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« La dématérialisation est un outil qui doit permettre de gagner du temps afin de le consacrer là où il est réellement nécessaire. »


Madame Nadège Havet, Sénatrice du Finistère


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Entretien autour du rapport d'information « L’accès aux services publics : renforcer et rénover le lien de confiance entre les administrations et les usagers » publié le 16 septembre 2025


1. La mission d’information « L’accès aux services publics : renforcer et rénover le lien de confiance entre les administrations et les usagers » a été créée à l’initiative du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants (RDPI). Lors de cette mission, vous avez constaté des « fractures persistantes face à la dématérialisation des services », malgré de récentes avancées. Pourriez-vous nous présenter ces fractures et en donner quelques exemples concrets (âge, handicap, équipement…) ? 


Tout d’abord, il faut bien comprendre que la fracture liée à la dématérialisation touche en réalité l’ensemble des publics. Spontanément, nous pensons en premier lieu aux personnes âgées qui rencontrent des difficultés à suivre l’évolution rapide des outils numériques, mais les plus jeunes sont eux aussi largement concernés. S’ils maîtrisent très bien les smartphones et les réseaux sociaux, ils sont souvent beaucoup moins à l’aise lorsqu’il s’agit de démarches administratives en ligne et ont besoin d’un accompagnement. Lors de nos déplacements dans le cadre de cette mission, une phrase nous a particulièrement marqués : alors qu’une conseillère recommandait à un usager d’aller sur Internet, celui-ci lui a répondu : « mais… il est où, Internet ? ». Nous avons également rencontré des publics qui ont des difficultés avec la langue française et avec la « langue administrative », constituant en elle-même un obstacle. 


Par conséquent, il est impératif aujourd’hui de sécuriser le droit à l’erreur, afin que toute personne accomplissant une démarche administrative puisse se tromper en toute bonne foi. C’est ce que fait la Direction Générale des Finances Publiques (DGFiP) : lorsque vous remplissez votre déclaration d’impôts, des dates butoirs de dépôt sont prévues. L’administration procède ensuite à une première vérification, puis vous permet de rouvrir et de corriger votre déclaration, souvent jusqu’à la fin de l’été. Cela montre bien que l’administration reconnaît qu’il est possible que vous commettiez une erreur et vous autorise à revenir sur vos déclarations afin d’effectuer une correction. Cependant, il nous est apparu que cette souplesse est très rare et ne concerne qu’un nombre limité de formulaires administratifs. Le plus souvent, lorsque l’on constate une erreur, il faut envoyer un mail. Or, ce dernier n’est pas forcément traité en même temps que le formulaire initial, ce qui a pour effet de créer des difficultés supplémentaires. C’est pourquoi il est tout à fait compréhensible que les usagers souhaitent un interlocuteur dédié pour les accompagner dans leurs démarches.


2. Un de vos principaux axes de travail consiste en la consolidation de France services, une initiative déployée depuis 2020 afin de « répondre au sentiment d’abandon » dans certains territoires. En quoi son renforcement vous paraît-il aujourd’hui déterminant pour revitaliser le lien entre citoyens et services publics ?


Le programme France services, héritier des Maisons de services publics, constitue aujourd’hui une priorité à plusieurs titres. Tout d’abord, il se donne pour mission principale de réimplanter un service public de proximité dans les territoires où il avait disparu ou était insuffisamment présent. Ainsi, l’objectif du programme est que chaque personne puisse accéder à une agence à moins de 25 minutes de chez elle.


Au-delà de cet enjeu territorial, les agences France services ont pour objectif de maintenir un lien entre les différentes administrations, permettant ainsi de regrouper en un seul et même lieu toutes les problématiques que peuvent rencontrer les administrés. Les conseillers France services disposent de 12 partenariats avec des administrations, et peuvent également développer des partenariats locaux, en fonction des besoins spécifiques des territoires et de la volonté des élus locaux. En effet, ces derniers peuvent juger nécessaire de solliciter d’autres partenariats pour répondre aux enjeux particuliers auxquels leurs habitants sont confrontés.


De plus, selon les départements et les maisons France services, certaines actions varient d’un territoire à l’autre. Par exemple, lors de la période de déclaration d’impôts, la DGFiP se déplace parfois directement dans une maison France services, tout comme la Caisse d’Allocations Familiales (CAF), qui peut se rendre dans certains territoires pour répondre aux questions des usagers lors de rendez-vous. Cependant, cette présence n’est pas systématique et n’existe pas partout. À l’inverse, dans la communauté de communes où je suis élue, celle du Pays des Abers (13 communes), nous expérimentons une autre approche : ce sont les maisons France services qui se déplacent et sillonnent les mairies, afin que leurs conseillers puissent mettre leur savoir-faire à disposition de ceux qui en ont le plus besoin. Ainsi, les deux maisons France services présentes sur ce territoire, se rendent dans les mairies des 11 autres communes dépourvues d’agences.


3. « La mission d’information est parvenue à la conclusion que les pouvoirs publics doivent garantir à l’usager le choix du canal par lequel il souhaite entrer en relation avec l’administration (omnicanalité) », en soulignant l’importance de conserver l’accueil physique des usagers. Comment garantir ce « canal humain » dans les zones où les effectifs et/ou les ressources sont limitées (notamment au sein zones rurales, outre-mer, et quartiers prioritaires de la ville) ?


Nous avons pu observer plusieurs initiatives favorisant la préservation de ce « canal humain ». Par exemple, dans un quartier de Villeurbanne, à l’initiative des élus locaux, un service de permanence dans une agence postale a été mis en place pour les habitants. Dans le département du Rhône, on trouvait auparavant des « maisons de Département », où étaient notamment présentes des structures comme les PMI (Protection Maternelle et Infantile). Aujourd’hui, ces maisons sont devenues des maisons France services, afin de renforcer ce maillage et de s’appuyer sur l’existant. Car il n’est pas nécessaire de chercher à réinventer coûte que coûte les choses ; il faut également pouvoir faire confiance aux associations et aux acteurs locaux, déjà très présents dans les départements. Par exemple, lors de notre déplacement dans un quartier prioritaire du Rhône, nous avons découvert des actions « en bas de l’immeuble », lors desquelles les acteurs locaux vont au plus proche des habitants, dans une véritable dynamique d’aller-vers.


Il est aussi essentiel de comprendre que la dématérialisation est un outil qui doit permettre de gagner du temps afin de le consacrer là où il est réellement nécessaire. J’ai pu constater ce phénomène dans une autre vie, lorsque j’étais responsable d’équipe dans un pôle emploi (ndlr : actuellement France Travail) et que la dématérialisation de nombreuses procédures nous a permis de libérer un temps important pour de l’accompagnement sur-mesure et des rendez-vous. Nous avions pour habitude de nous dire d’« en faire plus pour les gens qui en ont le plus besoin ». C’est exactement ce que doit permettre la dématérialisation : dégager du temps par téléphone ou en présentiel afin que quelqu’un, un humain, accompagne réellement ceux qui en ont le plus besoin. Nous pouvons nous réjouir de voir des élus locaux qui connaissent très bien leur population, œuvrer pour mettre en place des initiatives adaptées à leur territoire. Cela peut passer, par exemple, par des associations offrant de l’aide au numérique ou par des médiathèques qui proposent un accompagnement spécifique avec une mise à disposition de leurs locaux et de leur matériel informatique. Aujourd’hui, il me semble essentiel de cartographier ces initiatives, de les observer et de les faire connaître, car beaucoup de choses se font déjà sur le terrain. Nous pouvons avoir l’impression qu’il faut se rendre à la préfecture ou dans la grande ville voisine pour effectuer des démarches administratives, mais ce n’est pas toujours nécessaire : souvent, des services existent bien plus près des habitants.


De plus, il ne faut pas oublier un autre élément important, que j’ai appris dans l’exercice de mes anciennes fonctions à pôle emploi. Franchir la porte d’une administration pour faire une demande, entrer dans un espace public qui peut paraître froid, avec des règles ou des codes que l’on ne comprend pas forcément, peut déjà constituer un premier facteur bloquant. C’est là tout le succès des maisons France services, qui va bien au-delà de la proximité qu’elles offrent ; Un rendez-vous avec un conseiller France Travail dans une maison France services ne sera pas vécu de la même manière que s’il avait eu lieu au sein d’une agence France Travail traditionnelle. De nombreux freins peuvent être facilement levés lorsque les usagers effectuent leurs démarches dans un environnement où ils se sentent en confiance, au sein même de leur village ou de leur quartier. 


Ces initiatives peuvent être complétées par d’autres actions comme par exemple la création d’un module destiné aux jeunes, lors de l’obtention de leur première Carte Vitale, pour leur expliquer les démarches administratives qu’ils auront besoin d’effectuer lors de leur entrée dans la vie active. Ce module pourrait, par exemple, couvrir la procédure d’obtention de la Carte Européenne d’Assurance Maladie en cas de soins à l’étranger, ainsi que d’autres aspects « pratico-pratiques » de la vie de jeune adulte. Idéalement, tous les jeunes recevraient une fiche récapitulative des démarches à connaître au sein des CROUS et des universités. 


Pour tout type de publics, nous recommandons enfin de valoriser et de promouvoir le site service-public.fr, qui propose des fiches pratiques accompagnant différents moments de la vie, avec, par exemple, une page complète expliquant les démarches à effectuer lors du décès d’un proche, ce qui peut s’avérer particulièrement utile dans ces moments délicats.


4. Vous recommandez la création de signes distinctifs infalsifiables pour les sites officiels ainsi que le renforcement de la protection contre les sites frauduleux (notamment ceux proposant de réaliser les démarches administratives des usagers contre rémunération). Quelles étapes concrètes envisagez-vous pour mettre en place ces dispositifs ? 


Tout d’abord, il est nécessaire de consolider le travail avec les plateformes, afin que les sites officiels soient correctement référencés et facilement accessibles aux usagers. Il conviendrait ensuite de mettre en place un code couleur et une typologie unique pour ces sites, un peu à la manière d’une carte d’identité numérique. Ensuite, il sera indispensable de renforcer notre arsenal pénal concernant les sites frauduleux, avec une mise à jour du code pénal et des sanctions adaptées. La promotion du site service-public.fr doit également être intensifiée, afin que les usagers l’identifient clairement comme une source fiable.


Enfin, au-delà du risque de se voir extorquer des fonds pour accomplir une démarche administrative, il faut également s’interroger sur la sécurité des données que transmettent les usagers à ces sites payants. Nous avons constaté que, très souvent, ces plateformes demandent un paiement unique, mais peuvent ensuite prévoir un prélèvement mensuel si l’usager ne reste pas vigilant. Il faut ainsi s’assurer de la protection des usagers contre ces risques, à mesure que nous développons les services publics dématérialisés. 


5. Enfin, l’outil “Albert”, faisant appel à l’intelligence artificielle, est testé dans certaines structures France services afin d’aider les agents dans leurs démarches. Quels enseignements tirez-vous de cette expérimentation ? Comment concilier l’usage de l’intelligence artificielle avec le maintien d’un contact humain et personnalisé pour les usagers ?


L’outil d’intelligence artificielle « Albert » est bien en cours d’expérimentation dans les maisons France services. En juin dernier, Mistral a été annoncé comme son nouveau partenaire technique afin de l’améliorer. Cet outil permet notamment d’assister les conseillers en leur offrant un appui numérique quotidien et fiable, ainsi que des réponses à jour et contextualisées sur de nombreuses démarches administratives. Les conseillers que nous avons rencontrés dans le cadre de notre mission en étaient satisfaits et ont souligné un gain de temps considérable dans leur accompagnement des usagers. 


Avec cet outil, nous revenons au même enjeu : tout ce qui a trait à la dématérialisation et à l’intelligence artificielle doit permettre de gagner du temps et de l’efficience, en facilitant les démarches, sans pour autant se substituer au lien humain entre agents et usagers. Il est intéressant de constater que ces outils font souvent peur, dans la continuité de l’appréhension qu’avait entraîné l’arrivée du numérique. Dans l’intelligence collective, on a tendance à penser que l’intelligence artificielle va nous « remplacer », alors qu’il s’agit surtout d’un outil de soutien, d’un facilitateur. C’est pourquoi il faut utiliser cet outil en le contrôlant, avec du recul, afin de vérifier que les bonnes questions ont été posées et que l’outil a consulté des sources fiables. 


Quelles sont les prochaines étapes pour votre rapport ? 


Dès que nous le pourrons, nous remettrons ce rapport au ministère concerné. Il y aura ensuite un grand travail sur les sites frauduleux et nous déposerons une proposition de loi spécifique afin d’adapter notre législation aux recommandations visant à lutter contre les sites frauduleux proposant, contre rémunération, d’effectuer des démarches administratives des usagers. Il est en effet nécessaire que ces sanctions soient renforcées et plus appropriées, avec un code pénal et un code de la consommation en adéquation avec l’évolution technique d’aujourd’hui. 

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