Tribune de Jean Dumonteil, secrétaire général du Global Local Forum, spécialiste des politiques publiques territoriales
Les Français adorent graver dans le marbre de la loi des grands principes, des déclarations d’intention, mais cela n’imprime toujours pas dans la réalité des décisions à prendre sur le terrain. Le principe de précaution figure pourtant en préambule de la Constitution depuis 2005, dans la Charte de l'environnement, au même titre que le principe de prévention mais cette première place dans la hiérarchie des normes juridiques semble impuissante à faire évoluer les pratiques des responsables politiques et administratifs. On ne change la société par décret, déplorait le sociologue des organisations Michel Crozier, il y a déjà 40 ans. On ne la change pas davantage hélas par la loi et la Constitution !
L’actualité abonde d’illustrations de cette impuissance publique. Voici des exemples récents à tous les niveaux :
- Alors que tous les pays ont tiré des leçons de la catastrophe nucléaire de Fukushima survenue il y a dix ans, la France qui possède le parc de centrales nucléaires proportionnellement le plus important au monde tarde à mettre en œuvre les préconisations de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Son président, Bernard Doroszczuk, expliquait dernièrement que les pouvoirs publics ont déclenché une distribution préventive de comprimés d'iode stable qui, en cas de rejets de matière radioactive, permet de limiter les risques de cancers de la thyroïde. Cette opération a été lancée il y a deux ans et seuls 25 % des personnes informées sont allées en pharmacie récupérer leurs comprimés. La décision est prise mais rien n’est fait pour qu’elle soit concrètement appliquée.
- Autre exemple, à l’échelon local : une récente enquête des associations d’élus locaux (enquête) a révélé que très peu de collectivités territoriales disposent de plans de continuité d’activité (PCA) qui visent à s’assurer, en cas de crise, du maintien des missions jugées fondamentales pour la continuité du service public. 13,2 % avaient un tel plan avant la crise sanitaire 36,8 % déclarent en avoir établi un à ce moment là et que 44,2 % des collectivités et établissements n’en ont toujours pas élaboré.
- Faut-il aussi rappeler nos lacunes dans le domaine de la prévention sanitaire ? On s’est longtemps moqué des populations asiatiques qui portaient des masques pour éviter les contagions épidémiques. La crise sanitaire nous a fait perdre l’envie de rire, mais nous comptons toujours davantage sur l’offre de soins, le nombre de places dans les services de réanimation que sur la prévention que nous pouvons mettre en œuvre.
Malgré des lois de plus en plus bavardes et normatives, la culture de la prévention progresse trop lentement en France. Dans les discours officiels, on parle beaucoup de résilience, mais si l’on insistait davantage sur la prévention, on obtiendrait des résultats évidents. Des résultats souvent peu spectaculaires et pas toujours visibles puisque, par définition, la catastrophe aura été évitée. Le bruit ne fait pas de bien et le bien ne fait pas de bruit, dit-on. Comme le bien, la prévention ne fait pas de bruit. La résilience est nécessaire quand le malheur s’est déjà produit et qu’il faut réparer les dégâts. La prévention consiste à les éviter.
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