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Contre un crash programmé de l’industrie automobile française ?

Entretien avec Alain Cadec, Sénateur des Côtes-d’Armor

Autour du rapport d’information « Contre un crash programmé : dix-huit mesures d’urgence pour l’industrie automobile française »


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Vous évoquez un inévitable « crash » de la filière automobile française si « rien n'est fait » pour enrayer son déclin. Quels indicateurs vous ont paru les plus préoccupants pour tirer cette sonnette d'alarme et formuler vos dix-huit recommandations d'urgence ?


Plusieurs indicateurs alarmants nous ont amené à ce constat. Tout d’abord sur le marché, nous avons pu observer une baisse de 20 % des ventes de véhicules particuliers en France, et, entre 2020 et 2024, une hausse de 24 % du prix des véhicules neufs achetés en France. À cela s’ajoute la concurrence chinoise : en 2023, la Chine assurait près des deux tiers de la production mondiale de véhicules électriques. Entre 2021 et 2023, ses exportations de voitures ont été multipliées par quatre, soit de 2 à 9 millions de véhicules, pour un prix de vente en moyenne 30 % inférieur à celui des véhicules produits en Europe.


En vingt ans, de 2000 à 2020, la part de la France dans la production automobile européenne a connu une baisse significative de 20 % à 8 %. À l’échelle de la production mondiale, cette part française ne représente plus que 1,6 % en 2023 contre 5,6 % en 2000.  De plus, la part de la production réalisée en France par des constructeurs français a été divisée par deux entre 2003 et 2019, passant de 64 à 31 %. Elle ne cesse de diminuer depuis, et ne représente plus qu’un quart de la production française totale en 2024. Ce phénomène est l’inévitable conséquence de deux décennies de délocalisations dans les pays à bas coût. À cela s’ajoute les centaines de milliards investis par la filière et le mur d’investissements auquel elle continuera de faire face, afin d’assurer la transition vers l’électromobilité. 


Vous préconisez le report de l'interdiction des ventes de voitures thermiques neuves en Europe prévue dès 2035 par le Pacte Vert Européen. Quelle échéance vous semblerait la plus pertinente pour réussir cette transition sans pour autant affaiblir davantage la filière ?


La mission recommande en effet de « [r]epousser l’interdiction de la vente de moteurs thermiques et [de] confier à la Commission européenne le soin de fixer, en accord avec les industriels, une trajectoire dégressive soutenable pour atteindre cet objectif ». Ainsi, une étape privilégiant l’hybride est à étudier. Il est en effet essentiel de prendre en compte la parole des industriels en ce qui concerne la « faisabilité » des mesures fixées par Bruxelles, car ce sont eux qui connaissent les réalités industrielles, du marché et de la concurrence. Il ne s’agit pas de repousser cette échéance aux « calendes grecques », mais uniquement de laisser le temps à nos industriels de se mettre à niveau sur l’électrique, l’hybride et le range extech, domaines sur lesquels les Chinois ont 10 à 20 ans d’avance. Par ailleurs, nous recommandons également que l’interdiction de la vente de véhicules thermiques neufs ne soit pas totale, car nous croyons en d’autres voies de décarbonation que l’électrique (biocarburants, mais aussi hybrides rechargeables, etc.), afin de mieux s’adapter aux usages, voire d’autoriser les véhicules thermiques à moins de 120 g de CO2.


Vous recommandez aussi une amplification des efforts européens de R&D, un soutien des gigafactories européennes, et l’imposition de transferts de technologie aux acteurs s'installant en Europe. Dans quels délais ces actions pourraient-elles produire des effets concrets pour permettre à la France de « rattraper son retard sur l’électrique » ?


En ce qui concerne le soutien aux gigafactories, il doit être immédiat, car certaines, comme Automotive Cells Company (ACC), sont déjà en phase d’industrialisation, tandis que d’autres, comme Verkor, s’apprêtent à y entrer et doivent franchir la « vallée de la mort ». Jusqu’à présent, les fonds européens ne pouvaient financer que l’innovation, et non l’industrialisation. La Commission européenne semble toutefois « changer de logiciel », puisqu’en juillet dernier, ACC et Verkor, notamment, ont obtenu des subventions du Fonds d’innovation pour financer précisément la fabrication de batteries, y compris en couvrant des dépenses d’investissement et d’exploitation. Dans la perspective du futur cadre financier pluriannuel (CFP), la Commission propose également de créer un « Fonds de compétitivité » dont les conditions d’accès seraient plus larges que celles des fonds européens. Mais ce n’est pour l’heure qu’un projet : il faudra être très attentif aux négociations au niveau européen.


En ce qui concerne la recherche, c’est un travail de longue haleine. Nous avons en Europe et en France des chercheurs et ingénieurs de très haut niveau sur le numérique notamment – mais aussi par exemple en chimie ! Il s’agit de ne pas abandonner les dispositifs de soutien à la recherche qui fonctionnent et qui permettent des innovations de rupture, afin d’être en capacité d’anticiper les grandes mutations de demain. On peut rappeler que la filière automobile est le plus gros pourvoyeur de brevets en France et que quatre entreprises industrielles automobiles figurent parmi les dix premiers déposants de brevets en France en 2024 !


Le rapport d'information préconise également d'imposer, dans l'immédiat, un « contenu local européen à 80% pour les véhicules vendus en Europe et de fixer un objectif d'au moins 40% de batteries produites localement en 2035 » en constituant ainsi un important levier de relocalisation. Quelles seraient selon vous les premières retombées positives d’une telle mesure ?


Les retombées immédiates seraient de remplir les carnets de commandes des équipementiers français et européens, qui sont particulièrement fragilisés par les pratiques de dessourcing (consistant en la recherche par les donneurs d’ordre de nouveaux fournisseurs dans les pays à bas coût), avec à la clé, le maintien des emplois existants. 


A plus long terme, cela assurerait une meilleure résilience de la filière française et européenne, qui ne serait pas dépendante d’importations extra-européennes. C’est un enjeu de souveraineté, car rien ne garantit qu’une fois devenus nos seuls fournisseurs, les Chinois ne « fermeraient pas le robinet » à la faveur d’une énième secousse géopolitique, comme ils ont tout récemment menacé de le faire avec les terres rares.


Enfin, le rapport d'information rappelle que certaines compétences de la filière automobile sont cruciales pour l'industrie de défense et pour la production militaire. En quoi le renforcement de l'industrie automobile représente-t-il donc également un enjeu de souveraineté et de sécurité ?


Il existe de nombreux acteurs qui fournissent en majorité l’industrie automobile, et en part minoritaire l’industrie de défense. C’est avec les commandes de l’automobile qu’elles font du volume ; étant donné que les seules commandes du secteur de la défense ne suffiraient pas à assurer leur viabilité. Le maintien d’une demande issue du secteur automobile est donc nécessaire pour assurer la pérennité de ces entreprises, dont les savoir-faire sont essentiels pour le secteur de la défense.


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