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La première difficulté tient à la définition même de la notion d’artificialisation


Interview de Marie-Anne Renaux avocate associée au cabinet Wilhelm et associés



Pouvez-vous nous décrire le contexte de l’apparition de la notion d’artificialisation et son inscription finale dans la loi « climat et résilience » ?


Pendant des décennies, le droit de l’urbanisme et les politiques d’aménagement du territoire ont uniquement visé les notions de « sols » et d’« espaces ». La loi SRU de 2000, la loi Grenelle II de 2010 et même la loi Biodiversité de 2016 ont certes progressivement introduit des règles protectrices de la réserve foncière, mais en la considérant uniquement en tant que valeur patrimoniale. C’est seulement en 2018 que ce terme d’artificialisation est apparu dans le plan Biodiversité présenté par Nicolas Hulot, alors ministre de la transition écologique. Il a ensuite été repris dans la loi Elan de 2018 et dans la convention citoyenne organisée en 2020.


Cette évolution sémantique est essentielle, parce qu’elle marque un changement radical d’approche : les sols sont maintenant appréhendés au regard de leurs fonctionnalités, de la richesse de leur biodiversité et de leur contribution éventuelle à la lutte contre le dérèglement climatique. On est passé, pour envisager la gestion et la préservation des sols, d’une conception purement surfacique à une dimension écologique.


Comprenez-vous que le principe « zéro artificialisations nette » prévu par la Loi « climat et résilience » puisse poser de nombreuses difficultés pour les communes ?


Cet objectif ZAN lancé dans une circulaire du 29 juillet 2019 et inscrit dans la loi Climat et résilience souffre des mêmes maux que bien des politiques menées sur ce thème zéro quelque chose (zéro perte nette de biodiversité, zéro plastique jetable, zéro gaspillage alimentaire…). Le slogan est porteur et ambitieux, mais les moyens pour y parvenir ne sont pas suffisamment maîtrisés avant que les textes soient adoptés. Parmi les difficultés posées par ce principe du ZAN, qui font maintenant débat, deux d’entre elles peuvent être relevées.


La première tient à la définition même de la notion d’artificialisation : en 2021, lorsque la loi a été adoptée, personne ne savait distinguer exactement un sol artificialisé d’un sol non artificialisé et la confusion était encore faite entre sols imperméabilisés et sols artificialisés.

Il a fallu d’ailleurs attendre la publication du décret du 29 avril 2022 et de la nomenclature jointe à ce texte, pour y voir un peu plus clair. Mais, à ce jour, cette définition n’est toujours pas encore arrêtée définitivement, puisque ce décret a fait l’objet d’un recours de l’AMF devant le Conseil d’Etat et que le gouvernement a annoncé la réécriture de cette nomenclature. L’étape primordiale de l’identification et de la comptabilisation des sols artificialisés n’est donc même pas en passe d’être franchie, faute d’accord sur la définition à retenir.


La seconde difficulté tient au caractère peu réaliste du calendrier fixé pour l’atteinte, en 2030 et en 2050, des objectifs de réduction de l’artificialisation, alors que ceux-ci doivent être préalablement inscrits dans de nombreux documents de planification. Les délais que nécessitent les procédures de révision de tels documents ont été largement sous-estimées.

Dans ce contexte très flou, on comprend que les restrictions imposées aux communes pour la planification de leur développement urbain soient mal accueillies et qu’elles leur paraissent impossibles à mettre en pratique.


D’ailleurs, il est révélateur de constater que la loi Climat & Résilience a déjà été modifiée par la loi 3DS du 22 février 2022, pour allonger de 6 mois le délai de mise en compatibilité des SRADETTE et du SDRIF. C’est maintenant une proposition de loi qui vient d’être déposée à l’Assemblée nationale. Elle a pour titre « renforcer l’accompagnement des élus locaux dans la mise en œuvre de la lutte contre l’artificialisation des sols ». Ce qui montre que les difficultés exprimées par les élus sont réelles, qu’elles ont été entendues et que des réponses concrètes doivent maintenant leur être apportées.


Effectivement, au regard du calendrier des différents documents d’urbanisme induit par la loi « Climat », notamment par la révision en cascade des SRADDET, des SCoT puis des PLU, les élus craignent d’avoir consommé toute leur enveloppe en 2031. N’est-il pas urgent d’agir ?


Lors des auditions qui ont eu lieu au Sénat, le 28 février dernier, l’incohérence des échéances fixées par rapport à l’ampleur de la tâche que représente l’évolution de tous ces documents a de nouveau été évoquée. Les associations d’élus qui ont été entendues et notamment l’AMF ont largement plaidé pour une refonte des calendriers.


A cette occasion, le sénateur Cédric Vial a souligné la conséquence de cet éventuel décalage. Il a relevé que si les prescriptions contraignantes ne peuvent finalement être inscrites dans les plans et documents révisé qu’en 2028, alors que l’urbanisation se sera poursuivie jusqu’à cette date, les possibilités d’artificialisation nouvelles risquent d’être très limitées à l’horizon 2030.

Il semble toutefois que la proposition de loi déposée à l’Assemblée, qui doit être examinée le 14 mars prochain, ait vocation à apporter une réponse sur ce point. Il ressort de ses article 5 et 6, qu’en l’absence d’adaptation des documents de planification au 1er mars 2024, il appartiendra au préfet de région de fixer l’objectif de réduction de la consommation et qu’un rapport sera remis par le gouvernement en vue d’examiner notamment « la temporalité de l’adaptation des documents de planification et d’urbanisme… et d’éviter une succession trop rapide » de ces adaptions. Reste à voir si ce texte sera adopté et en quels termes.


Que pensez-vous de la proposition de l’AMF de laisser le PLU déterminer en dernière analyse, la classification de ces espaces, selon qu’ils sont ou non considérés comme artificialisés au sens de la définition précisée dans la loi Climat ?


Si on comprend que l’AMF défende la compétence des communes en matière d’urbanisme, l’échelon communal n’apparaît pas adapté, si on veut conserver l’esprit de la Loi Climat & Résilience. Cette loi entend en effet uniformiser le rythme de la consommation foncière sur le territoire national et inciter une nouvelle fois les acteurs locaux à avoir une vision supra communale, et plus précisément régionale, de l’aménagement urbain. C’est ce qu’exprime le choix d’inscrire l’objectif de lutte contre l’artificialisation dans le SRADDET et dans différents schémas régionaux.


Certes, envisager un recensement des sites artificialisés sur chaque commune, éventuellement sur la base d’études scientifiques, serait par elle-même une démarche tout à fait censée et utile. Elle permettrait d’orienter les opérateurs vers les sites à requalifier, à densifier ou à renaturer. Mais, confier aux maires la possibilité d’admettre de nouveaux projets sur des sols non artificialisés, sans encadrement supra communal, nécessiterait une réforme complète du dispositif adopté il y a moins de deux ans.


Les communes rurales contestent fortement l’inéquité qu’entraîne l’application mathématique d’une réduction de 50% de leur consommation foncière. Faute d’avoir construit par le passé, elles risquent de ne disposer que d’un potentiel de développement très limité. Est-ce que leur situation va être prise en compte ?


Le dispositif ZAN a effectivement été ressenti comme « une perte de solidarité » par beaucoup d’élus de petites communes. Le gouvernement s’emploie à restaurer la confiance, mais les propositions formulées jusqu’à présent n’ont pas fait consensus.


La proposition de loi récemment déposé retient la solution de « la garantie rurale » pour les communes qualifiées de peu denses et très peu denses, au sens de l’INSEE. Si ce texte est adopté, ces communes disposeront d’une capacité minimale de consommation d’espaces naturels, agricoles ou forestiers de 1% de leurs espaces déjà urbanisés.


Il n’est toutefois pas certain que cette mesure sera considérée comme suffisante, alors que la fédération des SCOT et l’AMF se sont montrées réservées sur son caractère purement mécanique.


Une mission dédiée au « ZAN » présidée par la sénatrice Valérie Létard a été initiée par le Parlement. Qu’en attendez-vous ?


Avant toute chose, des clarifications sur les notions d’artificialisation et de renaturation ! Il est surprenant de constater que les discussions sont actuellement concentrées sur les objectifs chiffrés à atteindre et sur les délais dans lesquels ils vont être inscrits dans des documents de planification, alors que l’on ne sait même pas si la cartographie nationale des sols artificialisés est dressée ni si elle est accessible.


L’urgence et la priorité devraient être de disposer de ces outils et de les porter à la connaissance des élus, pour qu’ils puissent aborder concrètement cet objectif ZAN. C’est un changement de mentalité et une prise de conscience de la valeur des sols que devrait encourager cette mission.





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