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"Sensibiliser la Population à la Gestion de l'Eau"

Entretien avec Patrice PERROT, député de la Nièvre (Renaissance)


Patrice Perrot © Assemblée Nationale - 2022

Vous êtes co-rapporteur d’un rapport d’information sur la gestion de l’eau. Pouvez-vous dresser un bilan de la gestion de l’eau en France et dans le monde ?


Tout d’abord, à l’échelle nationale, la France dispose d'un approvisionnement en eau potable sûr et fiable en dépit de disparités importantes sur le territoire national. En outre, nous avons mis en place des politiques pour gérer nos ressources en eau comme la protection des bassins versants, la régulation des prélèvements et la promotion de l'efficacité de l'utilisation de l'eau.


La France accorde une attention particulière à la préservation de l'environnement aquatique, et des réglementations strictes visent à réduire la pollution de l'eau et à préserver les écosystèmes. En revanche, les sécheresses périodiques sont un véritable défi en France. Enfin, si la tarification de l'eau en France est conçue de telle manière à ce qu’elle reflète le coût réel de la distribution et du traitement de l'eau, des préoccupations persistent concernant la tarification équitable pour tous les usagers.


À l’échelle mondiale, des progrès ont été réalisés dans l'amélioration de l'accès à l'eau potable. Néanmoins, de nombreuses régions du monde, en particulier dans les pays en développement, luttent encore pour fournir de l'eau potable propre et sûre à leurs populations. Celles-ci sont confrontées à des pénuries d'eau en raison de la surutilisation des ressources en eau, du changement climatique et de la croissance démographique. Ces pénuries ont des impacts significatifs sur l'agriculture, l'industrie, la vie quotidienne ; en somme, elles sont des freins au développement économique et à la croissance de l’espérance de vie.


Enfin, en matière de gestion de l’eau stricto sensu, celle-ci est souvent compliquée par des questions transfrontalières car de nombreuses rivières et bassins versants traversent plusieurs pays. La coopération internationale est une condition sine qua non à la résolution des conflits potentiels liés à l'eau.


Aussi, le Gouvernement a-t-il organisé de nombreuses concertations et présenté son Plan Eau en mars dernier. Quel est votre regard sur ce plan et les concertations qui l’ont précédé ?


Les concertations ont été aussi nombreuses que fructueuses. Le plan est ambitieux et il doit être mis en œuvre et élargi au plus vite notamment via mes préconisations au cœur du rapport.


Le plan comprend un "Ecowatt de l'eau" pour sensibiliser la population à la gestion de l'eau, des plans de sobriété pour différents secteurs, des investissements pour les communes vulnérables, et des mesures pour réduire les fuites d'eau dans les réseaux. Il vise également à promouvoir la réutilisation des eaux usées, à aider les nouvelles installations agricoles à s'adapter au climat, et à mettre en place une tarification progressive pour encourager la sobriété de la consommation d'eau.

Ce plan souligne l'importance des régions dans la mise en œuvre de ce plan, tout en rassurant puisque le prix de l'eau n'augmentera pas significativement pour les besoins essentiels bien qu’une tarification progressive sera appliquée pour les usages de confort. L'agriculture, qui consomme la majorité de l'eau en France, ne sera pas soumise à une réduction des prélèvements, mais devra adopter une forme de sobriété à l'hectare pour faire face au changement climatique. C’est aussi une question de souveraineté alimentaire, mise sous tension à la suite du conflit ukrainien.


Par ailleurs, vous mettez en évidence la complexité de la gouvernance de l’eau, critiquée pour son efficacité toute mesurée. Quelles sont vos recommandations en la matière ?


La connaissance des citoyens sur les questions liées à l'eau doit être améliorée pour favoriser une participation accrue de la population à la gestion de l'eau. Il est souligné que les comités de bassin doivent être composés de manière équilibrée avec des représentants élus, des usagers de l'eau, des usagers économiques de l'eau, et des usagers non économiques de l'eau. Or, les associations de protection de la nature et les usagers non économiques de l'eau sont sous-représentés parmi les usagers.



Certains experts, comme M. Pierre-Louis Mayeux, proposent la création d'un collège de citoyens et de la société civile, sur le modèle de l'État du Ceara au Brésil, pour renforcer la gouvernance de l'eau. D’autres suggèrent d’abord de rééquilibrer la composition des comités de bassin et des commissions locales de l'eau en accordant plus de places aux usagers domestiques et aux associations environnementales, notamment en raison de leur contribution financière significative à la politique de l'eau.


La gouvernance à l'échelle du sous-bassin versant est préconisée pour améliorer la gestion de l'eau. Aussi, le développement des établissements publics territoriaux de bassin (EPTB) et des établissements publics d'aménagement et de gestion des eaux (EPAGE) doit être soutenu pour organiser efficacement les politiques de l'eau au niveau local. De plus, la nomination de sous-préfets coordinateurs de bassin pourrait être généralisée pour renforcer cette nouvelle gouvernance.


Pour améliorer la planification de la gestion de l'eau, il convient également de prendre conscience de l'importance des Schémas d'Aménagement et de Gestion des Eaux (SAGE) et des Plans de Gestion de la ressource en eau (PTGE). En effet, il m’apparait opportun de déployer des SAGE sur l'ensemble du territoire et de simplifier les procédures de révision. De plus, je crois nécessaire d’associer systématiquement les Commissions Locales de l'Eau (CLE) à l'élaboration des documents d'urbanisme pour assurer la cohérence des politiques publiques en la matière.

En ce qui concerne le financement des politiques de l'eau, les ressources des agences de l'eau sont limitées, malgré leur rôle crucial dans la gestion de l'eau. Nous devons réaffirmer les principes de "l'eau paie l'eau", "pollueur payeur" et "solidarité amont-aval". Si des inquiétudes sont soulevées quant au plafond mordant imposé aux agences de l'eau, à la réduction des dépenses et aux effectifs réduits, des mesures sont proposées pour augmenter les ressources des agences de l'eau, notamment la suppression du plafond mordant et la mise en œuvre des financements annoncés dans le cadre du plan Eau. Une réflexion plus approfondie est absolument clef pour réévaluer les mécanismes de redevances en fonction du principe du "pollueur payeur".


Sous l’effet du dérèglement climatique, la raréfaction de l’eau se conjugue à la dégradation de sa qualité. La difficulté essentielle de la gestion de l’eau, aujourd’hui et demain, n’est-elle pas cette somme de défis simultanés ?


Oui, sous l'effet du dérèglement climatique, la gestion de l'eau est confrontée à une série de défis simultanés, notamment la raréfaction de l'eau et la dégradation de sa qualité. Ces deux problèmes interagissent et se renforcent mutuellement, créant une complexité accrue pour la gestion de cette ressource vitale.


Pour ne prendre qu’un exemple, la croissance démographique, l’urbanisation ou encore l’expansion de l’agriculture stimulent la demande en eau alors même que l’eau se raréfie, a fortiori l’eau de bonne qualité, et que sa disponibilité est toujours plus incertaine. Il ne faut pas appréhender ces enjeux comme des enjeux à venir, ils sont d’ores et déjà bien présents. La rareté de l’eau cause des conflits locaux, nationaux et internationaux qui rendent encore plus pressants les défis de gouvernance que nous évoquions.


Face à ces défis simultanés, la gestion de l'eau doit adopter une approche intégrée qui tienne compte à la fois de la quantité et de la qualité de l'eau. Cela implique des mesures d'adaptation au changement climatique, telles que la conservation de l'eau, l'amélioration des infrastructures de traitement de l'eau, la protection des bassins versants, la promotion de pratiques agricoles durables et la promotion de la gestion intégrée des ressources en eau.


Enfin, nous le disions, il est également essentiel de promouvoir la coopération entre les acteurs locaux, régionaux et internationaux pour faire face à ces défis complexes de manière efficace et durable.



Comment penser l’adaptation des secteurs économiques directement confrontés à ces défis ?


L'adaptation des secteurs économiques directement confrontés aux défis liés à la raréfaction de l'eau et à la dégradation de sa qualité est primordiale pour assurer leur durabilité et leur résilience face à ces problèmes croissants. Les propositions sur ce sujet ne peuvent être ici que sectorielles.


Pour ne prendre que l’exemple de l’agriculture, qui est le secteur le plus consommateur d’eau, il est pressant d’encourager encore davantage l'adoption de pratiques agricoles durables qui réduisent la consommation d'eau comme l'irrigation efficace, la rotation des cultures ou la gestion optimisée des sols.


En outre, il me semble judicieux de promouvoir la diversification des cultures pour réduire la dépendance à une seule culture, sensible à la disponibilité de l'eau. Enfin, je recommande de mettre en place des systèmes de gestion de l'eau sur l'exploitation, y compris la collecte des eaux pluviales et la réutilisation des eaux usées traitées.

L'adaptation de ces secteurs économiques nécessite une approche holistique, impliquant une combinaison de mesures techniques, réglementaires, éducatives et de collaboration. J’en profite pour réaffirmer que, oui, l’action concertée entre les gouvernements, les entreprises et les organisations de la société civile pour mettre en place des solutions communes aux problèmes liés à l'eau est la bienvenue.


Enfin, il est également important de reconnaître que l'adaptation à ces défis a son lot d’opportunités économiques, notamment par le biais de l'innovation technologique et de la création de nouveaux emplois liés à la gestion de l'eau et à la protection de l'environnement.


Un mot de conclusion ?


En conclusion, la gestion de l'eau en France est confrontée à des défis majeurs liés au dérèglement climatique, à la raréfaction de la ressource et à la dégradation de sa qualité. Repenser notre utilisation de l'eau et adapter les secteurs économiques sont des impératifs pour assurer la durabilité de cette ressource vitale.


La sensibilisation et l'éducation du public sont essentielles pour faire face à ces enjeux complexes.


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