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« COMPLOTS TOXIQUES »



PATRICK DE FRIBERG, écrivain - Entretien réalisé par ConfiNews





Complots Toxiques, le trentième roman de Patrick de Friberg, vient de paraître aux éditions Code9. « La guerre froide est éternelle » peut-on lire sur la page d’accueil de son site web. Le ton est donné et cette mention visible depuis... 1991 résume à elle seule le sujet favori de ce connaisseur pointu de l’espionnage soviétique, puis russe de Vladimir Poutine.


Alors que le continent européen est rattrapé par la guerre, déjà fragilisé par les manœuvres de déstabilisation politique, économique et, à présent, mystique, d’un pouvoir paranoïaque qui voit en ces ennemis l’incarnation de Satan, Patrick de Friberg nous livre une nouvelle enquête traitant de ces montages à long terme dont le KGB en son temps, puis ses successeurs, se sont fait une spécialité avec une même obsession : prendre leur revanche et le pouvoir sur l’occident.


On imagine que le contexte actuel doit être propice à l’écriture chez un romancier aussi prolifique que vous. Quelle est la genèse de ce nouveau thriller ?


Tout d’abord, merci de m’accueillir une nouvelle fois dans la rubrique Forum Changer d’Ère de ConfiNews. Cette histoire est inspirée de 2 sources sérieuses, vérifiées, totalement indépendantes l’une de l’autre. Le romancier que je suis utilise systématiquement comme point de départ des signes annonciateurs, des informations « sourcées », une réflexion approfondie sur un danger imminent ou un certain nombre d’événements susceptibles de produire des effets dévastateurs pour le monde à moyen ou long terme. C’est toujours ainsi que je travaille avant d’écrire un livre : je m’efforce de croiser les informations du passé et de réfléchir à leurs conséquences possibles dans le futur.


Ma première découverte, préalable à l’idée de ce livre, est la fiche d’un général du KGB, retrouvée par hasard par un ami dont il n’est pas utile ici de révéler l’identité. Celui-ci venait d’hériter un carton plein de ces fiches oubliées des Services russes. Celle qui nous intéresse retraçait une série de rendez-vous entre notre fameux général et un diplomate canadien. Les faits remontaient à l’adolescence du diplomate. Nous le suivions au fil de sa longue carrière politique. Il aurait pu devenir le Premier ministre du Canada, pays Allié et l'un des 12 États fondateurs de l'OTAN. On peut imaginer les conséquences d’une telle opération si elle avait abouti.


Par ailleurs, et c’est là ma deuxième découverte, je soupçonnais une « banque chinoise » (2) dans une affaire de rachat d’un laboratoire sous contrat avec l’armée canadienne. Le laboratoire en question avait été acquis pour des broutilles pour ensuite être démembré et abandonné. L’ombre du KGB planait fortement sur cette opération. Il suffit de poudre d’imagination d’écrivain de thriller pour transformer un fait, certes suscitant le soupçon, en enjeu politique.


Ce que vous expliquez, au fond, c’est que l’écrivain d’espionnage ou de thriller voit le mal partout... tout au moins ce que le commun des mortels ne soupçonnerait même pas. C’est ainsi que vous imaginez qu’un « illégal » russe, enrichit grâce à l’argent du KGB, va prendre le pouvoir au sein d’un des principaux parti politique du Canada et réussir ensuite à se faire élire à la tête du pays ?


C’est tout à fait ça : Vous avez la trame de cette fiction. Bien entendu, comme toujours – de même que dans La doctrine Guerrassimov(3) que vous aviez présenté dans ConfiNews – ce qui m’intéresse le plus dans ces récits, fictifs je le rappelle, c’est le facteur humain plus encore que les histoires elles-mêmes. Ce facteur humain qui change la grande Histoire.

Ce qui me passionne, ce sont les états d’âme de ces femmes et de ces hommes installés depuis leur jeunesse illégalement chez nous, dans nos démocraties. Ils sont le pur produit de la doctrine soviétique : ils ont juré de mourir pour l’hubris communiste. Ils ont porté le foulard rouge du Komsomol qui érigeait l’athéisme universel de Lénine comme unique religion. Ils ont été formés à la dure école des illégaux pour des missions longues.

Comment vivent-ils le changement idéologique de leur chef ? Que pensent-ils de cette évolution vers la bigoterie de leur grande Russie ? Veulent-ils mourir pour le paradis du patriarche Kirill ? Enfin, veulent-ils rentrer au pays et quitter la vie, aussi illusoire soit-elle, qu’ils ont réussi à créer au sein d’une patrie ennemie ? Certains d’entre eux sont peut-être des Cosaques d’Ukraine, qui ont vu les images de la place Maïdan, et se demandent comment aider leur peuple ?


Quels que soient leurs états d’âmes, ils appartiennent toujours à la Russie. Ils sont « réveillés » quand il faut servir le dessein de leur patrie d’origine si je comprends bien. Cruel dilemme quand vous vivez depuis votre adolescence aux Etats-Unis ou dans une démocratie européenne. Quelle est la prochaine étape selon vous ?


En effet, ils devront servir ou mourir. Seule alternative. Parce qu’il n’y a aucune échappatoire avec les Services russes. C’est là tout l’enjeu de ma longue réflexion sur le thème de la pièce d'Anton Tchekhov, La Cerisaie, vue sous le prisme du changement radical imposé par le clan Poutine et leur réécriture de l’Histoire qui mêle Russie de Catherine II et victoire soviétique prépondérante sur le monde nazi. Comment ne pas penser dans ce bouleversement social et messianique de la Russie d’aujourd’hui et aux discussions de Pétia Trofimov l’étudiant révolutionnaire avec son amoureuse Ania ?


Je crois toujours davantage au facteur humain, qui reste loin des stratégies et de l’orgueil des dictateurs solitaires. Ce roman tente d’en comprendre et d’en mesurer les limites et la force. Je tente d’ouvrir quelques portes qui mèneraient à une issue moins destructrice que les scénarios glaçants de notre époque à nouveau plongée dans une folie meurtrière et tellement inutile, le laisse entrevoir.


(1) Complots toxiques. Manipulations secrètes et Pouvoir de Patrick de Friberg aux éditions Code9 (290 pages)

(2) Cette expression désigne une pratique connue des services de lutte contre la fraude et le blanchiment d’argent : des sommes d’argent circulent sans laisser de trace informatique ou autre, le déplacement étant rendu possible grâce à un simple accord familial, mafieux ou politique (NDLA).

(3) La doctrine Guerrassimov paru en 2021 aux éditions Changer d’Ère. Plus d’infos sur le blog de Patrick de Friberg




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