Entretien avec Guillaume Jouffre, co-fondateur et CEO de GreenGo.
Vous êtes co-fondateur et CEO de GreenGo. Pouvez-vous nous présenter la start-up à impact qu’est GreenGo ?
GreenGo est un site de réservation d’hébergements qui, à la différence des autres plateformes, sélectionne les hébergements qu’il propose. La sélection s’opère sur deux volets : l’engagement dans une démarche éco-responsable et la proposition d’une expérience qui sort de l’ordinaire. Nous évaluons l’éco-responsabilité des hébergements avec plus de 100 critères environnementaux. En revanche, leur « je-ne-sais-quoi » - un hébergeur unique, un cadre hors du commun, etc. - s’apprécie davantage à l’effet sympathie qu’ils provoquent.
Cette double sélection est la conséquence logique de la raison d’être de GreenGo, à savoir construire un tourisme plus durable. Je veux dire que, construire un tourisme plus durable, cela demande de voyager plus près de chez soi et dans des lieux plus respectueux de l’environnement. Or, on ne parviendra à répandre ce tourisme responsable qu’à condition de le rendre désirable. C’est pourquoi nous proposons des hébergements éco-responsables et séduisants.
Du reste, la forte activité de GreenGo dès son lancement en 2021, et alors que nous ne disposions que de 50 hébergements, a montré que cette offre répondait à une véritable demande des voyageurs. Devant ce succès, nous avons fait, l’année dernière, une première levée de fonds de 1.5 millions d’euros auprès de business angels mais aussi de notre communauté puisque nous comptons 420 micro-actionnaires. GreenGo est aujourd’hui en plein développement avec, d’une part, un passage à l’échelle en matière d’offre d’hébergements durables - plus de 5.000 désormais - et, d’autre part, la création de nouvelles fonctionnalités pour une démarche plus intégrée autour d’un voyage local et bas carbone. L’idée n’est pas seulement d’être un Airbnb vert, mais aussi une plateforme de tourisme responsable traitant toutes les problématiques sociales et environnementales causées par le tourisme.
D’ailleurs, je sais votre prise de conscience environnementale et, avec elle, votre volonté d’entreprendre pour le bien commun à l’origine de GreenGo…
C’est un long processus mais, à grands traits, après un cycle d’ingénieur à l’École polytechnique et cinq ans de conseil durant lesquels j’aidais de grandes boîtes à optimiser leurs revenus, je décide de faire une pause de trois mois, au moment de mon mariage en 2019. Je réalise alors un tour d’horizon des destinations pour mon voyage de noces et, de façon simultanée, je découvre l’urgence de la question climatique et la nécessité immédiate d’agir pour préserver l’environnement.
Par ailleurs, pour être honnête, je n’avais pas prévu d’être consultant toute ma vie. L’idée de monter ma boîte m’était familière, mais j’y voyais plutôt la suite logique de ma carrière qu’une source d’impact et de sens. La découverte de l’urgence climatique constitue, pour moi, une vraie rupture puisqu’elle a donné, à mes yeux, tout son sens à l’entreprenariat, en tant qu’il est pensé par et pour son impact social et environnemental.
Pourquoi décidez-vous d’entreprendre dans l’industrie du tourisme ?
Pour l’impact ! Au moment de me lancer dans l’entreprenariat, j’ai mis mon expérience de consultant à profit en faisant une étude de l’empreinte carbone de plusieurs industries. Très vite, l’industrie touristique est sortie du lot. D’abord, objectivement, le tourisme représente 11% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. C’est assez éloquent. Puis, subjectivement, découvrir qu’un vol Paris-New-York représente 2 tonnes de CO2 par voyageur, c’est-à-dire le budget carbone d’une année entière pour limiter le réchauffement climatique à 2 degrés Celsius, cela m’a sidéré. Je me suis rendu compte que, en cinq ans de consulting à travers le monde, j’avais utilisé mon budget carbone pour 30 ans ! Et, en même temps, il y a tellement d’endroits à découvrir à côté de chez moi, que je ne connais pas et qui sont accessibles pour quelques kilos de CO2.
Je décide alors de contribuer à construire un tourisme plus durable – ce qui sera la raison d’être de GreenGo. Si le cœur de l’impact environnemental du tourisme est le volet transport, il me semblait difficile d’imaginer une solution innovante avec un modèle économique viable sur ce volet. En revanche, en comparant la distribution d’hébergements avec la distribution alimentaire, je m’aperçois qu’il n’y a pas de plateformes qui sélectionnent les hébergements qu’elles proposent, comme c’est le cas dans l’alimentaire avec des acteurs, en pleine croissance, qui ne distribuent que des produits issus de la filière bio. Promouvoir les richesses locales, préserver l’environnement, mieux rémunérer l’ensemble des acteurs de la chaîne de valeur ; ce sont autant de passerelles entre les distributeurs alimentaires éco-responsables et ce qui devient peu à peu une idée de start-up, à savoir GreenGo.
J’y voyais aussi une question de souveraineté économique. Le tourisme représente 8% du PIB français. Pourtant, le marché de l’hébergement est capté par deux acteurs américains que sont Airbnb et Booking. Devons-nous nous résigner à ne pas avoir d’alternative française à ces grandes plateformes américaines ? Évidemment que non, et le choix du nom de GreenGo illustre l’idée que je me fais du sujet. La référence au gringo, l’américain pillant les richesses d’un territoire qui n’est pas le sien, renvoie, avec un peu d’humour, à ce qui se passe aujourd’hui avec Airbnb et Booking. Et si on nous reproche parfois la consonnance anglo-saxonne de GreenGo, il n’en reste pas moins qu’une alternative crédible à ces plateformes ne peut se faire sans un développement à l’échelle européenne. Donc GreenGo !
La promesse d’impact que porte GreenGo est essentielle. Est-elle également à la racine de l’attractivité de la plateforme ?
Je ne crois pas que l’attractivité d’une start-up à impact ne puisse jamais se résumer à son impact. C’est seulement lorsque sa démarche engagée se traduit dans sa proposition de valeur qu’elle en devient attractive.
L’impact, cela se traduit souvent par « moins mais mieux ». Sur GreenGo, les hébergements sont moins nombreux mais ils sont aussi de meilleure qualité, avec une notation moyenne de 9.6/10 par les voyageurs et une empreinte carbone plus faible. Parce que nous sommes une entreprise à mission qui rémunère mieux les hébergeurs, via une commission de 12% contre 18% pour les grandes plateformes, les hébergeurs s’engagent, à leur tour, à respecter un rapport qualité prix plus équitable. Les hébergements y sont donc moins chers qu’ailleurs. Enfin, ils sont véritablement mis en valeur puisque nous sommes engagés dans la promotion de nos régions.
Précisément, comment GreenGo se pense-t-il dans, et avec, les territoires ?
Les territoires sont au cœur de GreenGo. Un des objectifs sociaux et environnementaux sous-jacents à la mission de GreenGo est de construire un tourisme qui bénéficie aux personnes vivant sur le territoire en question. Cela implique de s’imposer des règles : nous sommes en train de définir des quotas d’hébergements dans chaque territoire pour ne pas se développer comme Airbnb, au détriment des populations locales. Cela doit se faire en collaboration avec les collectivités. Par ailleurs, nous avions conclu un partenariat avec la région Auvergne Rhône-Alpes pour valoriser les sites d’exception de la région en contrepartie d’une meilleure visibilité de notre plateforme. C’est une initiative qu’on souhaite répliquer. Plus nous serons à proposer un nouvel imaginaire, plus la valorisation de nos territoires sera importante ; plus l’impact de GreenGo le sera également.
Quelles sont les prochaines étapes du développement de GreenGo ?
Notre objectif, à moyen terme, est de développer de nouvelles fonctionnalités autour de l’hébergement pour proposer une démarche environnementale plus intégrée. Il nous faut être capable d’associer à chaque voyage un montant de CO2 émis, selon l’hébergement mais aussi le mode de transport choisi. En outre, nous voulons faciliter l’accès décarboné aux hébergements que nous proposons.
Par ailleurs, le développement naturel de GreenGo est le marché européen. L’Europe a la chance d’avoir un réseau ferré exceptionnel, bas carbone et cela donne à voir d’innombrables destinations. L’objectif demeure le même, à savoir flécher les voyageurs vers les destinations pour lesquelles leur empreinte carbone est la plus faible, mais si l’offre se renforce toujours davantage, les voyageurs considéreront aussi plus notre solution. L’ambition de GreenGo est d’offrir un optimum de liberté, de plaisir et d’impact et l’Europe propose une bonne combinaison à cet égard. En outre, le développement de GreenGo au niveau européen est une condition sine qua non à la viabilité de son modèle économique et, avec elle, à l’existence d’une alternative aux plateformes américaines.
Vous évoquiez plus haut l’évolution de votre vision de l’entreprenariat avec votre éveillement à l’urgence climatique. Comment vivez-vous l’aventure GreenGo désormais ?
Je disais que l’impact de l’entreprenariat est ce qui lui a donné, à mes yeux, tout son sens. Je veux dire que je me suis lancé dans l’aventure GreenGo avec l’impact dans les tripes. C’est aussi ce qui fait la difficulté de l’entreprenariat à impact puisque sa valorisation n’est pas uniquement économique. Par exemple, le choix de prendre une commission plus faible que nos concurrents est souvent incompris par les investisseurs traditionnels alors même qu’il s’inscrit dans une culture d’entreprise qui ventile après sur nos services, notre attractivité interne et externe, les talents et les partenaires… Il manque un véritable écosystème de valeurs avec des investisseurs qui aient une meilleure compréhension du monde de l’impact. On sait que ces investisseurs existent, mais moins où ils se trouvent ! Rires.
De façon plus personnelle, je vis un peu l’entrepreneuriat comme un voyage initiatique. Lancer une start-up à impact, cela vous amène à vous pencher en permanence sur des enjeux qui vous dépassent. En retour, ces enjeux vous rappellent la nécessité de votre action. C’est pourquoi j’en fais un devoir personnel : c’est tellement nécessaire de montrer que les entreprises à impact sont non seulement souhaitables mais également viables. Enfin, et c’est peut-être le plus essentiel, j’aborde GreenGo comme une opportunité de vivre une aventure engagée avec des personnes qui me sont chères et qui contribuent à lui donner son sens.
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