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« CSRD : prendre de l’avance pour ne pas être en retard »

Entretien avec Marion Canalès, sénatrice du Puy-de-Dôme (PS)





Le rapport d’information « Directive CSRD : du décryptage à l’avantage » (février 2024), dont vous êtes corapporteure, s’inscrit dans la continuité de différents rapports parlementaires traitant, de façon plus ou moins exclusive, de cette directive. Est-ce à dire que la directive Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD) demeure un sujet de préoccupation ?


L’élaboration et la transposition de cette directive ont pris plusieurs années. Tout au long du processus, chacun a voulu donner au texte les orientations qu’il souhaitait. C’est ce qui explique que les contributions parlementaires aient été aussi nombreuses. Du reste, Anne-Sophie Romagny (UDI) et moi-même avons mené une mission flash qui se concentre sur l’entrée en vigueur de la directive le 1er janvier dernier. 


Par ailleurs, la question du rôle de l’entreprise dans les transitions est une matière en évolution permanente. Cela explique que les parlementaires actualisent leurs travaux sur ce sujet - la directive CSRD en étant un des textes structurants. L’idée est véritablement de faire de ce texte qui préoccupe certaines de nos entreprises un avantage pour celles-ci. 


La Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) et d’autres acteurs économiques présentent la France comme un élève volontaire qui s’impose des contraintes auxquelles d’autres, en Europe et ailleurs, se soustraient si bien que la compétitivité des entreprises françaises se trouverait mise à mal. Est-ce également une des conclusions de votre mission d’information ? 


C’est normal qu’il y ait des craintes. C’est toujours compliqué pour les entreprises de voir arriver de nouvelles obligations sur elles, a fortiori lorsqu’elles ne sont pas suffisamment outillées pour y répondre comme cela peut être le cas des PME impliquées dans la chaine de valeur des grandes entreprises. Il est d’ailleurs essentiel de former massivement sur ces sujets de reporting extra-financier et c’est ce à quoi nous travaillons avec les équipes de la BPI. 


Pour répondre aux inquiétudes formulées par la CPME, nous avons veillé à ce que la directive CSRD ne crée pas d’obligations superflues. C’est pourquoi le rapport met en exergue trois légères surtranspositions en droit interne et appelle à faire le nécessaire pour les corriger. La délégation sénatoriale aux entreprises a également fait voter un amendement, dans le projet de loi de simplification, qui instaure un point d’étape en 2025 pour faire le point sur l’appropriation de cette obligation de reporting par les entreprises. Si celui-ci révèle que des éléments doivent être modifiés, nous en tirerons les conclusions.


Il n’en reste pas moins que, oui, la bifurcation écologique et sociale va devoir s’opérer et les entreprises doivent en être actrices. 


Vous mettez également en exergue, dans votre rapport d’information, le rôle que doivent jouer l’État et les collectivités territoriales pour soutenir ce mouvement de transformation. À ce titre, la commande publique apparait comme un levier d’action à mobiliser…


Exactement. La commande publique est un outil essentiel aussi bien à l’échelle de nos territoires locaux qu’à l’échelle nationale. Les marchés publics sont des marchés importants et ils se doivent d’être exemplaires. Cela représente plus de 100 milliards d’euros chaque année !

Et puis, on ne peut pas demander à des entreprises de faire ce à quoi l’État et les collectivités se soustrairaient. La transformation écologique et sociale de notre société est un mouvement qui n’arrivera à son terme que lorsque tous les acteurs seront embarqués : les citoyens, les entreprises et les pouvoirs publics. 


Vous avez également auditionné Emmanuel Faber, président de l’International Sustainability Standards Board (ISSB), qui défendait, dans une tribune au Monde (octobre 2023), qu’exiger que « la matérialité s’étende au-delà du domaine économique est en réalité simpliste. » Selon  l’ancien PDG de Danone, il serait plus efficace de repenser la matérialité comptable à l’aune des enjeux climatiques plutôt que de créer une double matérialité, financière et extra-financière. Qu’en pensez-vous ? 


Emmanuel Faber défend le modèle américain…


En termes de normes extra-financières, il existe trois grands modèles. Le modèle asiatique est relativement simple puisqu’il ne prévoit rien en la matière : les enfants travaillent, les conditions de travail sont mises sous le tapis, le suivi sur la chaîne de valeur est inexistant, etc. Ensuite vient le modèle américain qui consiste à intégrer timidement les questions extra-financières dans le cadre financier. C’est mieux que rien, nous sommes d’accord. Néanmoins, cela laisse entrevoir des risques de social washing et de green washing Puis, l’Europe s’emploie à montrer qu’une troisième voie est possible. L’hypothèse de départ est simple : nous ne pouvons pas nous épargner de prendre en compte tous les impacts. Il est à la mode de dire que c’est avoir tort que d’avoir raison trop tôt. Je ne le crois pas. L’Europe a raison de prendre de l’avance sur ces sujets pour ne pas être en retard, y compris en matière de compétitivité. 


Par ailleurs, l’enjeu est également de réussir à montrer aux entreprises européennes tous les avantages de ce modèle : augmentation de la productivité, fidélisation des talents, bien-être au travail ou encore image de marque. 


À la directive CSRD s’ajoute la directive Corporate Sustainability Due Diligence (CSDD) qui présente le modèle européen en matière de devoir de vigilance des entreprises. Quel regard portez-vous sur ce texte européen ?


Ces deux directives sont intimement liées, l’une étant la continuité de l’autre, si bien qu’il serait malvenu de faire machine arrière sur la CSDD comme le proposent certains. C’est d’ailleurs un de mes rares points de désaccord avec la sénatrice Anne-Sophie Romagny puisque cette dernière appelle à une pause sur la CSDD. À mon sens, la pause doit venir après la CSDD. Il faut bien avoir conscience de ce dont il est question : travail des enfants, esclavage moderne, conditions de travail indignes. Nous devons être fiers de notre ambition sur ces sujets.

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