Essai de Gabrielle Halpern, Philosophe
Tableau réalisé avec Dall-E, moteur d'intelligence artificielle
Adaptativité ! Ce terme est devenu omniprésent, au point de devenir non seulement un mot d’ordre et un état d’esprit, mais aussi une véritable valeur morale. S’adapter ; peu importe à quoi, il faut s’adapter ! Les enseignants doivent s’adapter, les chefs d’entreprise doivent s’adapter, les élus locaux et nationaux doivent s’adapter, les salariés et les agents publics doivent s’adapter, les citoyens doivent s’adapter, les parents doivent s’adapter ; nous devons tous nous adapter. En 1637, le philosophe René Descartes conseillait à son lectorat dans son Discours de la méthode de « changer ses désirs plutôt que l'ordre du monde »… Aujourd’hui, êtres humains du XXIe siècle, nous avons tellement fait nôtre cette phrase que nous n’avons plus de désir autre que celui de suivre l’ordre du monde.
Accepter de se remettre en question est une chose, accepter de faire tout et n’importe quoi en est une autre. Le philosophe et mathématicien autrichien Ludwig Wittgenstein écrivait : « Si je veux que la porte tourne, il faut que les gonds soient fixes ». Mais aujourd'hui, où sont nos gonds? Quels sont nos gonds? En existe-t-il encore ?
Chaque crise, - que ce soit la crise sanitaire ou la crise énergétique et un jour peut-être une crise de virus informatique -, remet en question nos intangibles et nous conduit à confondre l’important et le dérisoire. S'il faut sans cesse savoir s'adapter aux bouleversements du monde, n'est-il pas essentiel, pour son entreprise, pour son école, pour son association, pour son administration, pour sa ville ou son village, pour son pays, d’avoir un véritable projet de société, - un gond ?
Le déferlement des nouvelles technologies nous invite sans cesse à nous adapter, à repenser nos métiers, nos comportements, nos manières d’apprendre ou encore de communiquer. A l’heure où ChatGPT menace de bouleverser l’école, il est bon de se replonger dans le livre « Le trésor des savoirs oubliés » de Jacqueline de Romilly dans lequel elle rappelle le rôle de l’apprentissage, de l’école, de l’enseignement et de la lecture.
Aller à l’école nous rend meilleurs, pourrions-nous résumer. Étudier l’Histoire et ses personnages, mémoriser des poèmes, lire des livres ne nous permet pas seulement de « rencontrer des exemples de raisonnement », de « faire l’expérience de verdicts, d’opinions, de propositions », mais aussi de « faire connaissance de toutes les émotions possibles », de rencontrer « tous les bonheurs et tous les malheurs, toutes les causes d’indignation ou de gratitude, et toutes les aventures ».
Elle poursuit : « l’élève qui aura fait ses classes, même modestement, aura ajouté aux souvenirs des contes qui charmaient son enfance tout l’héritage de l’expérience humaine. Il aura conquis un empire avec Alexandre ou Napoléon, il aura perdu une fille avec Victor Hugo, il aura lutté seul sur les mers comme Ulysse (…) La littérature nous permet d’être, à la fois, ou successivement le meurtrier et sa victime, le roi dans des palais resplendissants et le pauvre qui meurt de faim, et de connaître aussi toutes les émotions de civilisations aujourd’hui englouties, d’être esclave (…). Elle nous permet d’être homme ou femme, d’être enfant ou bien vieillard et de toutes ces situations naissent à nouveau des voix qui nous parlent en une sorte de confidence universelle ». L’école, ses exercices, ses devoirs, ses leçons dont nous ne comprenons pas toujours l’utilité, nous rend meilleurs, en nous aidant à mieux nous exprimer, à mieux comprendre, à mieux regarder, à mieux écouter.
N'avons-nous que ChatGPT à offrir aux générations futures ?
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