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Tout ce que je fais n’aurait pas de sens si je n’étais pas agriculteur


Interview de Jean-Baptiste Vervy, CEO de Wizifarm, Président de CoFarming et Agriculteur par Gabrielle Halpern



Pouvez-vous nous présenter votre parcours ?


Fils d’agriculteur, ma destinée était toute tracée, ou presque. J’ai continuellement entendu mes parents me dire de ne pas reprendre la suite. Pour autant, j’ai suivi des formations agricoles jusqu’en BTS. Durant la fin de ma scolarité, mon père est tombé gravement malade. J’ai donc commencé à m’occuper des champs pendant ma dernière année de BTS et ma mère avait la responsabilité des vaches laitières, à l’époque. Par conséquent, mes envies d’études se sont arrêtées assez vite. Je me suis installé en 2007, tout en continuant à avoir un métier à côté, au départ pour sécuriser un revenu. Au fond, j’ai toujours apprécié l’opportunité d’être pluriactif pour l’ouverture d’esprit que cela m’apportait et apportait à ma ferme. Je pensais que je travaillerais 5 ans suivant ce schéma avant de me consacrer pleinement à ma ferme et la développer.


En réalité, cela fait désormais 18 ans que j’ai toujours un travail, en plus de ma ferme. J’ai travaillé comme animateur dans un syndicat agricole et j’ai notamment accompagné plusieurs dizaines d’agriculteurs qui voulaient penser différemment leurs systèmes : notamment sur le sujet de la production d’énergies renouvelables, sur l’approche de l’agriculture de conservation, sur d’autres modèles de production laitière ou encore sur une approche professionnelle de l’apiculture. Par la suite, j’ai eu la responsabilité d’une agence de conseil économique, fiscal, social et main d'œuvre qui accompagnait 3500 agriculteurs et viticulteurs. Cette expérience m’a donné un très bel éclairage sur les vraies différences de performances de nos fermes, suivant les décisions que chacun sait prendre ou non dans un contexte identique pour tous.


Par la suite, j'ai accompagné la transformation digitale d’un groupe multiservices. La question était surtout d’anticiper les mutations et de réfléchir à ce que ces entreprises devraient entreprendre pour préparer leur avenir. Un avenir transformé par la digitalisation des process, une approche managériale collaborative et aujourd’hui, la dimension RSE qui devient un sujet phare. A ce jour, je pilote une startup qui se concentre sur la dimension humaine des entreprises agricoles en abordant notamment l’enjeu majeur du recrutement en agriculture. Cet enjeu est fort pour participer à l’évolution des modèles agricoles et au maintien d’une souveraineté alimentaire.


De manière peu commune, nous abordons les solutions comme une agence pour faciliter le recrutement et nous activons autant la dimension conseil, création et communication, que la mise en oeuvre de levier d’influence marketing digitale, d’acquisition, la création d’événements jusqu’à proposer de la main d’oeuvre clef en main. Dans le prolongement de cette entreprise numérique, je suis vice-président de l’association de startups, CoFarming. Par ailleurs, je suis très heureux d’avoir lancé, en parallèle de ma ferme, notre marque de pâtes: Papote. Je suis très fier de ce projet de coeur et d’envies, qui associe les compétences de ma compagne, spécialisée dans le marketing agroalimentaire, mes compétences agricoles et l'univers des startups.


Vous avez créé avec votre épouse une marque de pâtes « Papote » qui rencontre un grand succès. Racontez-nous cette aventure, comment l’idée a germé et comment vous avez su très rapidement rassembler unes communauté engagée autour de Papote?


C’est véritablement un projet de couple et d’associés. Ma compagne, fille et soeur d’une famille d'agriculteurs, gourmande et passionnée par les bons produits alimentaires, avait toujours eu l’idée d’entreprendre, après avoir travaillé plusieurs années pour différents groupes agroalimentaires. De mon côté, j’avais toujours rêvé d'installer quelqu’un dans ma ferme, qui pourrait amener une complémentarité de compétences pour développer l’entreprise. Et c’est par une belle journée de retour de vacances en août, que nous avons décidé de nous lancer dans un projet commun qui lie nos compétences (et notre amour). Rapidement, les pâtes sont devenues une évidence, car - outre le fait que nous les aimons beaucoup! -, c’est un produit consommé par 96% des Français à 8 kg/pers/an en moyenne. Le marché est grosso modo trusté par 3 grandes marques avec une incohérence, puisque 64 % de notre blé dur est exporté pour revenir après dans notre assiette. J’apporte une attention particulière à à l’évolution de mes pratiques agricoles; je ne supportais plus les critiques envers le monde agricole. J’avais envie de communiquer et montrer ce que nous faisions. Enfin, pour Caroline et moi-même, nous avions le souhait de faire un produit qualitatif dont nous serions fiers. Nous avons étudié tous les points de détail pour avoir un produit qui peut s’adresser à un public de gourmets sensibles à son origine. Nous avons créé une marque qui peut exister dans l'univers des marques alimentaires tendances du moment et qui est un produit de consommation régulier.


Assez naturellement, et stratégiquement, nous avons mobilisé les consommateurs engagés au travers d’un financement participatif. Cette méthode nous permettait de compléter le plan de financement, tout en mobilisant des consommateurs qui pourraient devenir des consom’acteurs pour nos développements. La plateforme Miimosa nous communique toutes les coordonnées des contributeurs (650 dans notre cas); ce qui nous permet de créer un fichier clients- prospects-ambassadeurs très facilement.


Un an après nos premières pâtes, nous sommes plus que jamais encouragés par nos consommateurs qui apprécient la qualité de nos produits. Nous commercialisons nos pâtes, via le digital, en direct, par un réseau de distribution qui se construit dans l’Aube, la Marne et Paris, et auprès des restaurations en collège.





Vous êtes très engagé pour faire avancer le monde agricole. Pouvez-vous nous parler de ces engagements et du sens qu’ils ont pour vous?


Tout ce que je fais n’aurait pas de sens si je n’étais pas agriculteur. A mon échelle, j’aimerais apporter ma contribution à l’évolution de notre agriculture. Fondamentalement, nous avons besoin d’une agriculture qui nous nourrit et qui permet de nourrir les populations. Sans nourriture, les déséquilibres géopolitiques peuvent être très forts (cf. situation à venir, les printemps arabes). Mais surtout, le monde évolue et le monde agricole doit suivre ces évolutions. J’ai une difficulté à penser que les choses sont impossibles. Au lieu de nous plaindre, nous pouvons prendre notre destin en main. Il faut parfois savoir regarder les choses avec d’autres lunettes. Il y a de superbes opportunités si l’on s’autorise à sortir de nos habitudes. Si l’on s’affranchit des “on a toujours fait comme ça”. C’est notamment dans le cadre du Cofarming, cette association de 30 startups du monde agricole, que je peux apporter cette contribution: provoquer, réveiller et montrer des solutions si l’on s’autorise à penser différemment! Nous avions d’ailleurs créé un podcast “les Tontons Farmers” avec un média agricole, afin de dézinguer les sujets agricoles avec franchise et sans le ton policé des tribunes, en proposant toujours des solutions pour faire avancer les réflexions. Avec mes expériences professionnelles, j’ai la chance de voir de nombreux projets et de rencontrer des agricultrices et agriculteurs inspirants.


J’ai la chance de puiser de l’inspiration dans d’autres domaines, notamment dans l’univers des startups, pour inspirer l’agriculture. J’aimerais d’ailleurs réussir à faire le trait d’union entre une agriculture “classique”, pleine de réalisme et parfois figée dans ses pensées, avec l’exubérance des bonnes volontés et des nouveaux entrepreneurs pour l’agriculture, qui idéalisent trop le monde du vivant et marginalisent notre agriculture actuelle. Entre ces deux mondes, il y a une hybridation à trouver entre la richesse de ces nouvelles compétences qui contribuent à nos défis et cassent la “consanguinité” du monde agricole, et le rejet du mode de production incompris et pourtant responsable, engagé et qui répond à des besoins.

Je suis également à l’initiative avec sept amis de l’association “les Agriculteurs ont du coeur”. Notre objectif est de mettre en avant ce que le monde agricole peut faire de beau d’un point de vue social et humaniste. Il s’agit aussi d’amener l’agriculture à s’inscrire et à profiter pleinement de notre économie qui RSEise ses choix.


Dans un monde tel que le nôtre, quelle est – quelle devrait ou quelle pourrait être - la place de l’agriculteur dans la Cité?


Je ne sais pas si je suis très objectif pour répondre à cette question. Disons que la Cité devrait avoir conscience que notre agriculture aujourd’hui est globalement vertueuse et constitue une vraie solution pour les enjeux climatiques et géopolitiques qui sont devant nous. Si je ne regarde que le sujet climat, sur plusieurs points, nous ne pouvons que faire du “moins” pour respecter les équilibres de notre planète. Avec l’agriculture, on peut faire du “plus”, nous pouvons capter et stocker du carbone.


Sur un autre aspect, nous devons trouver le moyen de “connecter” notre alimentation de proximité avec les villes. Nos villes concentrent les populations et les zones de production alimentaire sont évidemment en dehors des villes. Je ne crois pas du tout aux capacités nourricières d’une agriculture plus ou moins artificielle que nous greffons aux villes. N’oublions jamais que l’agriculture est un transformateur d’énergie naturel : les plantes captent le soleil et le convertissent en énergie calorique. C’est un non-sens pour moi d’imaginer une agriculture sous néon ! Nous avons des enjeux à recréer des filières plus régionales, plus courtes en associant davantage les producteurs, les transformateurs et les consommateurs. Nous devons nous engager tous les “3”, à la façon de “c’est qui le patron?”, pour avoir des choix agricoles et alimentaires partagés. D’ailleurs, nous débutons ce type de projet avec un collectif de six agriculteurs, quelques acteurs de l’agroalimentaire et une école, à horizon 3-4 ans.


L’agriculture évolue; elle a toujours évolué et plutôt très rapidement. Mais elle ne va pas plus vite que la nature. C’est-à-dire une récolte par an. Nous avançons. Regardons ces évolutions, reconnaissons-les et mesurons les projets en cours!





Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste la plateforme Cofarming ?


Le cofarming, cela représente deux choses. C’est un néologisme pour qualifier le fait que le monde agricole peut progresser et se transformer encore plus vite, grâce à la force du digital. Les plateformes digitales permettent de mettre en relation des gens qui ne se connaissent pas, mais qui ont les mêmes intérêts. Le cofarming, c’est également une association de 31 startups pour le monde agricole. Nous collaborons, afin de “grandir ensemble”, de partager nos expériences entre structures jeunes et innovantes, de capter les projecteurs en mutualisant nos moyens et surtout en innovant dans la façon de se montrer auprès de l’écosystème agricole.


Enfin, nous cherchons à bousculer les habitudes. Les innovations digitales reposent avant tout sur des façons différentes de penser. Des ruptures plus ou moins fortes qui affrontent l’immobilisme, alors qu’elles cachent des sources de progrès.

Notre univers de startups est confronté à ce puzzle des organisations agricoles bien établies et tout notre enjeu est de montrer à cet écosystème que nous pouvons collaborer en externalisant leur innovation.


À l’adresse des jeunes générations, que leur diriez-vous si elles hésitent dans leur choix professionnel à rejoindre le monde agricole?


Go go go! Le monde agricole, tant en production, que dans les métiers connexes, a besoin de bras et de cerveaux. L’agriculture et l’alimentation sont fondamentales pour notre société. C’est une véritable source de solutions pour notre avenir. Ce monde peut paraître fermé et souffrir d’une mauvaise image. Or, c’est un monde en grande évolution. La quête de sens et de valeurs fortement exprimée par les nouvelles générations est largement compatible avec les enjeux agricoles et alimentaires.


Nous avons besoin d’hybrider les nouveaux “cerveaux” et l’écosystème traditionnel de l’agriculture. Que ce soit en qualité d’agriculteurs, de salariés, de partenaires, d’associés, les places sont nombreuses. Nous accueillons les jeunes à bras très ouverts.

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