Étude sur 2 décennies de construction en Île-de-France
Chronique de Catherine Sabbah, Déléguée générale de IDHEAL
Qu’est-ce qu’un bon logement ? Est-ce à chacun de s’en faire une idée ? Est-ce à la loi de le définir ? L’étude menée par IDHEAL, l’Institut des Hautes Études pour l’Action dans le Logement répond à ces trois questions. D’abord le bien-être ressenti à l’intérieur d’un appartement dépend de critères objectifs. Ensuite, il est possible de les évaluer avec autant de justesse que les données souvent retenues pour caractériser un logement : sa taille, son coût de production et son prix au m2. Enfin, puisque le législateur a imposé un jour l’eau et le gaz à tous les étages, a plus tard su définir la notion de logement décent, pourquoi ne pas aller plus loin ?
Combien de fenêtres ? L’appartement est-il assez lumineux ? La cuisine suffisamment spacieuse ? La chambre peut-elle accueillir un lit et un bureau ? Y a-t-il assez de rangements ? Un balcon ? Pour répondre à ces questions, 1700 plans de vente de logements collectifs franciliens dessinés entre 2000 et 2020 ont été collectés auprès de promoteurs, bailleurs sociaux et architectes, puis passés au crible d’un référentiel de qualité à 200 entrées. Les questionnements portent sur la taille des parcelles, le gabarit des bâtiments et leur localisation. Les plans d’étages permettent de comprendre la répartition des logements par niveau et les raisons pour lesquelles, si certains disposent de plusieurs orientations, d’autres en sont privés. Une « barre épaisse » laisse présager un couloir central qui dessert des appartements orientés d’un seul côté, là où un immeuble de moins de 13 mètres d’épaisseur favorise les logements traversants, éclairés et ventilés. Les parties communes, généreuses ou étroites, dotées de fenêtres ou aveugles, déterminent le niveau de confort au moment de rentrer chez soi. Nous avons virtuellement poussé les portes et sommes entrés dans les logements afin de mesurer la taille des pièces, leur position dans l’appartement, leur longueur et largeur, leur disposition, celle des portes et fenêtres...
Ce niveau de détail était nécessaire pour construire des indicateurs dont deux au moins sont inédits : la surface d’usage et le périmètre meublable, qui témoignent de la faculté offerte aux habitants de meubler l’espace comme bon leur semble ou de le transformer pour l’adapter à leurs modes de vie. Bien souvent, ces aménagements sont limités par la taille des chambres qui impose par exemple une position unique pour le lit. Ou bien, lorsqu'un séjour sert d’entrée et distribue plusieurs pièces, il devient un lieu de passage dans lequel la circulation prend le pas sur les autres usages. Enfin, si la cuisine ouverte sur le salon ne dispose pas d’une fenêtre, elle ne pourra jamais devenir une pièce à part entière.
L’organisation intérieure de nos logements n’a pas suivi les évolutions de nos modes de vie et de nos désirs d’espaces, de balcons et de lumière. Le logement, tel qu’il est fabriqué depuis 20 ans, est-il davantage appropriable par ses habitants ? Plus vaste et conçu pour offrir des espaces partagés plus conviviaux ? Mieux pensé pour garantir l’égalité des genres ? Notre étude tend à montrer le contraire. Les appartements se sont plutôt compactés, des pièces ont rétréci, certaines ont presque disparu. Les rangements et espaces annexes se sont aussi raréfiés.
L’étude les détaille en chiffres.
Un faisceau de causes permet d’expliquer cette dégradation, à commencer par celles fréquemment évoquées : hausse des coûts des terrains, recours retardant les chantiers, flambée des prix des matériaux, normes... Autant de critères qui font augmenter le prix du mètre carré et diminuer la taille ou la qualité de conception des appartements, compte tenu du budget limité des ménages. Certaines politiques publiques ne sont pas non plus étrangères à cette évolution. Les dispositifs fiscaux qui encouragent la production de petits appartements locatifs standardisés (T1, T2) sont par exemple en cause. De même, l’aide à la solvabilisation des ménages notamment par le prêt à taux zéro (PTZ), a encouragé la création de T3 dits « compacts », dont la taille se rapproche de celles des T2.
Faut-il abandonner la variable qualité au profit de ces données facilement mesurables, classées et bien hiérarchisées dans le bilan d’une opération immobilière ? Ce serait se condamner à accepter qu'un produit de moins en moins adapté à son usage se vende de plus en plus cher. Peut-on, au contraire, réfléchir à des moyens incitatifs ou coercitifs de faire porter plus d’attention aux aspects étudiés dans cette enquête ?
Parce que la pandémie les a révélées, les conditions d’habitation des Français redeviennent un sujet politique. Le rapport Girometti-Leclerc commandé par la ministre du Logement Emmanuelle Wargon sur le même sujet ainsi que l’Etude publiée récemment par Qualitel confirment les résultats d’Idheal. Des pistes se dégagent pour modifier les conditions de production des logements, perçues comme intangibles, alors qu’il s’agit parfois d’habitudes ancrées ou de rapports de force entre acteurs.
Les taux de défiscalisation du dispositif Pinel, (qui concerne les acquéreurs de logements neufs destinés à la location), pourraient par exemple varier en fonction de la qualité d’usage des logements. Cette mesure proposée par les différents rapports a été retenue par la ministre, mais la décision en reviendra à Bercy… Des surfaces minimales, par typologie et peut-être par pièce (par exemple l’ensemble salon cuisine, et les chambres), pourraient être imposées. L’idée fait son chemin de généraliser ou de soutenir davantage des « chartes promoteurs ». Elles ajoutent aux plans locaux d’urbanisme des prescriptions architecturales extérieures et intérieures plus précises.
Est-il normal d’acheter au même prix un mètre carré bien éclairé et avec vue que la même surface de couloir ou d’une salle de bain aveugle ? Lorsqu’un séjour distribue d’autres pièces, les traversées que cet agencement impose doivent-elles valoir le même prix que les mètres carrés meublables ? L’application de la notion de « surface d’usage », que nous avons utilisée pour évaluer l’impact des circulations, pourrait devenir une mesure partagée. L’information des acquéreurs à ce sujet pourrait également être améliorée. Les plans de vente contractuels (et non les vues publicitaires ou visuels 3D désormais trop fréquemment présentés dans les bureaux de vente) pourraient comprendre des meubles de taille standard, indiquer les zones de passage et modéliser la vue réelle depuis les fenêtres. A minima, il est nécessaire de réaffirmer l’application, à la vente sur plan, de la loi Carrez de 1996 qui définit les surfaces habitables. C’est ce qu’a fait la Cour de cassation dans son arrêt du 18 mars 2021, saisie à ce sujet par des acquéreurs déboutés en Cour d’appel.
Ces exigences et les pertes de rentabilité supposées qu’elles pourraient produire risquent de faire augmenter le prix des logements qui deviendront encore moins accessibles aux ménages… C’est en tout cas la réponse des zélateurs de la régulation par le marché qui, par ailleurs, bénéficient indirectement des aides publiques. L’étude laisse penser au contraire qu’une fois les mêmes règles de constructibilité et de qualité imposées à tous, l’incidence économique porterait plutôt sur les prix des terrains avec, à la clef, une baisse.
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