Entretien avec Sabrina SEBAIHI, députée des Hauts-de-Seine, porte-parole du groupe EELV, membre de l'AEF.
Vous êtes née le 10 mai 1981, jour de l’élection de François Mitterrand. Pourrait-on dire que la politique, vous êtes tombée dedans étant petite ?
On peut dire cela, mais je crois que cela tient davantage à la passion de mon père pour la politique qu’au 10 mai 1981. J’ai été élevée en suivant l’actualité politique. Une fois mon bac obtenu, j’ai longuement hésité entre des études de sciences politiques et de médecine. Finalement, j’ai fait le parcours à l’envers : de la médecine à la science politique !
Quoi qu’il en soit, le 10 mai 1981 est une date très symbolique. On me dit souvent que mon engagement politique était écrit. Dans le contexte actuel, je me plais à répondre que François Mitterrand, c’est peut-être le seul président qui a fait une bonne réforme des retraites !
À ce propos, vous avez été élue députée de la circonscription de Nanterre et Suresnes (quatrième circonscription des Hauts-de-Seine) face à la centriste Isabelle Florennes. Porte-parole des élus écologistes, quel regard portez-vous sur le comportement de certains parlementaires de la France insoumise pendant les débats sur la réforme des retraites ?
Le choix du gouvernement d’imposer un délai d’examen du texte de dix jours allait nécessairement conduire à des débats houleux. S’il est certain qu’il y a eu des expressions malheureuses, elles ont toutefois fait l’objet d’une instrumentalisation démesurée. Par exemple, nous avons occulté le fait que l’allongement de la durée de cotisation allait faire mourir des gens au travail pour nous concentrer sur la qualification du ministre du Travail d’assassin – aussi regrettable soit-elle – par le député Aurélien Santoul (LFI). Du reste, on a beaucoup pointé du doigt le comportement des députés de la France insoumise, mais tous les bancs étaient agités.
Il s’agit d’une réforme importante qui va toucher des millions de Français. Les enjeux fondamentaux qu’elle soulève appellent nécessairement une certaine âpreté des débats. Ceux-ci doivent se faire dans le respect tout en retranscrivant l’intensité de la contestation populaire qui compte sur nous. C’est un équilibre délicat, mais l’Assemblée nationale n’est que le reflet, avec un effet grossissant, de ce qui se passe dans la société.
Les députés écologistes ont dénoncé un "raté stratégique de LFI" sur la réforme des retraites, jusqu'à plaider pour un "acte II de la Nupes". Comme les communistes et les socialistes, votre groupe souhaitait accélérer les débats à l'Assemblée pour examiner l'article clef sur l'âge légal de départ à 64 ans. La bataille semble perdue sur le plan législatif. Quelle stratégie allez-vous désormais adopter ?
Sur le fond de la réforme, il n’y a aucun désaccord au sein de la Nupes. Les divergences portaient sur la vitesse de retrait des amendements que nous voulions plus soutenue. En réalité, ce sont les députés de la majorité qui se sont efforcés de freiner le travail parlementaire pour ne pas aller jusqu’à l’article 7 en demandant des scrutins publics sur chaque amendement. Nous aurions souhaité accélérer le retrait des amendements déposés par notre intergroupe pour les obliger à sortir du bois. Cela ne s’est pas passé comme voulu mais, de toute façon, je suis convaincue que nous ne serions pas arrivés à l’article 7.
Par ailleurs, il eût été inconcevable de ne pas débattre des premiers articles d’une réforme aussi structurante. C’est par l’examen approfondi du début du texte que nous avons pu mettre à jour les contre-vérités du discours gouvernemental, comme la promesse d’une pension minimale de 1200 € pour tous. En outre, le texte va revenir à l’Assemblée après son examen au Sénat. Nous aurons donc l’occasion de continuer nos débats et, surtout, d’accompagner la mobilisation dans la rue.
Lorsque la Nupes travaille ensemble, elle fonctionne très bien. L’appel à son acte II est une invitation à amplifier la coordination de nos actions et à ne plus refaire les erreurs stratégiques qui ont desservi toutes les composantes de l’intergroupe.
La France et l’Europe traversent depuis plusieurs mois une véritable crise énergétique. Après la catastrophe de Fukushima en 2011, la part du nucléaire a été progressivement réduite dans de nombreux pays européens, en faisant accroître notre dépendance au gaz russe et aux énergies carbonées (charbon). En portant son objectif à 40 % d’EnR d’ici 2030 (au lieu de 32 % initialement), et l’accélération du déploiement d’énergies renouvelables, l’Europe apporte-t-elle une solution pérenne au défi énergétique ?
Nous aurions dû prendre le virage des énergies renouvables il y a un certain temps déjà. Quoi qu’il en soit, la prise de conscience de notre dépendance énergétique est louable bien qu’elle ait nécessité le retour de la guerre en Europe. L’examen prochain d’un projet de loi sur l’accélération du nucléaire à l’Assemblée montre toutefois que toutes les leçons n’ont pas été tirées : l’énergie nucléaire est décarbonée, mais elle ne garantit pas notre indépendance. L’uranium ne pousse pas en France.
En outre, le texte de loi sur les énergies renouvelables n’est pas assez ambitieux car il n’évoque que le photovoltaïque et l’éolien. Les énergies renouvelables sont bien plus nombreuses ! Et c’est précisément cette diversité des énergies renouvelables qui nous permettra d’atteindre la véritable indépendance énergétique. D’ailleurs, un des scénarios de RTE France ne prévoit pas 40% mais 100% d’énergies renouvelables d’ici à 2050. Cela ouvre le champ des possibles et montre le manque d’ambition du Gouvernement sur ce sujet.
Vous avez dit récemment que le cœur de votre engagement politique sont « les personnes précaires les plus impactées par l’injustice environnementale ». Pourriez-vous nous préciser cette pensée ? Est-ce le sens de votre motion, portée lors du dernier congrès EELV, pour une écologie « populaire et inclusive » reconnectant « l’écologie avec les banlieues » ?
Les racines de mon engagement sont les injustices sociales. J’ai ensuite réalisé que celles-ci se traduisaient dans l’organisation du territoire, c’est-à-dire dans l’environnement. Aujourd’hui, je suis convaincue que lorsqu’on veut lutter contre les inégalités sociales, il faut commencer par lutter contre les inégalités environnementales.
Tout le monde parle de l’écologie mais notre parti a un électorat assez bien défini : celui des grandes métropoles et des catégories socioprofessionnelles élevées. Cependant l’écologie pour les quartiers populaires doit être une priorité : ce sont eux qui sont et seront les plus impactés par le dérèglement climatique.
Depuis mon élection à l’Assemblée, je travaille beaucoup sur la question de l’accès à une alimentation saine. J’y vois un enjeu révélateur de l’écologie que je porte puisque l’alimentation est au croisement de plusieurs thématiques qui me sont chères, à savoir le pouvoir d’achat, l’environnement ou la santé. Promouvoir l’accès à une alimentation de qualité, c’est favoriser la transition environnementale en répondant aux injustices sociales et à une problématique de santé publique. L’écologie qui m’anime est celle qui a un impact sur la vie de tous, en commençant par ceux qui ont le moins.
En l’état, le mouvement écologiste est peu représentatif de la société française et de sa diversité. Cela est vrai aussi bien dans ses discours politiques que dans ses instances internes. L’écologie populaire et inclusive que je porte rêve que les visages de ses membres soient aussi divers que ceux sur les bancs des écoles.
Une majorité de Français considèrent qu’il est urgent de changer notre modèle de croissance. Nicolas Hulot affirmait que nous entrons dans un monde de « croissance sélective », d’autres prononcent le mot de « décroissance ». Quelle serait pour vous la bonne formule ?
Aucune des deux ! Rires.
L’expression de croissance sélective laisse penser qu’on doit continuer à faire de la croissance. Or, aujourd’hui, nous devons réduire notre consommation et notre production à des niveaux soutenables pour l’environnement. À l’inverse, le problème de la terminologie de décroissance est sa brutalité. Elle laisse penser qu’on ne pourra plus rien faire.
Le terme le plus fidèle à ma pensée serait celui de sobriété. Il est relativement pédagogique puisqu’il signifie simplement qu’on ne doit pas utiliser plus que ce dont on a besoin. La question de l’alimentation est éloquente aussi ici : on arrête de gaspiller pour consommer moins et mieux. De même, la notion de sobriété est consubstantielle à celle d’écologie populaire puisqu’elle demande nécessairement plus à ceux qui consomment le plus pour tendre vers une sobriété collective.
Vos parents sont originaires d’Algérie. Cinq historiens français viennent d’être nommés au sein d’un groupe conjoint où ils travailleront aux côtés de collègues algériens sur les archives de la colonisation et la guerre d’indépendance. Qu’attendez-vous de ce travail de mémoire ?
D’abord, il était temps. Nous avons trop souvent fait un pas en avant puis trois pas en arrière sur ce sujet. Faire la lumière sur notre histoire commune est une condition sine qua non à l’avènement de nouvelles relations entre la France et l’Algérie.
Lors de sa dernière visite officielle en Algérie, le Président de la République a mis l’accent, à raison, sur le poids des mémoires. Cependant, les travaux à venir s’annoncent fondamentaux en cela qu’ils permettront le passage du temps des mémoires à celui de l’Histoire. C’est dans cette même logique que s’inscrira, en avril prochain lors de la niche écologique, la discussion de ma résolution visant à faire la lumière sur le 17 octobre 1961. Du reste, la France est une nation assez grande pour pouvoir se confronter à son Histoire - y compris ses pages les plus sombres.
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