière, il est demandé à toutes les collectivités de moins consommer d’espaces au sol et surtout de les consommer mieux ! Dans des territoires très constitués comme nos métropoles, le casse-tête porte sur le fait que ceux qui y vivent et les pratiquent veulent plus d’espace non bâti, et donc moins de constructions. Pour les territoires péri -urbains et ruraux, l’étalement urbain a marqué ces derniers du fait des aspirations de ceux qui y vivent, à savoir de l’espace et une maison. La réponse est probablement dans le juste équilibre à trouver dans une mobilité qui permette à terme de moins utiliser sa voiture, car les transports en commun couvriront encore mieux la desserte de nos territoires et que le cadre de vie sera au rendez-vous du fait d’aménités (commerces, services, équipements…) suffisantes au sein des quartiers et dans une mixité des usages où se rencontrent ceux qui y vivent, qui y travaillent et ceux qui ne font qu’y passer.


Il manquerait actuellement en France, entre huit cent mille et un million de logements. Et pourtant, côté collectivités, on entend de nombreux maires dire « je ne change rien », « je ne construis pas », trop de contraintes financières et d’oppositions citoyennes. Du côté des opérateurs et du côté de l’Etat, les plans de relance se font attendre… L’aménagement est-il devenu schizophrène ?


Aujourd’hui, les élus disent ne plus avoir aucun intérêt à construire. Les habitants ne veulent pas de nouveaux habitants et notamment si cela rime avec des constructions sous leurs fenêtres, les finances de ville se raréfient et construire un groupe scolaire coûte cher pour permettre l’accueil de nouveaux enfants sur sa commune, sans parler de la disparition de la taxe d’habitation. Chacun est responsable de cette situation. Des quartiers et des immeubles ont vu le jour sans répondre aux promesses annoncées lors de leur conception. Souvent, ce sont les espaces paysagers, les services et les commerces qui sont sacrifiés au fur et à mesure du projet, souvent liés à des contraintes économiques, techniques voire réglementaires. Alors à force de promesses non tenues, les habitants ne voient que les désagréments : trop de béton, pas assez de vert, des nuisances de chantiers, des problèmes de stationnement. La liste est longue et explique cette contradiction actuelle du besoin de garantir un logement pour tous, mais pas à côté de chez moi !





Parler de densité ou de « construction de la ville sur la ville « est souvent une source d’incompréhension, voire d’opposition. Dans l’inconscient collectif, la tour a une image d’insécurité, de promiscuité, de peu d’espaces verts, de bétonisation… Comment traiter cette notion de verticalité à l’heure du Zéro Artificialisation Nette (ZAN) ?


Cette notion de verticalité est un vrai enjeu pour répondre à l’injonction de consommer moins et permettre un juste équilibre entre ville et nature. Nos deux derniers ouvrages portant pour l’un sur la notion du ZAN « Voyage en ziZANie » et pour l’autre « Intenses – Cités » évoquant la notion de densité, ont mis en exergue le fait que le sujet de la verticalité devient moindre dès lors que tout ce qui est au socle apporte un cadre de vie qualitatif. Les espaces paysagers sont primordiaux, que ce soit dans l’espace public, mais aussi dans son espace privé. Ces espaces, de par leur aménagement doivent être en mesure d’apporter une multitude d’usages pour tous les publics. Les aménités sont elles aussi un incontournable. L’accessibilité pour tous et le bon niveau de stationnement sont là encore autant d’ingrédients pour gérer une vie d’usages qualitative au sol. Tous ces critères semblent basiques et pourtant ils ont bien souvent été ignorés, ce qui explique cette focalisation négative sur la notion de « tour, barre… ».


Pensez-vous que les aménageurs, ceux qui façonnent les territoires et les villes, prennent en compte la pluralité des publics dans la conception des projets urbains et immobiliers ? En tant qu’usagers de la ville, sommes-nous tous égaux ?


En 2021, nous avons réalisé, dans le cadre de notre Observatoire Urbain, un livre blanc en faveur d’une ville pour tous pour mieux prendre en compte tous les publics dans la conception des projets urbains. A la faveur de recherches, mais également d’initiatives d’acteurs engagés de l’urbain, de nombreuses démarches se développement au profit d’une ville plus égale pour tous. Néanmoins, ces approches sont souvent ponctuelles, circonscrites et elles restent principalement portées par des collectivités et associations engagées. Et pourtant, les enfants sont encore trop souvent évincés de l’espace urbain ou ce qui tient lieu d’aménagement à leur égard se concentre dans des espaces institutionnalisés et sécurisés. Les personnes âgées quant à elles se confrontent avec difficulté à un environnement en perpétuelle évolution dans lequel les bancs disparaissent, les toilettes publiques se raréfient, les parcs aussi…. La pluralité du handicap rend sa prise en compte complexe, et manifestement, malgré la reconnaissance de la diversité des handicaps, leur intégration dans l’aménagement tend à se focaliser sur la prise en compte du handicap physique… Donc nous n’avons pas tous un accès égal à l’espace urbain.


On parle facilement aujourd’hui de mixité programmatique, mais on oublie encore souvent la mixité fonctionnelle. Qu’en pensez-vous ?


Il me semble qu’elle devient nécessaire au regard des enjeux de sobriété foncière. Nous avons constaté tous les dysfonctionnements générés par des aménagement de zones dites monofonctionnelles, que ce soit du tout logement, du tout activité ou du tout bureau… A l’heure de la ville de la proximité, rapprocher les usages les uns aux autres devient un impératif. Cela a pour préalable d’anticiper et par conséquent de savoir gérer des potentiels conflits d’usages.


Chaque territoire a ses particularités, son histoire, un environnement subi, une sociologie spécifique… Avez-vous le sentiment que les acteurs de l’aménagement prennent le temps de cette analyse, repensent la gouvernance des projets et que leurs équipes soient représentatives de cette diversité ?


Certains oui mais beaucoup d’autres non, parce que prendre le temps de cette analyse coûte de l’argent et que beaucoup trop d’acteurs de l’aménagement flèchent encore leurs dépenses ailleurs. Nous sommes convaincus chez CITY Linked de la nécessité de contextualiser et d’ancrer un projet, une démarche dans son territoire. Combien de projets n’aboutissent pas ou doivent revoir leur copie, car le projet n’a pas été assez travaillé en amont dans son ancrage local. Chaque acteur a sa part de responsabilité. Il y a certes eu des évolutions dans la gouvernance des projets, mais il y a encore beaucoup à faire : former et sensibiliser toutes les parties-prenantes des projets, repenser une gouvernance pour intégrer de nouvelles parties-prenantes et imaginer de nouveaux modèles de financement, systématiser les audits urbains sous l’angle de tous les publics…. Il est temps de faire évoluer nos pratiques dans l’approche de nos territoires !


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