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La marche à pied reste dans « l’angle mort » des politiques de mobilité


Mathieu Alapetite, Directeur Général de France Silver Eco et expert-associé à la Fondation Jean Jaurès


Entretien réalisé par Gabrielle Halpern


©Anne-Cécile Esteve
©Anne-Cécile Esteve


Vous venez de publier à la Fondation Jean Jaurès, en partenariat avec la Macif, une étude sur le piéton. Pourquoi et comment en êtes-vous venu à vous intéresser à cette question ?


Je m’intéresse aux enjeux de la mobilité depuis plusieurs années et ai été amené à échanger et travailler avec un grand nombre de think-tank, d’associations et de collectifs qui réfléchissent à ces enjeux. Le nombre de publications ou études, notamment concernant l’émergence des nouveaux modes de déplacement est très important, à l’échelle française et européenne. Même si les choses évoluent, notamment depuis la crise Covid (lorsque nos déplacements étaient limités à une heure par jour, dans un périmètre d’un kilomètre) la marche à pied reste dans « l’angle mort » des politiques de mobilité.


La marche et le piéton sont absents des consciences (des autres usagers de l’espace public, des décideurs…), des formations (urbanisme, écoles d’ingénieur, école des ponts, architecture…), des statistiques (ou noyés dans une catégorie « marche / vélo ») et par conséquent des différentes politiques publiques (qui ont néanmoins, ces dernières années, permis le développement du vélo, parfois au détriment de la marche).


Mais preuve que les choses évoluent, c’est en association avec un grand acteur de la protection sociale complémentaire et de la prévention qu’a été réalisée cette étude.



On assiste de plus en plus à des conflits d’usage entre différents types de mobilités (marche à pied, voiture, trottinette, moto, vélo, etc.). Comment donner à chacun sa juste place dans l’espace public ?


Nous vivons dans un pays qui, depuis des décennies, a privilégié l’automobiliste. Lors de la crise pétrolière de 1973, pendant que la France tentait de contenir ses effets et de protéger les usagers de l’automobile, les Pays-Bas par exemple, prenaient des mesures plus radicales afin de faire changer les habitudes en faveur du vélo (dimanches sans voiture, zones 30…). S’il est probable qu’aucun « plan piéton » n’ait été lancé à cette époque, cette évolution a donné un temps d’avance à ce pays en matière de développement d’alternatives à la voiture individuelle (43 % des Néerlandais font du vélo quotidiennement, contre seulement 5 % des Français) et de partage de l’espace public. Ce processus démarre en France.


Aujourd’hui, les solutions sont connues : sanctuarisation d’espaces dédiés, baisse de la vitesse afin de se rapprocher de celle du plus fragile : le piéton… On observe que tous les projets permettant aux habitants de se réapproprier l’espace (votations, projets citoyens) permettent de donner de la visibilité aux usagers qui n’en avaient pas assez.


N’oublions pas qu’avant de donner sa juste place à chacun dans l’espace public, il faut le faire, collectivement, dans nos consciences. Cela est particulièrement vrai dans les territoires ruraux où être piéton est considéré comme ne pas avoir réussi à être cycliste, motocycliste ou idéalement, automobiliste (où la voiture est synonyme de réussite sociale).


Vous préconisez un permis de mobilité. De quoi s’agit-il et qu’est-ce que cela apportera-t-il ?


La mobilité s’apprend. Ne nécessitant pas de formation particulière (seule la conduite d’un véhicule nécessite le passage d’un permis), la mobilité au sens large, est donc source de reproduction sociale et culturelle.


Même si ce chiffre cache de grandes inégalités territoriales, les jeunes âgés de 18 à 30 ans sont de moins en moins nombreux à passer le permis de conduire (726 000 jeunes de moins de 30 ans en 2019 avaient obtenu leur permis, 766 000 en 2017). Cette tendance de fond, couplée à la multiplication des modes de déplacement, signifie que de plus en plus de personnes se déplacent sur des engins (trottinette, gyropode, vélo…) dans l’espace public sans aucun diplôme ou formation.


L’idée serait de remplacer le (ou les) permis de conduire par un « permis de mobilité ». Il s’agit de proposer un socle commun de compétences à l’ensemble des Français, afin d’apprendre à être piéton, cycliste ou encore automobiliste et donc à être mobile. Il s’agit également de permettre à chacun de se mettre dans la peau de l’autre usager, du plus au moins vulnérable et de se tourner plus facilement vers des alternatives à la voiture individuelle quand cela est possible.



Comment adapter l’espace public à la marche à pied ?


Il faut avant tout le concevoir avec des yeux de piéton, ce que nous sommes tous et ce que nous avons parfois oublié.


Dans les espaces urbains, c’est prévoir un espace suffisant pour les poussettes, caddies et par la même occasion, aux personnes en fauteuil roulant. C’est mettre en place îlots de fraîcheur, fontaines ou encore toilettes. C’est concevoir la rue, comme un lieu de vie et non plus comme un lieu de flux, permettant de se déplacer « à l’échelle du piéton », de se rencontrer, de flâner et de se soucier des autres et des plus fragiles que l’on sera amenés à croiser.


Très concrètement, dans les territoires ruraux, marcher au bord d’une départementale est dangereux. Quand la majorité des accidents (44 %) de la mortalité piétonne ont lieu entre novembre et février, principalement en raison d’une mauvaise visibilité et donc d’une perception imparfaite des piétons pour les usagers motorisés, doter ces axes d’infrastructures adaptées aux piétons (voire aux vélos en fonction de la situation) relève de l’impératif dans les territoires ruraux : voies dédiées, éclairage notamment hors des agglomérations…



Votre étude s’inscrit aussi dans un contexte démographique particulier avec le vieillissement de la population. Comment faciliter les déplacements des personnes âgées au sein de notre espace public ?


On estime en moyenne à 500 mètres le périmètre de déplacement à pied des seniors, une fois qu’ils ne disposent plus de véhicule. Cet espace, qui va avoir tendance à se réduire encore avec l’avancée en âge, est un facteur d’intégration et de maintien des liens sociaux, ou, à l’inverse, d’isolement et de « mort sociale » s’il est mal pensé.


Il s’agit tout d’abord de concevoir pour et avec les seniors, notamment à travers des marches exploratoires avec ces publics, afin de détecter les irritants et difficultés rencontrées. Cette démarche doit permettre de penser un espace public adapté, d’installer un certain nombre d’infrastructures et équipements indiqués précédemment, de positionner des bancs au bon endroit, par forcément face à une vue agréable mais dans une rue en pente où une pause est nécessaire.


Enfin, n’oublions pas une règle élémentaire : concevoir pour les plus fragiles revient à concevoir pour tous. Penser l’espace public pour ces publics permettra à la personne handicapée, à celle emmenant ses enfants à l’école ou faisant ses courses (le plus souvent des femmes) de mieux se déplacer dans l’espace public.


Un espace public pensé pour les plus fragiles doit permettre de créer ou de recréer du commun.



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