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A quoi bon s’engager en politique si nous ne sommes pas habités par des idéaux ?


ITW de Driss Ettazaoui Vice-président de l’agglomération Évreux porte de Normandie, Vice-Président de l’association de Ville et banlieue, Président de l’Association des Elus de France



Vous êtes Vice-président de l’agglomération Évreux porte de Normandie, Vice-Président de l’association de Ville et banlieue. Quels ont été les motivations de votre engagement politique territorial ?


Sans hésitation, je vous répondrai le besoin viscéral de me rendre utile et faire bouger les lignes. Mon engagement a d’abord été associatif et j’ai vite compris que si j’étais utile dans ce milieu, je me trouvais bien souvent dans l’incapacité d’infléchir les décisions. Seul l’exercice d’un mandat électif, a fortiori local, permettait de me réaliser dans la mise en œuvre concrète de projets, tout en étant au plus près des attentes de nos administrés.


Le rapport « Vivre ensemble - Vivre en grand la « République » remis par Jean Louis Borloo en 2018 sur les banlieues avait suscité l’enthousiasme, des maires, des syndicats des acteurs associatifs…mais pas celui du Président de la République. Quatre ans plus tard, de nombreux observateurs politiques affirment que les banlieues sont un des angles morts du quinquennat. Qu’en pensez-vous ?


J’ai participé de manière active aux côtés de Jean-Louis Borloo dans les travaux préalables à la remise de son rapport. J’en ai même signé, avec d’autres, la page de garde. J’ai eu le plaisir de co-présider la commission Image des quartiers durant 8 mois au sein du ministère de la Ville. Et j’étais naturellement présent à l’Elysée à l’instar de toutes celles et ceux, forces vives du pays, qui ont consacré leurs énergies dans un plan global et cohérent lorsque le Président de la République a balayé, dans l’instant, et le rapport et son souffle pour faire de nos quartiers les territoires gagnants de la République. Depuis, il serait de mauvaise foi de dire que rien ne s’est passé…


Tant sur la rénovation urbaine de nos quartiers que sur le déploiement des politiques publiques, des efforts significatifs ont été réalisés avec des moyens humains, matériels et financiers importants. Que ce soit l’éducation avec le dédoublement des classes en REP, les cités éducatives, la tranquillité publique avec la mise en place des bataillons de la prévention, ou encore le plan lié à l’installation des équipements sportifs de proximité, les avancées sont réelles. Bien entendu, il reste encore beaucoup à entreprendre et en particulier, de mon point de vue, la question de la diversification du peuplement, notamment à travers la politique de l’habitat. Parvenir à ne plus concentrer la misère sociale dans les mêmes lieux, et ne plus enfermer les uns au-dessus des autres nos concitoyens dans des communautés est la gageure du prochain quinquennat. C’est à cette condition que nous parviendrons également à changer l’image dégradée des quartiers. C’est à cette condition que nous lutterons contre les discriminations, la ségrégation territoriale et que nous ferons nation.


Vous êtes également Président de l’Association des Elus de France qui rassemble 170 élus locaux de gauche et de droite qui incarnent la diversité culturelle de notre pays. Pourquoi avez-vous pris cette initiative à quelques semaines de l’élection présidentielle ?


Et des élus du centre ! Notre association n’est pas née à quelques semaines de l’élection, mais elle existe depuis un an avec à son actif déjà un certain nombre d’opérations conduites de manière transpartisane. Nous sommes partis du constat que le pays est traversé par de nombreuses fractures économiques, territoriales, sociales, climatiques, sanitaires, identitaires… Et que notre responsabilité d’élu local ne pouvait se cantonner à améliorer le cadre de vie de nos administrés mais devait nourrir une ambition plus grande : contribuer, à notre échelle, à résorber ces incompréhensions afin d’œuvrer à la réconciliation nationale. Idéalistes ? Oui, probablement ! Mais à quoi bon s’engager en politique si nous ne sommes pas habités par des idéaux ? A quoi bon s’engager si nous ne pensons pas qu’une société plus juste, apaisée et fraternelle est possible ? Et pour preuve, nous partîmes, nous étions cinq…


Depuis des années, peu de gens ont pris à bras le corps cette question essentielle de l’Égalité républicaine laissant s’affaiblir un modèle universaliste à bout de souffle. Cette situation n’a-t-elle pas renforcé la conviction que seul le modèle américain basé sur le communautarisme et ses combats radicaux pouvait changer les choses ? Est-il encore temps de corriger ces erreurs sans tomber dans l’extrémisme, quel qu’il soit ?


Votre affirmation est juste. On ne peut d’un côté souhaiter une France indivisible et de l’autre ne pas lutter, de manière volontariste, contre le racisme, la discrimination, l’homophobie… La promesse républicaine n’est pas tenue, ce qui donne le sentiment à des milliers de nos concitoyens d’être des citoyens à part et non à part entière. La France n’est pas l’addition de communautés. Contrairement aux pays anglo-saxons, nous avons, dans notre pays, vocation à faire corps dans la nation dans le respect de nos différences. Ces dernières devant être regardées comme une source d’enrichissement mutuelle et non comme facteurs de division. La reconnaissance des fautes du passé, bien que nous n’en soyons aucunement responsables nous permet de construire l’avenir sans pour autant sombrer dans la repentance. Il faut parvenir à nous émanciper du passé afin de consacrer chacune et chacun dans la République. Nos valeurs sont universalistes. Elles sont aussi interdépendantes. On ne peut concevoir la liberté sans l’accompagner de fraternité. Être libre sans volonté de froisser ou blesser. Défendre l’égalité sans abandonner la justice sociale. C’est cela, le pacte républicain. C’est cela que défend l’association des élus de France.




Précarité économique, logements exigus, difficultés d'accès au numérique, et parfois tensions avec les forces de l'ordre : les habitants des quartiers prioritaires des villes de banlieues ont été particulièrement touchés par les conséquences de la pandémie de Covid-19 comme l’a souvent souligné le Président du Conseil départemental de Seine Saint Denis Stéphane Troussel. Cette pandémie a -t-elle était un révélateur des inégalités territoriales ?


Il est indéniable que la crise sanitaire et les contraintes, en particulier le confinement a eu une résonnance particulière dans les territoires les plus vulnérables de France. Un confinement à quatre dans 60 m2 au troisième étage d’un immeuble ne se vit pas de la même manière qu’un foyer installé dans un pavillon avec jardin. Oui, l’aide alimentaire a explosé… Oui les dettes de loyer se sont accentuées… Oui le décrochage scolaire y est plus important… Cela est vrai. Nos habitants sont souvent les premiers de tranchées dans l’urgence sanitaire. Sur le front à travailler comme caissier, éboueurs, chauffeurs de bus, animateurs, ouvriers… Et en même temps, nous avons assisté à une formidable chaine de solidarité. A Evreux comme dans d’autres quartiers, les habitants et les plus jeunes d’entre eux, se sont mobilisés pour se rendre utile. C’est aussi la force de nos quartiers : la solidarité s’y exprime de manière plus importante qu’ailleurs. Moins vous avez et plus vous êtes enclin à le partager… Sans compter la jeunesse, beaucoup plus présente que dans le reste du pays. Ils sont l’avenir de la France.


Le Premier ministre a pris l’engagement de consacrer 1% du plan de relance (alors que les quartiers prioritaires représentent 6 à 8 % des territoires français) aux quartiers défavorisés. Savez-vous comment ces moyens vont être déployés sur le territoire ? est ce suffisant ?


C’est une bataille qu’a menée l’association des maires des villes et banlieues et pour laquelle, en effet, le premier Ministre a répondu, après d’âpres négociations, favorablement. Il est encore trop tôt pour évaluer de manière analytique les dépenses directes au sein des 1514 quartiers prioritaires de France. Toutefois, des comités territoriaux ont été installés dans chaque département par chaque préfet et en présence des maires concernés, afin de suivre et évaluer les engagements du gouvernement en la matière. Le plus difficile sur ce sujet est d’identifier le droit commun et les mesures complémentaires qui accompagnent ce dernier.


Le projet de loi contre les séparatismes religieux a changé de sémantique, devenant le projet de loi confortant le respect des principes de la République. Pourquoi ce changement ? Est-ce une réponse du chef de l’Etat à l’islamisme radical et aux questions de laïcités. Ce texte va-t-il assez loin ?


J’ai eu l’occasion de saluer le discours du Président dans une interview au NYT. J’ai aimé son expression « ni naïveté, ni stigmatisation ». En bon centriste, il me semble nécessaire de trouver l’équilibre en toutes choses. La sémantique se veut positive. Pour autant, oui, dans notre pays, une infime minorité utilise la foi comme l’exutoire d’une idéologie mortifère. Loin, très loin de la pratique de millions de nos concitoyens. Ces forces obscures doivent être combattues avec force et détermination. En revanche, il arrive qu’au sein du débat public, des hommes politiques, des journalistes, ou encore des intellectuels se perdent dans des petites phrases et jettent l’anathème sur une partie de la communauté nationale. Des pyromanes qui soufflent sur les braises de la division et pour certains espèrent un choc des civilisations.


Je suis de ceux qui pensent, à l’instar de Briand, que la loi protège la foi dès lors que la foi n’entend pas dicter sa loi. Malheureusement, force est de constater que la laïcité est régulièrement dévoyée pour en faire un outil de contrainte alors qu’elle est liberté. La laïcité est un principe constitutionnel qui affirme que la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race, de religion. Elle respecte toutes les croyances. La laïcité doit permettre à toutes les idées philosophiques ou spirituelles de se développer, de s’épanouir, mais hors du champ de la politique. Je regrette le travail de l’Observatoire de la laïcité et sa dissolution et rends ici hommage à Jean-Louis Bianco, son président. La loi, rien que la loi.



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