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Les Départements sont en première ligne des solidarités humaines et territoriales


Interview François SAUVADET, Président de L'Assemblée des Départements de France (ADF)





Les dépenses des départements ont considérablement augmenté ces derniers mois (augmentation du RSA, avenant 43 pour les aides à domicile, revalorisation du point d’indice des fonctionnaires, crise énergétique, etc.). Qu’attendez-vous aujourd’hui du gouvernement dans ce nouveau contexte économique ?


Les dépenses des Départements n’ont pas augmenté. Elles ont explosé ! J’ai fait chiffrer le coût total en France des charges nouvelles pour nos Départements : cela représente 2 milliards et demi ! Chez moi, dans mon département de Côte-d’Or, cela représente 30 millions de dépenses supplémentaires… Sans parler des hausses historiques du coût des matériaux, de l’alimentation ou encore des matières premières.

La réalité c’est quoi ? C’est que nous n’avons plus de marge.


Les Départements doivent retrouver leur capacité à agir ! Face à cette crise violente, l’État doit faire confiance aux élus locaux et surtout cesser d’éloigner les centres de décision de nos compatriotes, dont le besoin de proximité n’a jamais été aussi fort.


Êtes-vous satisfait du projet de loi de finances 2023 ? La prise en compte de l’évolution des dépenses d’énergie par le gouvernement vous paraît-elle suffisante ?


Nous avons besoin de stabilité et de visibilité sur nos moyens d’agir, car chacun le sait, nos ressources, nos droits de mutation vont baisser inévitablement !

Comme nos ressources sont essentiellement faites de dotations, la baisse à venir des DMTO menace directement notre capacité à investir. Je le rappelle, nous sommes le 1er investisseur aux côtés des communes et l’investissement public dans notre pays est porté à 70% par les collectivités locales.


Alors évidemment, nous nous félicitons que la Première ministre ait renoncé au dispositif de sanctions financières à l’encontre des collectivités locales. Nous avons démontré au Gouvernement que même les Départements qui à l’époque n’avaient pas signé les fameux « contrats de Cahors » avaient fait le choix du sérieux budgétaire. Nous l’avons appelé à nous faire confiance et surtout à mettre effectivement nos moyens en adéquation avec l’évolution des charges que l’État nous impose.


En lien avec le Gouvernement et les parlementaires aux défis auxquels nous sommes confrontés, nous avons également obtenu l’exonération du malus écologique sur les véhicules des SDIS, ou encore que les Départements bénéficient également du bouclier tarifaire, auquel s’ajoute l’ « amortisseur électricité » (1 Md pour les collectivités).


N’est-il pas temps que l’État change radicalement son logiciel de référence urbain dans le domaine des politiques publiques, afin de mieux traiter les enjeux de la ruralité et de l’hyper-ruralité ?


Les Départements sont en première ligne des solidarités humaines et territoriales. Ils voient la montée des précarités puisqu’ils la vivent de près ! Mais cette crise frappe encore plus durement le monde rural et les territoires périphériques où on a besoin de sa voiture. Les contraintes y sont plus fortes pour l’emploi, les déplacements, l’accès aux services, aux commerces ou à la santé.


J’appelle le Gouvernement à bien mesurer l’enjeu et à apporter des réponses urgentes en faisant jouer la solidarité nationale à l’égard des Département les plus ruraux. Nous, Départements de France, devons avoir la possibilité de soutenir l’économie de proximité, maillon essentiel de la vie des Français et de l’attractivité des territoires. Il ne s’agit pas de nous substituer à l’État, qui doit assumer ses responsabilités, mais de nous permettre d’apporter des solutions pour agir massivement en faveur du monde rural. Les Français attendent de nous des réponses adaptées à leurs besoins, des solutions concrètes, une vision responsable et ambitieuse pour l’avenir.


Malgré une facture énergétique qui a explosé depuis la crise – chez moi en Côte d’Or cela représente 6 millions d’euros – nous devons continuer d’investir massivement, notamment dans les secteurs de la santé et l’offre médico-sociale, parce que nous ne voulons pas voir des services fermer dans des territoires déjà sous-dotés. Chaque village comme chaque habitant comptent et tout le monde doit pouvoir se voir un avenir là où il a choisi de vivre !


Pour faire face à la flambée des coûts de production des artisans et des commerçants, êtes-vous favorable à ce que les départements puissent soutenir l’économie de proximité ?


Nous devons évidemment pouvoir soutenir l’économie de proximité. Nous avons démontré une exceptionnelle capacité d’adaptation et d’innovation pour agir efficacement au service des Français, en particulier les plus vulnérables. Nous sommes les garants du développement équilibré de nos territoires.


Et je regrette que depuis la loi NOTRé de 2015, les Départements n’aient plus le droit de soutenir directement les entreprises. C’est une aberration ! Ils agissent chaque jour pour améliorer la vie des Français et ont mal vécu ce coup porté à la décentralisation, dont découlent bon nombre de blocages et de fractures dans notre pays. La décentralisation, c’est-à-dire la liberté de décider et d’agir reconnue aux élus locaux et à travers eux aux électeurs, est le principal moteur de notre démocratie française.


La crise énergétique que nous vivons actuellement est la parfaite illustration de ces blocages : les boulangers, bouchers, charcutiers, restaurateurs, comme tous les artisans et commerçants de proximité, font face à une flambée inédite de leurs coûts de production. Les premières victimes de la crise énergétique sont encore une fois les PME et les TPE, ces artisans du monde rural qui vivent une double peine avec, aussi, l’explosion des prix des carburants. Ils nous appellent à l’aide, car les Départements sont, avec les Maires, avant tout des élus de proximité et nous ne pouvons répondre à leurs attentes. C’est insupportable ! Les Français se fichent pas mal de savoir que telle ou telle loi a donné à telle ou telle collectivité la compétence de faire ceci ou cela. Ils veulent que leurs problèmes soient pris en considération et ils se tournent naturellement vers les élus qu’ils connaissent.


Nous demandons donc à restaurer effectivement l’autonomie que la décentralisation nous a conférée, car à travers les politiques départementales, c’est la diversité des situations locales qui prend corps : à chaque département son identité, ses problématiques et ses réponses adaptées.


En tant que président de DF, considérez-vous que les départements soient des acteurs suffisamment engagés en matière de développement durable et de transition énergétique ?


Face à l’urgence climatique et la hausse des prix de l’énergie, le déploiement rapide des énergies renouvelables comme la relance de notre filière nucléaire sont autant de défis pour nos territoires. C’est le rôle de l’Etat.


Mais la maille départementale est propice au déploiement rapide des énergies renouvelables. C’est pour cela que Départements de France appelle à la formalisation d'une stratégie départementale des énergies renouvelables.


L'échelon départemental permet en effet de traduire en actions les stratégies territoriales et assure le déploiement de projets d'énergies renouvelables. Les Départements ont démontré qu’ils étaient capables d'impulser et de piloter ces actions en fédérant l'ensemble des acteurs de leur territoire. Je vous invite, à titre d’illustration à vous tourner du côté de la Vendée pour voir ce que les Départements sont en mesure d’apporter en la matière.


Selon vous, quels sont les grands enjeux de 2023 et que peut-on souhaiter à notre pays pout cette nouvelle année ?


Nous entamons 2023 dans un contexte lourd et anxiogène pour nos compatriotes et pour nos collectivités confrontées à une inflation sans précédent. Nous connaissons un cycle ininterrompu de crises : les Gilets Jaunes, le Covid et depuis presque un an, la guerre à nos portes, en Ukraine. Alors que je réponds à votre interview, une série de grèves se profile…


Ce que les Français savent, c’est que les Départements les soutiennent au jour le jour, tout en investissant pour assurer leur avenir. Ces missions de solidarités humaines et territoriales sont d’autant plus essentielles dans le contexte de crise sociale et économique que nous traversons.


J’ai une conviction profonde : pour bien diriger la France, il faut voir loin, mais pour bien la gouverner, il faut aussi la regarder de près ! Nous sommes, nous les Départements, en mesure d’apporter cette réponse de proximité aux côtés de l’État, avec nos 340 000 agents, qui sont sur le terrain, qui connaissent les familles, et avec nos élus territoriaux, mais aussi avec les maires.


Oui, le Gouvernement doit avoir conscience que nous avons l’expérience et les compétences, pour apporter des solutions individualisées à chaque situation, au plus près des familles.

Il faudra continuer à travailler sur l’évolution de nos ressources pour faire face, car de nombreux Départements sont en difficulté. Il n’y aura pas d’efficience locale sans autonomie fiscale. Nous sommes prêts à travailler à une véritable décentralisation que nous réclamons, et que le Président de la République envisage. Non pas une énième loi de réorganisation des compétences territoriales, mais bien un changement de culture, une nouvelle ambition. Pour laisser les initiatives de terrain se réaliser, l’État doit amener plus de souplesse dans la conduite de l’action publique. Il doit faire confiance aux élus locaux et surtout cesser d’éloigner les centres de décision et les services publics de nos compatriotes, dont le besoin de proximité n’a jamais été aussi fort. Les collectivités doivent avoir le pouvoir d’expérimenter, de simplifier et d’adapter les normes, en fonction des réalités vécues par les Français.


Pour certaines compétences phares, on peut imaginer que le Département puisse par exemple, tenir le rôle de chef de file, de pilote, sans remettre en cause les compétences de chacun.


Ce serait une petite révolution dans la pensée centralisatrice de l’État français et nous sommes prêts à prendre toute notre part dans ces réflexions.




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