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L'idéal est le coeur battant de l'action publique

Interview de Monsieur David MARTI, Maire du Creusot et Président de la communauté urbaine Creusot-Montceau




L’AMF organise, du 20 au 23 novembre 2023, le 105e Congrès des maires et présidents d’intercommunalité de France sur le thème « Communes de France attaquées, République menacée ». Partagez-vous l’analyse de David Lisnard qui constate une forme de violence sociale traduisant une crise de la démocratie ?


Je partage pleinement ce constat comme, je crois, une grande majorité d’élus. Il y a un malaise profond dans la société, une défiance permanente et une non-identification à ce qu’est la République pour beaucoup de nos concitoyens. Je dis bien beaucoup de nos concitoyens car ce phénomène ne touche pas seulement les jeunes habitants des banlieues, mais il se retrouve aussi chez toute une population qui ne sent plus intégrée dans la vie du pays.


La République a failli. Nous avons collectivement failli. Il y a eu des manquements qui laissent des traces profondes chez les Français. Nous sommes tous des enfants de la République, mais la République n’a pas traité tous ses enfants de la même façon. Elle en a négligé certains, elle en a oublié d’autres. Elle n’a pas mesuré les difficultés de tous. Soyons sans indulgence aucune : la violence n’est jamais excusable. Cependant elle s’explique. La faillite de la République fait partie de l’explication.


L’action publique locale offre-t-elle une perception plus nette de ces difficultés ?


Nécessairement. L’action d’un élu local se fait au contact direct de la population, elle est portée par un dialogue incessant avec les administrés. On convainc mais, avant tout, on écoute. C’est comme cela qu’on perçoit le sentiment d’une population et, a fortiori, son malaise profond.


Cependant, je dois reconnaitre que Le Creusot est une ville relativement préservée de la violence sociale que nous évoquions plus haut. Il y a une raison à cela : l’identification à un projet partagé. Dès lors que les personnes parviennent à s’identifier à un projet, à en être fier et à avoir le sentiment d’y prendre part, alors le malaise, la défiance, la violence s’étiolent peu à peu. En l’occurrence, pour un territoire industriel comme celui du Creusot, il y a une identification forte de la population à l’industrie, à l’aventure industrielle. C’est un repère, chacun se sent fier de l’industrie locale. C’est vrai pour ceux qui y travaillent comme pour tous les autres. Voilà pourquoi on ne pouvait pas se résigner à la désindustrialisation du Creusot car, avant d’être une catastrophe économique, c’était la perte d’un projet partagé, d’un repère, d’une fierté, d’une aspiration plus grande que chacun d’entre nous et qui nous relie aux autres.


Depuis les massacres perpétrés par le Hamas le 7 octobre dernier et ses conséquences, on constate une recrudescence des actes antisémites dans le monde et plus particulièrement en France, comment les élus peuvent-ils s’engager contre cette forme d'obscurantisme qui va à l'encontre des valeurs républicaines ?


La première des responsabilités qui incombent aux élus est de dénoncer l’antisémitisme, de le dénoncer publiquement et à chaque fois qu’ils en ont l’occasion. C’est un devoir auquel on ne soustrait pas.


Aucun élu ne peut laisser passer des propos antisémites. Pour l’élu local que je suis, cela signifie corriger et dénoncer les propos déplacés de ses administrés. L’antisémitisme se combat partout et tout le temps.


Au-delà de la gestion budgétaire, des projets, de l’investissement des élus et agents, l’action publique doit-elle être portée par un idéal ?


Évidemment qu'il faut porter un idéal avec sa propre sensibilité, avec ses propres convictions, au-delà de la gestion des affaires courants.


Je veux dire qu’on ne choisit pas d'être maire pour assurer une gestion budgétaire. Si je me suis engagé, c’est au nom d’un idéal d’universalisme, de tolérance, d’ouverture au monde. L’action de ma mairie ne vise que la concrétisation de cet idéal sur le territoire du Creusot. Je clame aussi fort que possible l’idéal qui m’anime et je ne m’en cache pas.


C'est à dire que les affaires courantes doivent être la traduction matérielle d’un idéal et non l’inverse, n’est-ce pas ?


Tout à fait !


Prenons l’exemple des budgets : nous construisons les budgets pour notre vision du Creusot de demain. En d’autres termes, la conception du budget ne vise que la matérialisation future de l’idéal que nous portons.


L’idéal est le cœur battant de l’action publique.


Vous avez reçu les 6 et 7 Juillet derniers le congrès de Ville de France sur le thème « Quel levier pour la réindustrialisation ». C’était une évidence pour votre ville… Près de quarante ans après la fermeture de Creusot-Loire, votre ville a retrouvé un quasi-plein-emploi dans l'industrie, avec des géants comme ArcelorMittal, Alstom, Safran et Framatome. Comment expliquez-vous ce renouveau ? Comment efface-t-on quarante ans de désindustrialisation ?


La réindustrialisation du Creusot a débuté dès 1984, lorsque nous avons subi le choc de la fermeture de Creusot-Loire.


À la différence des autres territoires ayant vécu des évènements similaires, Le Creusot a immédiatement affirmé l’existence d’un avenir pour l’industrie – et un avenir pour l’industrie sur son territoire. C’est d’autant plus remarquable que la France s’était prise à rêver d’une prospérité sans industrie, d’une prospérité de services, d’une prospérité de recherche et d’innovation. Le Creusot s’est dressé car il lui était inconcevable de se résigner à voir disparaitre l’industrie qui n’est pas seulement au cœur de son identité, mais qui est aussi son patrimoine construit à la sueur du front de ses habitants.


Pour revenir à votre question, c’est donc la volonté politique qui en est le moteur principal. Ensuite, comme je le disais plus haut, cette volonté politique se traduit par la création des conditions à la matérialisation de cette volonté politique. Il s’agissait en l’occurrence d’implanter des sites universitaires pour permettre d’attirer des industries de pointe. On en récolte aujourd’hui les fruits avec une reconnaissance de notre savoir-faire industriel à l’international.

Ce congrès, qui s’est déroulé après les émeutes urbaines, a été l’occasion d’élaborer « le pacte du Creusot », un engagement à travailler sans relâche pour promouvoir la justice sociale, la solidarité et l'égalité des chances. Les conditions de vie et d'habitat des habitants de ces quartiers, comme l’éducation et la santé, doivent-elles enfin devenir des priorités pour les pouvoirs publics ?


C’est tout le sens de la vingtaine de propositions inscrites dans le pacte du Creusot. À travers elles, nous adressons au gouvernement notre vision, celle des villes moyennes, de la politique de la ville de demain. Le pacte du Creusot porte ce nom car il a été élaboré ici mais il est valable partout et pour tous.





Le Creusot se veut-il un laboratoire en la matière ?


La politique de la ville du Creusot n’a pas été pensée comme une expérimentation. Cependant, nous y avons mis une telle énergie, nous avons initié tant de mouvements que je crois pouvoir dire, sans me tromper, que Le Creusot peut désormais être regardé comme un laboratoire, avec ses échecs et ses succès.


Il y a bien longtemps que je porte le message que la politique de la ville ne peut être menée qu’à l'échelle d'une ville tout entière, et non uniquement à l'échelle des quartiers souvent délaissés. C’est ce que nous avons fait au Creusot. Si l’exemple du Creusot peut engager d’autres mairies dans une voie similaire, nous n’en serions que ravis.


La philosophe Gabrielle Halpern, que vous avez rencontrée, explique que « la nécessité de l’hybridation touche tous les champs de l’action publique, et ce, à tous les échelons territoriaux. Une politique publique hybride serait celle qui hybriderait les intérêts particuliers pour construire l’intérêt général ». Qu’en pensez-vous ?


Ma rencontre avec la philosophe Gabrielle Halpern a été une belle rencontre. Je me suis beaucoup enrichi à l’écouter et ses travaux sont désormais une source d’inspiration pour mon action publique. Je vous parlais d’universalisme, de décloisonnement, d’ouverture. Qu’est-ce que l’hybridation sinon cela ?


Désormais, lorsque mes équipes et moi-même réfléchissions sur nos projets, nous pensons hybridation. C'est par l’l’hybridation que nous parviendrons à retisser du lien dans notre société. Il faut créer des espaces de rencontre, des espaces improbables où les rencontres et les discussions sont de nouveau permises.


Au Creusot, nous allons bientôt inaugurer notre technopôle. Comment le concevons-nous ? De manière hybridée ! Cela signifie que nous nous attachons à y installer des espaces et des usages hybridés.


Nous avons trop longtemps fonctionné de manière cloisonnée. On a mis les gens dans des cases, on les a assignés à des carrières, des perspectives. Il y a urgence à arrêter cela. Le silo, c’est la stigmatisation. Pour éviter la stigmatisation, il faut que les intelligences se rencontrent. Je mesure la part d’idéal de mon discours, mais j’y crois. Cela demande du temps, beaucoup de temps ; de l’énergie, beaucoup d'énergie, mais c'est comme cela qu'on y arrivera.


Nous parlions de temps et d’idéal… Comment imaginez-vous Le Creusot dans vingt ans ?


Dans vingt ans, j’imagine Le Creusot comme une ville encore plus ouverte qu'elle ne l'est déjà, une ville où toutes les nationalités se croisent, une ville avec des espaces dédiés aux rencontres, une ville un dynamisme économique qui permet à chacun de bien vivre, une ville où personne n'est laissé sur le bord de la route, une ville décloisonnée.


Fondamentalement, je voudrais que ma ville soit universaliste. J’imagine Le Creusot comme une ville dans laquelle le monde entier passe, s’en va puis repasse sous l’effet du souvenir heureux de son premier séjour. Je consacrerai toute mon énergie à ce que Le Creusot soit ouverte sur le monde car le danger, ce n’est jamais l’étranger. Le danger, c’est le fanatisme. Le fanatisme vient de partout : il peut venir de l’étranger, mais il est déjà bien ancré chez nous.


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