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« La production publique ne doit pas être un tabou lorsque l’accès aux soins est en jeu »




Entretien avec Laurence HARRIBEY, sénatrice de la Gironde (SER), corapporteure du rapport d’information « Pour une Europe du médicament au service des patients » déposé en octobre dernier, au nom de la commission des affaires européennes du Sénat.


Les pénuries actuelles touchent des médicaments aussi essentiels que les médicaments antalgiques (Doliprane, Efferalgan, etc.), les antibiotiques (amoxicilline) ou encore les anticancéreux. Comment définit-on un médicament critique ? Pareil médicament doit-il faire l’objet de mesures particulières ?


C’est une question importante à laquelle l’Union européenne doit désormais répondre, dans le contexte que vous décrivez. Il y a un véritable besoin d’élaboration d’une définition européenne – celle-ci pouvant tout à fait se faire sur le modèle de la définition retenue en France comprenant la criticité au double sens clinique et industriel. Ainsi, en France, pour identifier les médicaments critiques, les cliniciens élaborent d’abord une liste de médicaments qui ont un caractère irremplaçable en termes thérapeutiques. Ensuite, les autorités françaises étudient les chaînes de production de ces médicaments sans substituts, afin de s’assurer de leur absence de criticité industrielle – cette dernière pouvant résulter aussi bien d’un défaut de qualité que d’un problème de rentabilité économique pour le producteur. Seuls les médicaments qui cumulent les criticités clinique et industrielle se voient qualifiés de critiques.

La problématique essentielle est donc d’arriver à une définition européenne, celle-ci ou une autre, d’un médicament critique et à la mise en place d’un système européen d’information en matière d’approvisionnement en médicaments. Ce sont là des conditions sine qua non à la prévention des pénuries. Certes, l’Union n’est pas compétente en matière de gestion des systèmes de protection sociale et de santé ; mais elle l’est en matière de libre circulation des médicaments.


Si l’échelle européenne est aussi pertinente, ce n’est pas seulement comme lieu d’organisation mais aussi, et surtout, comme niveau de coordination. En effet, des PME du secteur me confiaient récemment produire à perte en raison du système de remboursement français. Elles m’alertaient aussi sur une réalité absurde : les médicaments qu’elles produisent sont achetés par des acteurs étrangers qui les revendent plus chers dans leurs pays. Cela montre bien qu’on ne peut pas raisonner uniquement à l’échelle nationale puisque, en raison d’une pluralité de facteurs dont des modes de remboursement différents selon les États membres, l’accès aux médicaments est insatisfaisant.


Est-ce à dire que les solutions aux pénuries que nous connaissons se trouvent uniquement à l’échelle de l’Union ?


C’est certain qu’il y a un manque de réglementation européenne qui plaide pour une politique de l’Union européenne bien plus volontariste en la matière. Il est cependant illusoire de croire que l’Union apportera seule toutes les solutions.


Si vous m’autorisez à reprendre l’exemple de l’audition des PME produisant à perte, on voit bien, au-delà du bénéfice qu’en tirent certains acteurs étrangers, que ce n’est pas soutenable. Toutefois, les médicaments en question doivent continuer d’être produits : les juges nationaux peuvent d’ailleurs contraindre ces PME à continuer de les produire, même à perte, dès lors que les entreprises se sont engagées avec succès dans la demande d’autorisation de mise d’un médicament sur le marché. Dès lors, nous demandons aux acteurs nationaux : pourquoi ne pas s’interroger sur l’éventualité d’une production publique, ou peut-être d’une production prenant la forme de partenariats public-privé, de ces médicaments qui ne profitent pas d’une rentabilité économique ? La production publique ne doit pas être un tabou lorsque l’accès aux soins est en jeu. D’ailleurs, l’exemple du projet civica qui réunit 900 hôpitaux américains pour produire certains médicaments, en toute indépendance, montre que cela peut être efficace.


Vous désignez la perte d’indépendance de l’Union européenne en matière d’approvisionnement en médicaments comme la cause principale des pénuries actuelles…


Oui, notre perte de souveraineté induit nécessairement un risque majeur de rupture d’approvisionnement. C’est évidemment le cas en situation de pandémie mais c’est aussi vrai dès lors que nous ne payons pas les médicaments au prix demandé, comme c’est le cas actuellement. Les pays producteurs les vendent aux acheteurs qui en offrent davantage que nous ou, à défaut, constituent des stocks dans l’anticipation de pandémies futures.


Nous parlions des orientations structurantes que les pouvoirs publics peuvent impulser. Cependant les entreprises pharmaceutiques n’ont-elles pas aussi une responsabilité sociétale les appelant à garantir l’accès aux soins ?


Vous prêchez une convaincue ! Seulement il faut être lucide : la responsabilité sociétale des entreprises tarde à émerger à l’échelle nationale, et encore davantage à l’échelle internationale qu’est celle de nombreuses entreprises pharmaceutiques. Pour ma part, je suis convaincue que la responsabilité sociétale des entreprises ne donnera des résultats que lorsqu’elle sera économiquement intéressante – c’est-à-dire quand le risque associé à l’image sera un véritable risque économique pour les entreprises du secteur pharmaceutique.

Afin de faire émerger un tel risque, une solution, à laquelle je travaille avec la corapporteure Pascale GRUNY (LR), est peut-être celle du renversement de la charge de la preuve. Si, dans les affaires judiciaires mettant en cause des entreprises pharmaceutiques à cause d’effets de leurs médicaments, la charge de la preuve revenait à ces dernières ; alors ce ne serait plus l’absence de lien de causalité établi entre la consommation du médicament – ou, en l’occurrence, la non-consommation du médicament ! - et l’évolution de l’état de santé du patient qui importerait mais bien l’absence de certitude de la non-causalité. Chacun connaît les conséquences d’une condamnation judiciaire sur l’image et, avec elle, la rentabilité économique d’une entreprise : peut-être les entreprises pharmaceutiques adopteront-elles alors un comportement socialement responsable.


Nous sommes à une période charnière, marquée par une multiplicité de défis structurants auxquels je souhaite continuer de contribuer.


L’accès aux médicaments dépend également de la recherche et de l’innovation. Or, la situation de la recherche médicale française est alarmante. Comment y remédier ?


Nous produisons encore des médicaments en Europe mais ce sont des médicaments génériques à faible valeur ajoutée. Pour une recherche plus ambitieuse et, ipso facto, une production plus rentable, il faut davantage de financements français comme européens. Les États-Unis sont dix fois plus performants que nous en matière de recherche médicale et cela a des conséquences très concrètes et diverses que la pandémie a mis en exergue. Or, la recherche médicale outre-Atlantique s’appuie sur des financements importants et des partenariats public-privé efficaces. Faisons donc de même à l’échelle européenne !

Par ailleurs, l’intervention directe de l’État est indispensable, puisque la recherche contre les maladies rares ne peut se comprendre dans une logique de rentabilité. C’est un aspect primordial et ça l’est d’autant plus que la recherche médicale n’est pas sectorielle : les découvertes sur l’ARN messager ouvrent de nouvelles perspectives pour tant de maladies !


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