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Interview du Général William Vaquette, auteur de l’ouvrage « les mystères de Fort-Royal »  





« Les mystères de Fort Royal » est une biographie romancée de Joseph France, un gendarme abolitionniste. Pourquoi avoir choisi ce thème ?  D’après vous, l’abolition de l’esclavage est-elle l’une des plus grandes avancées pour les droits de l’homme ? 


L’esclavage, les traites et ses abolitions font partie de notre mémoire nationale, mais son histoire fut tardivement commémorée en France. Pour que ce qui hier paraissait normal dans la plupart des civilisations, voire l’expression d’un ordre naturel ou divin millénaire, soit enfin reconnu par le droit universel comme un crime contre l’humanité défaite, c’est-à-dire le 21 mai 2001 par la loi française n°2001-434, dite « Taubira ». En outre, il faut attendre 1983 et 2007 pour que les commémorations soient fixées respectivement le 10 mai comme journée nationale des mémoires de l’esclavage et le 23 mai en hommage aux victimes. Mais pour certains, encore aujourd’hui le passé ne passe pas, car en 1848 les victimes de l’esclavage ne furent pas indemnisées contrairement aux « propriétaires », et cela, malgré la proposition de Victor Schoelcher qui présidait la commission d’abolition à l’époque. Dans ce contexte, notre devoir de citoyen au service des valeurs de la République de liberté, d’égalité et de fraternité, est de transmettre la mémoire de l’esclavage, ses combats pour l’abolition et de faire reconnaître les héritages multiples, culturels, politiques et humains dans les outre-mer comme dans l’hexagone. C’est ainsi que le Mémorial national des victimes de l’esclavage sera érigé au Trocadéro à Paris. Un lieu hautement symbolique puisque c’est ici qu’a été proclamée et signée la Déclaration des droits de l’Homme en 1948 et également là où se trouve le musée de l’Homme.


Pourquoi avez-vous décidé de vous intéresser au chef d’escadron Joseph France, suppléant de Victor Schoelcher dans l’assemblée constituante de la seconde République ? 


Lorsque j’ai appris ma nomination en 2021 au commandement des forces de gendarmerie en Martinique, j’ignorais que j’avais rendez-vous avec l’Histoire. Comme la plupart d’entre nous, je ne savais pas que son lointain prédécesseur à Fort-de-France, le chef d’escadron Joseph France, milita pour l’abolition de l’esclavage. Ni qu’il fut élu le 9 août 1848 député suppléant de Victor Schoelcher dans l’assemblée constituante de la Seconde République. Nous ne savons rien de Joseph France. Si peu de choses, et pour la plupart oubliées. Un gendarme par excellence. Un militaire discipliné que la réalité de l’esclavage conduisit à la désobéissance. Quand le silence complice de l’administration coloniale menace l’humanité, il porte la voix des sans voix, celle des esclaves. En 1843, il reçut la belle Martinique en plein cœur. Une terre de passions qui forge à la fois la douleur et le bonheur. C’est dans la mer des Caraïbes que ce Mosellan devint abolitionniste, et plus particulièrement sur Matinino. L’île sans pères où seules habitaient les femmes. Puisque c’est ainsi que les Amérindiens appelaient la Martinique avant que cette colonie française ne tirât sa richesse des plantations de canne à sucre, mais aussi de l’esclavage. 




Pourquoi avez-vous choisi pour votre roman un militaire discipliné que la réalité de l’esclavage conduit à la désobéissance ?


C’est plutôt Joseph France qui m’a choisi ! Il y a peu de hasards dans la vie et beaucoup de rendez-vous. Ce qui est intéressant dans son histoire oubliée de tous, c’est la question inédite du devoir de désobéissance du militaire qui n’existe pas en 1843 pour des raisons de conscience citoyenne et humaniste. Depuis 2005, tout militaire doit légalement « désobéir si les ordres qu’il reçoit sont jugés contraires à l’éthique .» Ainsi, dans l’histoire de France, rien de grand n’a pourtant été accompli par des militaires sans désobéissance : le général De Gaulle depuis Londres en juin 1940, le général Von Choltitz qui n’exécute pas l’ordre d’Hitler de destruction de Paris le 23 août 19444 ou le refus de tir de contre-attaque nucléaire en 1983 par le lieutenant-colonel Petrov à Moscou. Le point commun de ces hommes d’exception fidèles aux étapes de leur vie sous l’uniforme, c’est de croire et d’obéir à ce qui est plus grand qu’eux, c’est-à-dire l’humanité. 


Vous présentez cette biographie romancée de Joseph France sous forme d’enquête historique… Finalement l’auteur, comme le gendarme, présente le résultat d’un formidable travail d’investigation ?  


Oui, et c’est pourquoi j’ai décidé de présenter sa biographie romancée sous forme originale d’enquête historique rapportée par un témoin illustre, Victor Schoelcher son colistier à la députation, à partir d’une dérive imaginaire d’un voyage fictionnel vers le Sénégal en août 1847. Par un dialogue en huit-clos qui aurait pu avoir lieu entre le Havre et Gorée, Victor Schoelcher rapporte comment la Martinique fit de Joseph France un gendarme abolitionniste. C’est lorsque ce dernier ordonna aux gendarmes de Martinique d’enregistrer les plaintes des esclaves qu’il s’attira les foudres du conseil colonial. C’est là le point de départ des Mystères de Fort-Royal, un récit fidèle mélangeant réalité et fiction, inspiré de faits et de témoignages historiques. 


Son bannissement par les autorités fut précipité quand il enquêta sur la disparition du cadavre d’une esclave dans une habitation au nord de l’île et fut sur le point de retrouver le trésor de l’Église volatilisé depuis la Révolution. Tout cela sous fond de quimbois, de franc-maçonnerie et d’une histoire d’amour avec Milabelle, une libre de couleur dont on apprend comment elle est arrivée en Martinique par navire de contrebande depuis sa capture par les marchands africains d’esclaves dans le golfe de Guinée. Le personnage féminin de Milabelle entre parfaitement dans la thématique des commémorations en 2025 qui est celle du Temps des Mémoires consacrées aux résistances des femmes à l’esclavage. D’ailleurs, pour tout vous dire, le titre initial du livre était « Milabelle. »


À son retour dans l’hexagone, Joseph France publia en 1846 chez Moreau un pamphlet sous le titre « La vérité et les faits de l'esclavage à nu : dans ses rapports avec les maîtres ». C’est là que commencent mes recherches historiques, à la fois sur le personnage, mais aussi sur l’état de la Martinique à l’époque. Je remercie le service historique de la défense, les archives nationales de l’outre-mer, plus particulièrement Jean-François Nativité du service des archives et de la mémoire de la gendarmerie et le lieutenant-colonel de la réserve citoyenne Philippe Dubois, grand passionné et collectionneur du patrimoine de la Martinique. Enfin, merci à Florent Charbonnier, éditeur sévère mais juste de Caraïbéditions.


Dans votre carrière, vous avez été nommé Commandant des forces de gendarmerie en Martinique. Que vous a inspiré cette île et ses habitants ? 


La société créole se distingue par un tempérament frondeur, la générosité de son cœur et l’hospitalité de son caractère. L’âme martiniquaise ne s’ouvre qu’à la douceur et à la sympathie à la condition que vous respectiez son histoire. C’est comme cueillir une rose. Si vous vous y prenez mal, vous vous piquez avec ses épines. En revanche, si vous savez y faire avec sincérité, elle vous offre tous ses enivrants parfums. Je n’ai jamais été aussi bien accueilli dans toute ma carrière et fait d’aussi belles rencontres humaines. Comme Joseph France en 1843, j’ai reçu la belle Martinique en plein coeur. Mon képi est désormais à Paris, mais mon coeur est resté en Martinique… 



Votre ouvrage ne montre-t-il pas finalement que les valeurs universelles doivent être incarnées par chacun d’entre nous, quel que soit son grade et ses qualités ? 


Oui, et cela se résume très bien dans ce proverbe créole : « La parole de l’homme fait l’homme... »

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