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C’est par la territorialisation que l’on peut trouver des solutions


Interview d’Alain Houpert, sénateur de la Côte-d'Or



Vous venez de publier l’ouvrage « Lettres à mes pères » (Les Editions de Passy, 2022). Quelle est l’origine de ce livre ?


A.H : Nous sommes dans une époque où le politique ne prend plus le temps de s’arrêter pour réfléchir et où l’on se focalise davantage sur l’indignation que sur l’action. D’hommes d’État bâtisseurs, nous sommes passés à des administrateurs qui raisonnent avec la pénurie et le pragmatisme à court terme avec, pour seule ambition, de répondre à la demande. En m’adressant à ces grands Bourguignons, j’ai voulu reprendre ce temps de la réflexion et faire des propositions qui soient en accord avec le sens de l’histoire, avec l’expérience de nos aïeux qui, eux, bien souvent, étaient réellement confrontés à la pénurie. Et c’est dans ces moments-là qu’ils se sont le plus illustrés et ont enfilé le costume de bâtisseurs.


Est-ce à dire qu’il faut être passéiste ?


Non. Le passéisme est une chose subjective. Le passé tel que nous le concevons n’existe pas. C’est un mélange d’expérience et de souvenirs personnels, mais aussi de fantasmes.


On nous parle sans cesse de progressisme, comme si ce qui a été serait moins valable que ce qui est ou est imaginé. Cela se voit à la fois dans la culture, mais surtout dans la politique et dans la politique, cette conception de l’avenir qui devrait obligatoirement rompre avec le passé est dangereuse. D’une part, parce qu’elle nous éloigne de nos racines et de notre histoire et c’est la phrase de Georges Santayana : Ceux qui ne peuvent se souvenir du passé sont condamnés à le répéter.


Et on le voit aujourd’hui avec la guerre en Ukraine qui a une portée bien plus grave que l’aspect économique ou politique. Depuis 60 ans, on nous a vendu l’Europe et justifié certains de ses excès ou son absence d’Europe sociale en nous rétorquant: « Oui, mais grâce à l’Europe nous avons la paix ». Or, ce n’est plus le cas et par ce conflit, c’est tout un idéal de société et d’organisation politique qui est ébranlé et qui le sera pour des années encore, pouvant même conduire à un rejet de l’Union européenne par les peuples. Avec la guerre en Ukraine, que reste-t-il de l’Europe ? On constate chaque jour qu’elle ne nous protège pas socialement, qu’elle a contribué à affaiblir l’indépendance énergétique, alimentaire de nos pays. C’est là que nous devons nous retourner sur nos aïeux, sur les bâtisseurs de l’Europe et regarder ce que, eux, voulaient en faire : c’était un idéal, pas une technocratie complexe.


Rendre hommage à des grandes figures bourguignonnes n’est-il justement pas encourager une certaine forme d’enfermement sur soi ?


A.H : Absolument pas. C’est au contraire rendre hommage à ce qui nous a construit. Ma famille est arrivée de Lorraine après la guerre pour s’installer en Côte-d’Or. Ce ne sont pas mes racines familiales, mais ce sont mes racines intellectuelles. Aujourd’hui, je suis sénateur et fier d’être un sénateur de la ruralité bourguignonne, un « élu de gouttière » comme je dis. Mais c’est cette culture, cet apprentissage de mon terroir qui m’a ouvert l’esprit sur des causes bien plus importantes. C’est là que se pose la question de l’identité. Plus l’Europe grandit, plus nous avons pu voir s’élever des identités de territoires fortes. Ce n’est pas du nationalisme : c’est un attachement à ce moi profond qui passe par les traditions d’un territoire, mais aussi par sa culture. La Bourgogne regorge de grandes figures politiques, culturelles, artistiques et en revendiquant d’être élu de mon département, je revendique aussi de porter en moi cette histoire.


Êtes-vous contre le progressisme ?


AH : Le progressisme ne veut rien dire. Dans la France des Lumières déjà, les philosophes étaient progressistes. Mais il faut savoir ce que l’on entend par progressisme. Si le progressisme prend en compte l’amélioration de la vie de l’humain, alors il faut le défendre. S’il consiste aujourd’hui à opposer les progressistes autoproclamés de la République en Marche à une France passéiste, alors nous allons dans le mur. Les racines ne sont pas l’ennemi du progressisme. Au contraire, dans ce livre, je montre que c’est par la connaissance et l’étude du passé que l’on peut construire un progrès durable et solide. Les progressistes tendent à faire croire qu’ils sont l’avenir et les autres, des réactionnaires qui voudraient reconstruire une France d’avant. C’est ridicule. On ne va pas rétablir la fiscalité de Vauban, réorganiser la santé comme au temps de Nicolas Rolin, aménager le territoire comme au temps de Buffon ou exercer le pouvoir comme au temps de Lamartine. Mais le point commun de tous ces concepteurs est qu’ils portaient une vision pour le pays. Pour son organisation, mais surtout pour son identité. C’est ce que Renan définissait comme nation : « un mélange d’identités qui se portent vers un même idéal ». Aujourd’hui, on ne nous porte pas vers un idéal, mais on nous tire vers une idéologie basée sur le pragmatisme, la résolution du réel alors qu’il faut avoir, en politique, une part d’irréel et de rêve, quelque chose de bien plus grand que soi. C’est la morale de mon livre avec cette lettre à Jean d’Ormesson sur l’optimisme.


Dans votre livre, vous ne faites pas qu’un constat, mais vous formulez plusieurs propositions. Vous parlez notamment du manque de confiance dans la capacité de la France à innover, ou du rapport entre générations. Comment être entendu ?


A.H : Croire que la solution de la France viendra de l’Europe est une erreur. On ne peut pas envisager l’avenir dans une globalisation. Et c’est parce que nous avons aujourd’hui un Président de la République qui se revendique européen avant d’être Français que le pays est dans un tel état de souffrance. Quand je sillonne les territoires, et particulièrement en Côte-d’Or, je suis ébahi par la vitalité et le dynamisme de ses acteurs, par les solutions qui sont trouvées. Je prends l’exemple des petites communes, aujourd’hui exsangues, qui doivent sans cesse innover pour assurer leur survie, leur entretien. Mais ce dynamisme est ignoré. Alors que c’est par la territorialisation que l’on peut trouver des solutions. Aujourd’hui, pour construire un mur, c’est presque si vous ne devez pas demander à Bruxelles. Envisager la France comme une entité globale est une erreur. Les territoires, les Français sont singuliers, avec leur histoire, leur mémoire, leurs racines et il faut concevoir la violence que représente la globalisation qui, comme on l’a vu avec la mondialisation, ne protège pas les citoyens.

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