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Les tiers-lieux sont les lieux ressources de la transformation des territoires



Interview de Stéphane Vatinel, président de Sinny&Ooko




Depuis le 15 août 2018, la Cité Fertile a ouvert ses portes à Pantin sur une ancienne friche de la SNCF de plus de 10 000m2. Comment définir ce tiers-lieu destiné à imaginer la ville de demain ? Quels types d’activité peut-on y trouver ?


La Cité Fertile accueille des activités très variées. Ainsi, plus de 80 personnes travaillent sur le site quotidiennement : brasseurs (Paname Brewing Company), restaurateurs (Chez Fernand), start-ups à impact incubées au sein de Incoplex93, via Act for Impact (BNP Paribas), coopérative d’accompagnement des artistes entrepreneurs (CAE Clara), une agricultrice urbaine (Ophélie Damblé), des organismes de formation (le Campus des Tiers-Lieux, La Source Foodschool). La porte est aussi ouverte aux associations, collectifs ou structures de l’EE*SS qui occupent un espace ponctuellement (la Sauge, la Coop de Pantin, la Ruche qui dit Oui, Pantin Family, le SEAT de Bobigny, la Fabrique 621…). L’ambition d’un tiers-lieu comme la Cité Fertile est de permettre à tous les projets qui oeuvrent au service d’une ville plus durable et inclusive, de partager l’espace pour travailler, rencontrer leurs publics, professionnels ou habitant•es de Pantin et du quartier des Quatre Chemins. *E pour Environnementale





La Cité Fertile n’est pas seulement un espace de convivialité au milieu de la ville ; elle est aussi un laboratoire de la ville écologique. Ce modèle de tiers-lieu se développe-t-il en France ? Sont-ils des lieux précurseurs de l’écologie urbaine de demain ?


Petite sœur de la REcyclerie (tiers-lieu dédié à l’éco-responsabilité Porte de Cignancourt), la Cité Fertile valorise toutes les pratiques innovantes en matière de développement durable. Nous avons la conviction que les tiers-lieux sont les lieux de la sensibilisation à l’écologie. D’ailleurs les collectivités Territoriales ne s’y trompent pas. Elles sollicitent de plus en plus la dynamique territoriale pour la création de Tiers-lieux pour incarner ces compétences. Pour ces raisons et l’augmentation des besoins de professionnalisation du secteur, nous avons créé le Campus des Tiers-Lieux qui développe des formations spécifiques « Intégrer une démarche éco-responsable dans son lieu » ou « Gérer efficacement les déchets en sensibilisant les usagers » ; et le pôle Conseil d’Aide à la Maîtrise d’Ouvrage qui accompagne majoritairement des collectivités et des tiers-lieux à vocation environnementale (54% des missions).


Par exemple, la Cité Fertile est entièrement équipée de toilettes sèches, permettant d’économiser jusqu’à 430 000L d’eau potable. Le mobilier est de seconde main, la réhabilitation du site a nécessité des trésors d’ingéniosité pour réemployer les matériaux du site ferroviaire ; ainsi des structures bois transformées en tables et bancs. Le tri est mis en avant dans la signalétique, les choix en matière d’alimentation responsable aussi, etc.



Les tiers-lieux sont des structures qui se veulent provisoires. Cette ancienne friche sur laquelle est installée la Cité Fertile deviendra en 2030 un écoquartier. Comment concilier dans le temps cette nouvelle aspiration à vivre la ville avec les exigences d’un aménagement immobilier classique ?


La majorité des tiers-lieux en France sont pérennes. La Cité Fertile fait partie des exceptions qui s’inscrivent dans le cadre spécifique de l’expérimentation menée par SNCF Immobilier sur une 20ne de tiers-lieux transitoires. Membre du collectif des Nouvelles Urbanités, SNCF Immobilier y développe sa vision de la ville résiliente*. Après 24 mois d’exploitation de la Cité Fertile (dont plus de 12 mois dans un contexte de crise sanitaire), nous observons que le tiers-lieu, répond à un besoin d’espaces pour se rencontrer, se réunir et faire ensemble, de la part de tous les acteurs locaux, qu’ils aient ou non été consultés en amont du projet. C’est bien le postulat du partage de l’espace, associé à la capacité à répondre rapidement aux sollicitations, à organiser et aller chercher les énergies et les talents localement pour habiter le lieu, qui distingue le tiers-lieu de tout équipement municipal ou de toute programmation classique allouant un usage à un bâtiment.



Pensez-vous que certains tiers-lieux devraient être pérennisés, afin de répondre aux besoins grandissants de reconquête écologique et sociale de nos villes ?


Absolument. C’est ce que nous défendons et transmettons au Campus des Tiers-Lieux. La pérennité du lieu permet de garantir son modèle économique. Car si l’on veut transformer nos villes et nos villages, il faut accepter des modèles économiques issus de l’Économie Environnementale Sociale et Solidaire qui ont besoin de temps pour amortir leurs investissements. La Loi ESS de 2014, en encadrant le partage de la valeur et en imposant l’utilité sociale notamment, remet la valeur d’impact au cœur des projets. En tant qu’entreprises ESUS, Sinny&Ooko porte et transmet cet engagement pour une économie plus engagée, coopérative et redistributive.





Les tiers lieux sont les nouveaux lieux d’émancipation, de lien social, d’initiatives collectives. Ils ont chacun leur modèle, leur financement, leur communauté… En mars 2021, l’Etat s’est engagé en faveur des tiers-lieux. 29 nouvelles fabriques ont été labellisées. Qu’attendez-vous aujourd’hui des services de l’Etat et du ministère de la Cohésion des territoires ?


En très peu de temps (moins de 2 ans), l’Agence Nationale de la Cohésion des Territoires a investi 45M€ dans les tiers-lieux, via le dispositif des Fabriques de Territoire. A cela vont s’ajouter les aides du plan de relance et de la transition écologique, ainsi que des aides sur le volet de la formation et de l’emploi. C’est considérable. Nous pensons que l’aide à la formation est indispensable car les tiers-lieux sont les lieux ressources de la transformation des territoires, localement. Nous pensons aussi qu’un fonds de garantie immobilier permettrait de sécuriser le foncier des tiers-lieux et d’affirmer une politique de la ville qui s’appuierait ouvertement sur les structures de l’EE*SS, les tiers-lieux et leur écosystème de résident·es et d’occupants·es (TPE, PME, associations), pour assurer des missions de service public qu’ils embrassent déjà en matière de solidarité, de culture, commerce, formation, insertion, jeunesse, sports et loisirs, démocratie, etc….





Renforcer la professionnalisation des acteurs est essentiel pour assurer la pérennité́ des tiers-lieux. A la Cité Fertile, vous formez les porteurs de projet de demain. Fédérer des écosystèmes existants, des habitants, des associations, des entreprises, des collectivités… N’est-ce pas le meilleur modèle pour aménager et dynamiser les territoires ?


Absolument. Nous défendons un modèle hybride reposant sur un partage des charges de l’activité du tiers-lieu entre ses usagers grâce à une combinaison d’activités lucratives et non lucratives. C’est l’équilibre qui permet d’assurer la pérennité du lieu tout en créant de valeur extra-financière pour les habitant·es : lien social, animation du cœur de ville, solidarité, opportunités professionnelles et culturelles… Chaque tiers-lieu est un projet unique qui nécessite un pilotage fin de ces points d’équilibre et c’est l’expertise que Sinny&Ooko développe avec le Campus des Tiers-Lieux. Car deux écueils guettent celles et ceux qui s’investissent dans la création d’un tiers-lieu : s’épuiser en courant après l’argent ou perdre de vue sa mission d’utilité sociale. Heureusement, il y a des réussites partout en France, des exemples formidables de tiers-lieux animés par des gens qui ont trouvé le moyen de faire tourner le monde un peu plus rond.


(1) Gabrielle Halpern, « Demain, tous les lieux seront des tiers-lieux », Usbek et Rica - https://usbeketrica.com/fr/article/demain-tous-les-lieux-seront-des-tiers-lieux

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