Entretien d’Emmanuel Grégoire, Premier Adjoint à la Mairie de Paris
« A Paris, tout le monde veut être acteur ; personne ne se résigne à être spectateur » disait Jean Cocteau. L’histoire de Paris, son urbanisme, ses aménagements, ses usages… transcendent les opinions politiques et les cultures. Comment une majorité politique peut répondre aux injonctions contradictoires de ceux qui vivent la ville ?
Nous ne manquons pas d’injonctions contradictoires et c’est notre travail au quotidien que d’arbitrer entre ces différentes visions et ces nouveaux usages de la ville. Cependant, un combat doit tous nous réunir et c’est le choix qu’on fait les Parisiennes et les Parisiens : l’accélération de la transition écologique. L’enjeu est de sortir du règne de la voiture individuelle, du bitume et du béton pour rendre Paris plus agréable et végétale. Chaque projet urbain que nous porterons améliorera son environnement immédiat avec plus de fraîcheur et de végétalisation. La transition écologique que nous mettons en œuvre est couplée à la lutte contre les inégalités : ces projets seront aussi porteurs d’intérêt général en renforçant la mixité sociale, en créant de nouveaux logements abordables, en améliorant l’animation commerciale des rues et en créant des lieux communs pour la vie de quartier.
Vous avez plaidé récemment « pour une nouvelle esthétique parisienne » entre conservation patrimoniale et innovation, préservation de l’ancien et modernité. Pouvez-vous nous décrire cette démarche que vous proposez aux parisiens ?
Oui, car Paris est une ville d’une beauté extraordinaire, forgée par l’architecture haussmannienne, les matériaux comme la pierre, le verre ou le zinc, les couleurs, les lignes régulières ! Mais la Capitale ne peut pas se réduire aux projets d’Alphand et de Haussmann. Cette grammaire urbaine n’a pas imprégné tous les quartiers de la même manière. Paris est une ville multiple et à l’image de ses habitants : saisissante de contrastes. Il est essentiel de préserver et prolonger cette esthétique, mais aussi d’en inventer une nouvelle qui intégrera nos objectifs climatiques en termes de végétation et de matériaux biosourcés. C’est cette démarche que nous avons lancée.
Nous invitons toutes les métropolitains à participer dès maintenant sur idées.paris. Nous allons aussi organiser des ballades urbaines et une grande exposition au Pavillon de l’Arsenal sera présentée. Le CAUE de Paris consulte en ce moment les 6-11 ans pour mieux comprendre la ville à hauteur d’enfants.
C’est la première fois que les Parisiennes et les Parisiens sont interrogés et consultés sur l’esthétique de leur ville au global, et non sur un sujet spécifique. C’est une petite révolution quand on pense au projet d’Haussmann !
L’aménagement de l’espace publics, les nouvelles mobilités et les nouveaux usages demandent la mise en œuvre d’une concertation avec les parisiens. Quelle méthode allez-vous proposer aux différentes parties prenantes dans les mois à venir ?
Nous avons déjà commencé en lançant plusieurs grandes consultations : sur l’espace public avec « Embellir votre quartier », sur le futur usage des 60 000 places de stationnement qui seront supprimées, sur l’esthétique aussi bien sûr. Nous travaillons également avec tous nos partenaires, acteurs institutionnels et privés, associations, entreprises, pour répondre à ces nouveaux défis. Par exemple, dans le cadre du nouveau Réinventer Paris, nous accompagnons l’écosystème pour transformer des bureaux en logements.
La végétalisation et plus généralement la place de la nature dans l’espace public est une des priorités de ce nouveau mandat. La ville résiliente pour construire un nouvel idéal urbain est-elle compatible avec un écosystème économique, logistique et industriel ?
Elle va devoir le devenir ! Oui, il est tout à fait possible de trouver des solutions, certaines existent déjà comme les forêts urbaines au Japon que nous allons mettre en œuvre à Paris, mais d’autres sont à inventer, c’est aussi l’innovation qui nous accompagnera pour rendre la ville plus végétale. C’est ce que nous avons fait sous le précédent mandat avec les toitures végétalisées, le développement de l’agriculture urbaine ou encore le développement de la pleine terre. C’est aussi la démarche que nous poursuivions avec la baignade dans la Seine.
La crise que nous traversons crée des souffrances et accroît les inégalités. Mais n’est-elle pas aussi une opportunité incroyable pour changer nos usages, relever les défis de la transformation numérique et de la transition écologique?
Cette crise aura été tellement dure et aura causé tellement de décès, de dégâts physiques et psychologiques sur le long-terme, une telle explosion des inégalités qu’il est évident qu’il faudra saisir les opportunités qu’elle a générées : nous avons tous vu collectivement émerger de nouvelles solidarités, de nouveaux usages, de nouvelles manières de travailler. La pandémie du Covid-19 a aussi montré que la proximité était essentielle, que c’est à l’échelle de la ville du quart d’heure, que nous devons penser nos politiques publiques.
Nous devons penser dès maintenant le monde post-Covid et réfléchir au niveau mondial à la protection des écosystèmes et de la biodiversité, à la lutte contre les inégalités, à nos systèmes sanitaires. C’est d’ailleurs plus une nécessité qu’une opportunité.
« L’architecture et la ville sont des œuvres ouvertes. L’architecture est ouverte, car on construit toujours pour quelqu’un, ce quelqu’un est fondamental », me disait récemment l’architecte Philippe Prost. Pour qui construisez-vous Emmanuel Grégoire ?
Pour les Parisiennes et les Parisiens. Ceux d’aujourd’hui et ceux du futur.
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