
Interview de Frédéric Quevillon, architecte, Président de Atelier Aconcept, Secrétaire général de l’ordre des architectes d’Ile de France
Comment se porte votre activité et quel regard portez-vous sur le marché ?
L’activité est assez étrange, car on voit bien qu’il y a un potentiel de projets important, mais pour en faire aboutir un, c’est très compliqué, un vrai parcours du combattant. Sans compter que tout est de plus en plus long… Donc, il faut être solide, financièrement, pour mener un projet jusqu’au bout. Aussi bien pour le maître d’ouvrage que pour le maître d’œuvre.
Disons qu’il faut être optimiste…
Un architecte peut-il encore réfléchir sur le mode de l’utopie, alors que l’on croule sous les défis climatiques et sociaux ?
C’est très compliqué, mais la période doit nous y pousser. Le problème principal est le temps. Tout va très vite, tout doit aller très vite…Et les architectes n’ont plus toujours le temps de penser l’utopie ou simplement de faire de la R&D. Les conditions du « faire la ville » ne sont pas réunis actuellement pour penser l’utopie, le process n’est plus le bon : les concours d’architecture deviennent l’exception alors qu’ils devraient être la règle. Cette pratique permet un temps de réflexion qui peut faire naître l’utopie, ou du moins un projet de qualité. En ce moment, nous voyons des consultations de tous types…et surtout de moins en moins graphiques ! L’architecte, certes, sait écrire, mais pour communiquer un projet, il sait surtout dessiner ou faire une maquette ! Je pense qu’il faudrait revenir à un process éprouvé et ne surtout pas faire la mauvaise économie d’un concours d’architecture…simplement.
Matériaux durables et locaux, projets pérennes ou démontables, co-élaboration avec les citoyens… Comment la ville peut-elle mieux s’adapter aux défis climatiques ? A un moment où l’étalement urbain est mis à l’arrêt, certains parlent de « réparer la ville ».
Il faut remettre de l’intelligence dans le process du cadre de vie. Je ne pense pas qu’il y ait une méthode pour tous, mais par contre il doit y avoir une méthode pour chacun. Protéger les terres vierges oui, mais pas n’importe comment : elles n’ont pas toutes les mêmes caractéristiques agricoles, par exemple. Avant toute intervention, il est primordial de connaître le territoire, de faire une première phase de diagnostic qui mettra en avant des qualités, des contraintes…et du coup guidera l’intervention. A ce titre, les architectes ont le savoir-faire pour réaliser ces analyses. Aujourd’hui, au prétexte de la globalisation on construit partout de la même façon… Pis encore, lors de mes récents déplacements, je vois qu’on construit beaucoup en bois à Paris, et beaucoup en béton à la montagne… Est-ce bien logique ? Je m’interroge. Nous aurions intérêt à retrouver de la logique et appliquer des solutions simples. A la sortie du COVID, on m’a demandé « qu’est-ce que le logement du futur ? », j’ai répondu « et si c’était le logement d’avant-hier » (la nuance entre hier et avant-hier est importante). Je crois beaucoup à ça…

Pensez-vous que les architectes ont un rôle clé dans la rénovation énergétique des bâtiments ?
Oui, absolument, la rénovation énergétique ne doit pas se résumer à appliquer un isolant extérieur ou faire un calcul thermique. C’est un process complet, qui nécessite une connaissance une approche globale du bâti pour laquelle l’architecte est formé. L’architecte prend en compte l’environnement, le bâti, les systèmes techniques… pour proposer la meilleure solution propre à chaque bâtiment, il fait du sur-mesure. L’intervention sur un bâtiment de 1950 ne sera pas la même sur un édifice de la fin du XXème siècle par exemple…
Les acteurs de la promotion immobilière et du BTP disent souffrir de la hausse du coût des matériaux de construction et de la mise en œuvre de nouvelles législations. L'activité des architectes est-elle également affectée ?
Oui, énormément. Le contexte tend les rapports humains, en plus de rendre les projets hypothétiques. De nombreux architectes alertent sur des projets qui s’annulent. Par exemple, une commune voit sa facture énergétique tripler, de ce fait, elle annule des projets d’équipements et publics et donc la ville n’a plus la même capacité à accueillir de nouveaux habitants. C’est une répercussion en chaîne, aussi bien dans la pratique de la promotion immobilière que pour la maîtrise d’ouvrage publique. Et lorsqu’un projet s’arrête, c’est très dur à encaisser pour une agence d’architecture ou un architecte libéral : il n’y a pas d’indemnité, donc c’est une perte sèche.
Au-delà de la construction neuve, pensez-vous que la réhabilitation des bâtiments existants soit aujourd’hui une priorité, en utilisant notamment les friches ?
Oui, la réhabilitation est un enjeu très fort. 85% du bâti de 2050 existe déjà… Il est donc primordial de le remettre à niveau, et sortir de la matrice « habituelle » : démolition-reconstruction. On a vu trop de projets ne pas tenir compte de l’existant, alors qu’il a des qualités. Le monde de l’immobilier (je ne vise personne, c’est un sport d’équipe) était rentré dans une routine de production décérébrée. Démolir-reconstruire (parfois la même surface !), la trame de 15m, etc…tous ces éléments rassurent, car connus et maîtrisés de tous. Mais il est temps de réinterroger toute notre pratique et ne pas avoir peur de sortir de nos habitudes, pour mettre en avant de nouveaux référentiels en lien avec notre temps. Les lofts new-yorkais ne sont-ils pas le meilleur exemple d’une valorisation de l’existant tout en sortant des habitudes ?
On reproche parfois aux architectes de ne pas assez réfléchir pour tous en fonction des usages. Une nouvelle construction ne doit pas être réalisée uniquement pour les nouveaux habitants. Diversité, inclusion…sont aussi des éléments à prendre en compte dans l’acte de construire. Qu’en pensez-vous ?
Chaque architecte a une pratique différente, ce qui fait la richesse de notre profession. A une certaine époque, notre profession était peut-être plus dans la forme que dans l’usage, certes… Mais je pense qu’aujourd’hui, le regard sur la profession doit changer, car la profession a changé ! Les usages sont revenus au centre de nos préoccupations. Aussi bien les usages pour les habitants, mais aussi pour les riverains, l’impact urbain. La prise en compte des différentes échelles est primordiale, l’architecte passe du macro au micro non-stop. La difficulté réside dans la gestion du temps. Comme évoqué plus haut, les délais sont très longs et bien souvent entre le début et la fin d’un projet, le contexte, la réglementation, etc.. ont énormément changé. Un projet à peine livré, peut déjà être « obsolète » (combien d’écoles ouvrent avec déjà un manque de classes par exemple ? Trop !). D’où l’importance de penser l’évolution du projet. Finalement, la qualité d’un bâtiment n’est-elle pas son aptitude à évoluer, à vivre à travers les âges ? Vivre malgré l’âge !
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