Entretien avec Olivia Lévrier, Directrice générale de l’ASEI
Entretien conduit par Gabrielle Halpern, Philosophe
L'association ASEI est née en 1950 de l'engagement d'hommes issus de la Résistance, unis par la volonté de refuser que des enfants en situation de handicap soient mis en marge de la société. Un instituteur, Jean Lagarde, un recteur, Paul Dottin, un pionnier de la Sécurité Sociale, Paul Descours, ont mis en place l'accueil d'enfants souffrant de poliomyélite, empêchés de suivre une scolarité normale. Aujourd’hui, l'ASEI a pour objet, l'accompagnement, l'éducation, l’insertion des personnes en situation de handicap et des personnes dépendantes et fragilisées ; elle gère 107 établissements et services sanitaires et médico-sociaux. Vous avez pris vos fonctions l’année dernière, quel est votre projet pour l’ASEI ?
Le projet que je porte, issu de notre projet associatif et d’échanges avec les administrateurs de l’ASEI, est pluridimensionnel et concerne nos professionnels, les personnes accompagnées mais aussi leurs familles et entourage jusqu’alors un peu à distance de notre association.
Ma feuille de route est résolument tournée vers l’écoute des personnes que nous accompagnons et par la transformation de notre offre pour répondre à leurs envies et besoins. Je suis particulièrement attentive à la qualité des soins et des accompagnements, coconstruits avec les personnes accompagnées et leur entourage, en nous appuyant sur leur expertise et leurs savoirs expérientiels. De trop nombreuses personnes sont encore en situation d’exclusion et, au-delà de vivre avec un handicap, ont en commun le besoin et l’envie légitime d’être des citoyennes et des citoyens à part entière, reconnues au sein de notre société.
Il ne s’agit plus seulement de prendre en compte l’avis des personnes, mais bien de promouvoir leur participation sociale et leur pouvoir d’agir, à travers la valorisation de leur expertise expérientielle et d’usage.
Les objectifs d’innovation sociale et sociétale font aussi partie de mes priorités. Avec les crises sanitaires et climatiques, nous devons toujours nous dépasser, nous réinventer. L’ASEI est un acteur ancré dans son territoire, en interaction constante avec l’ensemble des parties prenantes. L’ambition du Conseil d’Administration, à travers ma nomination, est de continuer de faire « rayonner » l’ASEI, tout en restant dans la lignée de notre projet associatif.
Comment la prise en charge des personnes en situation de handicap et des personnes dépendantes et fragilisées a-t-elle évolué et à quels nouveaux défis faites-vous face ?
Si vous me le permettez, il n’est plus question seulement de « prise en charge », mais bien d’accompagnement des personnes dans leurs projets de vie, en tant qu’acteur à part entière. Nous faisons face à une transformation de notre secteur pour mieux répondre aux besoins et envies de celles-ci. Dans les grandes lignes il existe des demandes fortes auxquelles nous nous devons de mieux répondre : personnalisation des solutions proposées, propositions orientées vers le domicile, travail autour des « passerelles » et des transitions.
C’est pourquoi, l’ASEI est engagée depuis de nombreuses années dans une démarche d’adaptation et d’évolution de ses accompagnements et organisations, pour proposer à chaque enfant ou adulte un accompagnement adapté à ses projets, ses capacités et ses besoins.
Notre ambition : que chaque personne puisse mettre en œuvre son projet de vie avec l’appui d’un cadre associatif permettant un accompagnement favorisant son émancipation selon ses souhaits. Les personnes accompagnées doivent pouvoir elles-mêmes choisir leur projet de vie et bénéficier des réponses d’accompagnements adaptés à leur besoin de compensation, dans le respect de leurs souhaits et de leurs attentes.
L’ensemble des dispositifs de l’ASEI répondent à un double objectif : rendre effectifs les droits des personnes et accompagner les parcours des personnes au plus près de leurs envies, de leurs besoins, de leurs attentes en veillant toujours à respecter leur pleine participation et leurs choix. Cela nécessite de penser autrement l’accompagnement des personnes et de proposer des solutions multiformes élaborées sur mesure.
Notre contribution active à ce virage sociétal passe par notre capacité à proposer des réponses graduées en fonction des besoins de chaque personne et en organisant collectivement celles-ci. Elle passe également par notre capacité permanente à innover, chercher et créer et par notre capacité d’adaptation.
Vous mettez progressivement en œuvre une véritable philosophie de l’hybridation au sein des établissements dont vous vous occupez, à la fois en les ouvrant sur l’extérieur pour favoriser les échanges entre différents types de publics et en initiant de nouvelles activités au sein de ces établissements. Quels sont les premiers résultats de ces actions ?
L’hybridation est au cœur de notre histoire et notre adaptation permanente, tant pour les personnes qui nous font confiance que pour les salariés, en témoigne ! Nos établissements sont plus que jamais ouverts. Non seulement les personnes accompagnées évoluent au cœur de la cité, mais en plus nos établissements sont des lieux de vie, accueillant d’autres publics : enfant des écoles avoisinantes, association de quartier. Ils sont des centres de vie des quartiers dans lesquels ils se situent.
Les établissements sont acteurs de l’inclusion, des lieux de socialisation et de solidarité. L’ambition de contribuer à une société plus inclusive passe à la fois par notre capacité à nous adapter, faire évoluer nos pratiques professionnelles, nos activités et nos offres de services, par une intensification des partenariats et coopérations, mais aussi par un effort d’information et de sensibilisation.
Le pouvoir de s’investir, la volonté d’agir, la capacité de faire, pour et dans l’intérêt général, sont aujourd’hui les caractéristiques de l’engagement de l’ASEI.
Cet engagement relève de la culture collective de l’association, et est également celui de chacun, dans son rôle et dans ses missions. Il se traduit par un haut niveau d’investissement dans les pratiques de l’accompagnement au quotidien, qu’il soit direct (en lien avec les personnes) ou indirect (pour les fonctions support) et par une volonté constante de bien faire et de mieux faire.
Enfin, notre culture de l’engagement est source de créativité et d’innovation : elle permet de porter un regard nouveau sur nos pratiques et organisations, de décaler notre point de vue sur la consommation des ressources, le management, la gouvernance, l’accompagnement des personnes et les relations à nos partenaires.
L’émergence de besoins sociaux étant continue, et les politiques publiques pouvant y répondre imparfaitement, l’ASEI s’attache donc de longue date à proposer des solutions innovantes. Le recours aux dispositifs expérimentaux et, à leur terme, l’évaluation participative des actions mises en œuvre procèdent de cette volonté.
Il semble de plus en plus difficile de recruter des talents et votre secteur n’y échappe pas. Vous avez donc mis en place des dispositifs innovants et pionniers de manière à attirer de futurs salariés, notamment en construisant des fiches de poste sur-mesure. Pourriez-vous nous en dire davantage ?
Effectivement en partie « sur mesure » car nous devons des missions précises, mais des adaptations sont possibles :
Dans les missions : laisser une marge à la créativité et à l’innovation, ainsi qu’aux propositions que peuvent nous faire nos futurs collaborateurs quant à leurs modalités de travail ;
Dans les conditions d’exercice : télétravail, bureaux partagés à disposition dans les établissements, télésanté, téléexpertise, exercice mono / multi-site
Nous essayons aussi d’inventer des métiers répondant à nos besoins
psycho-coordonateurs en CMPP,
assistant projet parcours de vie,
coordonnateur de parcours.
S’appuyer sur le pouvoir d’agir (l’autodétermination) des personnes sur leur environnement, suppose de la part des dispositifs, établissements et services, d’accompagner les changements et impacts sur les postures et pratiques professionnelles mais également de fédérer et coordonner les potentiels partenaires qui sont prêts à travailler avec nous en ce sens. Ce qui implique que ces nouvelles formes d’intervention ouvrent à des métiers qui peuvent laisser aux professionnels une plus grande liberté d’action, d’innovation et d’expérimentation.
La notion de parcours professionnel est pleinement d’actualité et constitue en soi un projet. Le projet social, qui nous occupe déjà beaucoup à travers un dialogue social riche et dynamique, doit prendre la mesure de la situation sociale et sociétale dans laquelle nos professionnels évoluent.
La fidélisation des talents est devenue aussi cruciale que leur recrutement. L’expérience collaborateur ne doit pas se concentrer sur quelques étapes clés, mais s’envisager de façon continue, en prêtant une attention soutenue à l’évolution des attentes des salariés tout au long de leurs parcours.
L’ASEI encourage la formation par l’expérience, en intégrant des jeunes encore en étude.
Une organisation responsable, respectueuse de la diversité de chacun et engagée en faveur d’un management inclusif est mieux à même d’anticiper les défis grandissants auxquels elle sera confrontée demain.
La mobilisation de tous permet de faire la différence : fierté d’appartenance, confiance, engagement, valeurs.
Nos enjeux et défis en ce sens :
Développer notre image d’entrepreneur responsable et durable : l'attractivité RH en ligne de mire, par la mise en perspective du sens donné au travail
Etre un entrepreneur engagé et innovant
Assurer le partage des compétences, des savoirs et des expertises
Promouvoir la Qualité de Vie et des Conditions de Travail
Anticiper et se préparer aux défis à venir
Et la conception d’un projet social en mode participatif en 2023 :
La mise en place d’un comité de pilotage QVCT, dans chaque bassin et au niveau central
La création d’un fonds d’action sociale
Le renforcement du pouvoir d’agir des salariés
La promotion de l’intelligence collaborative
Pour renforcer leur action, certains de vos établissements, - par exemple, ceux qui accueillent des travailleurs handicapés -, ont travaillé avec les habitants du territoire où ils sont implantés, afin de recueillir leurs besoins et de proposer des services adaptés. Je pense par exemple à l’ESAT du Garric, qui, après avoir mené une consultation de la population locale, a formé ses travailleurs handicapés, de manière à ce qu’ils puissent ouvrir, s’occuper d’un garage et réparer les voitures des habitants du territoire. Des partenariats sont aussi imaginés avec les agriculteurs locaux, etc. Comment cette dynamique partenariale participe-t-elle de l’ancrage territorial de ces établissements et permet-elle de démultiplier les échanges avec le reste des habitants ?
La multiplication des itinéraires et des passerelles entre un dispositif et un autre est également possible grâce aux partenariats noués avec l’ensemble des acteurs sanitaires, sociaux, médico-sociaux, de l’emploi, du logement et du droit commun (scolarisation, santé, emploi, vie sociale, etc.), sur les territoires où nous sommes présents.
Les acteurs et professionnels du secteur doivent s’adapter pour cela. Ils doivent pouvoir repenser, transformer leur organisation, leurs pratiques, s’adapter aux besoins actuels et futurs des personnes accompagnées. Ils doivent notamment pouvoir répondre aux nécessités en matière de coordination, de formation, de sensibilisation des acteurs du milieu ordinaire qui interviennent dans le parcours des personnes.
Impliquer l’ensemble de ces acteurs, qu’ils soient décideurs politiques ou simples citoyens, est l’une de nos responsabilités. Cela demande que nous soyons ouverts, à tous les niveaux, aux partenariats et aux initiatives partagées qui favoriseront l’inclusion, la continuité des parcours et la défense des droits des personnes en situation de handicap.
Enfin, parce que chaque personne doit trouver sa place dans le vivre ensemble, il est nécessaire de faire évoluer le regard de la société envers toutes celles et ceux qui présentent des différences. Par son action engagée et son ambition de contribuer à une société inclusive, l’association souhaite agir et promouvoir un regard nouveau, ouvert et bienveillant sur les personnes en situation de handicap.
En tant qu’acteur de l’économie sociale et solidaire, l’ASEI a également pour objectif d’adopter une politique responsable et citoyenne.
Notre politique associative en faveur de la Responsabilité Sociale et Environnementale (RSE) est un pilier de notre action d’aujourd’hui et de demain. Nous intégrons dorénavant cette dimension dans nombre de nos projets, réflexions, décisions et actions. Cette démarche demande à être amplifiée et déployée à tous les niveaux pour l’avenir.
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