« Donner de la force au collectif et proposer des chemins »
- Brice Soccol
- 16 sept.
- 8 min de lecture
Entretien avec Michaël Delafosse, Maire de Montpellier

« Ce qui importe aujourd’hui, c’est de tenir parole pour faire émerger d’autres chemins, d’autres imaginaires que ceux que l’on nous impose et qui fragmentent notre Nation. Partout où nous sommes, il nous revient de donner de la force au collectif, de faire vivre d’autres récits que ceux de la haine et du pessimisme. »
1. Pouvez-vous revenir sur votre parcours et sur votre mandat en tant que maire de Montpellier ?
Montpellier est le territoire de notre pays qui connaît la plus forte croissance démographique nationale. En 1977, c’était la 25ème ville de France et c’est aujourd’hui la 7ème. Nous accueillons en moyenne plus de 4000 habitants par an et devons ouvrir une nouvelle école chaque année. Montpellier est une ville très dynamique, tournée vers l’avenir, soucieuse de relever les défis du monde. C’est aussi une ville qui vit par projets. J’ai eu la joie d’en être élu maire en 2020 après avoir exercé des mandats de conseiller municipal, puis d’adjoint délégué à la culture (2008 à 2012) et à l’urbanisme (2012 à 2014). En 2014, je deviens élu conseiller municipal d’opposition pour 6 ans et Président du groupe d’opposition « la gauche pour Montpellier ».
Ensuite, en 2020, je deviens maire alors que les sondages me donnaient 6 % des voix au premier tour. Cela prouve bien que notre avenir ne peut pas être dicté par les pronostics et qu’il faut avant tout croire en ses convictions et avancer. Ma campagne électorale aurait pu se résumer une seule phrase : quand on parle à l’intelligence des gens, l’intelligence répond. C’est ainsi que je conçois la citoyenneté et l’exercice de la démocratie : argumenter, respecter les idées de chacun, et toujours refuser ce qui abîme le débat public, avec raison et nuance. Je conçois de la même manière mon action de maire et je revendique le titre, très présent dans les années 1990, de maire bâtisseur. Être maire, c’est comprendre que l’action publique sert à affronter les problèmes concrets des citoyens. Je suis ainsi très engagé sur les sujets de laïcité et de sécurité, des thèmes que les socialistes ont toujours défendus et que je refuse de sous-traiter à l’extrême droite.
2. Comment votre territoire s’est-il emparé du défi écologique ?
Une ville est comme un laboratoire où nous pouvons relever les défis des grandes politiques publiques. À la suite de mon élection en 2020, je me suis immédiatement emparé des sujets de transition écologique avec, notamment, la mise en place de la gratuité des transports. Aujourd’hui, Montpellier est la seule métropole de France qui propose cette gratuité pour tous les habitants de ses 31 communes. Nous avons fait ce choix-là afin de montrer que l’écologie représente aussi une opportunité, qu’elle est un moyen de réinvention. La gratuité nous a permis de faire travailler ensemble les acteurs publics, les entrepreneurs et le monde associatif tout en faisant comprendre aux individus qu’adopter un moyen de transport décarboné pouvait leur permettre de faire des économies. Cela nous a permis aussi de dépasser une approche culpabilisante pour les individus qui n’ont pas les moyens d’adapter leurs modes de vie aux enjeux écologiques. Avec la gratuité, nous voyons une augmentation de la fréquentation des transports aux heures creuses de plus de 30%.
3. Comment la gratuité des transports à Montpellier est-elle financée ?
Nous avons procédé par étapes en utilisant la taxe payée par les employeurs, appelée le versement mobilité. Il est donc essentiel pour moi de m’intéresser au développement des entreprises sur notre territoire afin de renforcer la dynamique fiscale finançant la gratuité des transports. Les investissements sont également soutenus par le budget général de la métropole. La gratuité ne peut pas être mise en place du jour au lendemain, mais son succès à Montpellier nous permet de la faire entrer dans nos imaginaires comme une possibilité bien réelle. Elle contribue aussi au développement du pouvoir d’achat des ménages, notamment des familles monoparentales et permet de renforcer le lien entre l’impôt et le citoyen, dans un moment où nous entendons beaucoup parler d’une forme de déconnexion.
Très récemment, nous avons célébré l’anniversaire des lois Jules Ferry sur la gratuité de l’école. A l’époque de leur promulgation, notre société avait déjà mené un débat sur la pertinence de la gratuité. Ce débat est celui des biens communs, de ce que nous avons tous en partage en tant que société. À mes yeux, la gratuité des transports pourrait être le débat principal des municipales de 2026 et je serai là pour en discuter et pour échanger avec tous ceux qui défendent cette idée, quelle que soit leur sensibilité politique. Je pense que ce type de débat « pour » ou « contre » convoque positivement la démocratie car il ouvre un dialogue sur la base d’idées et permet aux citoyens de s’en emparer.
4. En tant que « maire bâtisseur », quelle est votre conception de l’action publique ?
Les citoyens se posent la question suivante : « que font celles et ceux pour qui nous avons voté » ? Vous savez, dans mon bureau, il n’y a pas uniquement le buste de Marianne. J’ai aussi installé un compteur indiquant le temps qu’il me reste pour tenir les engagements que j’ai pris. Cela me tient particulièrement à cœur : c’est un moyen concret de rythmer la démocratie et l’action publique. Car au-delà des engagements chiffrés, ce qui importe aujourd’hui, c’est de tenir parole pour faire émerger d’autres chemins, d’autres imaginaires que ceux que l’on nous impose et qui fragmentent notre Nation.
Je crois profondément en la force de l’espace public. Le lieu, le village, le chemin où nous pouvons nous promener, la place où l’on célèbre de grands évènements - ce sont ces endroits qui nous permettent d’être ensemble et de faire société. C’est dans cet esprit, par exemple, que nous avons fait installer un grand banc Place de la Comédie, afin d’en faire un lieu du commun et de partage entre les habitants – ce qui a eu énormément de succès. Partout où nous sommes, il nous revient de donner de la force au collectif, de faire vivre d’autres récits que ceux de la haine et du pessimisme.
Nous l’avons aussi vu au moment des Jeux Olympiques – avec une cérémonie sur la Seine, au pied de Montmartre et dans les grands lieux qui ont bercé nos imaginaires. Ce moment a résolument convoqué les valeurs de l’espace public comme un espace du commun, et cela, grâce aux imaginations de Patrick Boucheron et de Thomas Jolly. Quotidiennement, il faut que les gens puissent se retrouver autour de la culture et que les maires puissent organiser des moments de célébrations. Il faut faire des Jeux une grande leçon pour cultiver cette envie d’être ensemble.
Enfin, l’entreprise est aussi un lieu du commun. Je suis maire d’une ville où il y a des TPE et des PME confrontées à la quête de sens des collaborateurs. On cherche de plus en plus à travailler au sein d’entreprises qui répondent à certaines valeurs, et qui font des efforts au regard des enjeux écologiques comme la décarbonation.
5. Montpellier vit un formidable développement économique et culturel. Quelle est votre conception de la cohésion des territoires ? Pouvons-nous voir un ruissellement positif de ce développement vers les petites villes et zones rurales ?
Tout d’abord, il faut bien se rendre compte que nous construisons une école par an à Montpellier pour pouvoir accueillir la population grandissante. Il y a avant tout un vrai sujet de répartition de la croissance démographique et, par conséquent, de réagencement du paysage institutionnel. Je préside une métropole de 31 communes qui accueillent environ 500,000 personnes et si l’on inclut l’ensemble du bassin de vie – ce chiffre grimpe à 800,000 personnes. Se pose alors la question d’une mobilisation pertinente des outils institutionnels afin de revitaliser le bassin de vie.
Nous avons aussi abandonné un très bel outil, la DATAR : la Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale, remplacée aujourd’hui par la DIAT, Direction interministérielle à l’attractivité des territoires. Je suis le premier défenseur de la compétitivité de la France mais quand nous parlons de la « compétitivité des territoires », nous encourageons la compétitivité entre les territoires. Cela a eu pour effet d’installer un processus de fragmentation important, au détriment des grands équilibres à l’échelle nationale. Je me réjouis que l’on ait enfin retrouvé un ministre de l’Aménagement du territoire et de la Décentralisation, absent depuis le mandat du Président Nicolas Sarkozy, ce qui nous permettra d’impulser une vision d’ensemble claire sur les projets de rééquilibrage : lignes de chemins de fer, cars à haut niveau de service, lutte contre les déserts médicaux… Lorsque l’on s’enlise dans un discours de défaillance des services publics, on abîme et on dévitalise ce qui fait société.
Il existe également un enjeu majeur de simplification des procédures administratives. Les collectivités territoriales sont souvent contrôlées pour le recours aux nombreuses prestations intellectuelles nécessaires à leurs projets. Pourtant, pour prendre un exemple très concret : dès lors que nous envisageons la création d’une nouvelle ligne de tramway à Montpellier, nous sommes tenus de commander une série d’études préalables. Dans une logique d’efficacité, il serait aussi pertinent de limiter à un an les délais de recours sur un projet donné, sans pour autant porter atteinte aux droits de la défense. Cette proposition a déjà été formulée par Jean-Pierre Farandou, président de la SNCF.
Enfin, les collectivités doivent également travailler à l’optimisation de leurs recettes publiques, ce qui suppose de repenser certaines missions. À Montpellier, par exemple, nous avons décidé de fusionner trois structures publiques majeures : l’Office public de l’habitat (ACM Habitat), l’Aménageur urbain (SERM‑SA3M) et l’Opérateur d’énergie (Énergie du Sud). Cette fusion nous a ainsi permis d’améliorer l’efficacité de l’action publique, de réaliser des économies et de mutualiser de nombreuses fonctions.
6. Montpellier est aussi une métropole culturelle. Quelle place accordez-vous à la culture dans votre vision globale du développement de la ville et de la métropole ?
Montpellier est effectivement une métropole culturelle, et cela fait entièrement partie de son identité. S’il y a un budget qui, à mes yeux, ne doit jamais être remis en cause, c’est bien celui de la culture car la France est un pays créateur du point de vue de la recherche, de l’art, de l’entrepreneuriat – c’est ce qui fait la vitalité de notre vie citoyenne et qui permet la cohésion de la société.
Au-delà de la tendance à la baisse des budgets culturels, je suis navré de constater que la culture, alors même qu’elle constitue une question essentielle du débat démocratique, ne figure plus dans les programmes électoraux. La culture ne peut pas être absente du débat public, et je crois profondément en l’importance d’une véritable politique culturelle. Je l’affirme avec d’autant plus de convictions car j’enseigne encore l’histoire-géographie à une classe de 4ème au collège. Cette année, pour la première fois, aucun de mes élèves n’a cité le journal de 20h comme source d’information. 80 % d’entre eux m’ont confié qu’ils s’informaient exclusivement sur les réseaux sociaux. C’est précisément pour cela que je suis très attaché à la préservation de France Télévisions et de Radio France. Si demain nous ne disposons plus d’un service public solide, capable de rivaliser avec ces nouveaux canaux tout en proposant une alternative fiable et exigeante, les conséquences pourraient être graves pour notre jeunesse.
La culture, c’est aussi ce qui fait la force de notre pays et un levier pour revitaliser les territoires. Il faut que nos enfants puissent sortir, chanter, danser, parler des œuvres qu’ils rencontrent dans les musées. Nous avons la chance formidable d’avoir plus d’un millier de musées en France. Il y en a partout : trois musées à Rodez, deux à Millau… Et cela, grâce à la décentralisation et à l’idée que nous nous faisons de notre pays, qui rend la culture accessible à tous.
Propos recueillis le 17 juin 2025.




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