Entretien avec Bruno Belin, Sénateur de la Vienne (Les Républicains) et rapporteur de la mission d’information sur les perspectives de la politique d’aménagement du territoire et de cohésion territoriale, sur le volet « suivi des recommandations de la commission de 2019 en matière de sécurité des ponts et des ouvrages d’art ».
La mission d’information déposée en juin 2022, dont vous êtes le rapporteur, fait suite au rapport d’information que MM. Patrick Chaize et Michel Dagbert déposèrent en juin 2019. Quel bilan dressez-vous de l’action publique qui suivit leurs travaux ?
À la suite de la catastrophe de Gênes, je veux dire de l’effondrement de travées du Pont Morandi le 14 août 2018, Patrick Chaize et Michel Dagbert ont décidé de réaliser un état des lieux des ouvrages d’art français afin de prévenir le risque d’une catastrophe similaire sur le territoire national. Ils font alors le constat d’une situation critique et adresse un certain nombre de recommandations.
Cependant, si une nouvelle mission d’information a été jugée nécessaire, c’est que l’action publique qui suivit le rapport ne fut que marginale. Dans un contexte de pandémie de la COVID-19 et de renouvellements des élus locaux – on compte 40% de nouveaux maires après les élections municipales de 2020 et 40% de nouveaux élus départementaux après les élections départementales de 2021 -, l’absence d’une véritable politique publique sur le sujet s’entend naturellement. En revanche, elle justifie également la mission d’information, déposée en juin dernier, pour attirer de nouveau l’attention des pouvoirs publics sur la situation alarmante des ouvrages d’art en France. Cela est d’autant plus nécessaire que la situation est méconnue par les services de l’État : on ignore, par exemple, le nombre exact de ponts en France – entre 200 000 et 250 000 - et les propriétaires de 8% d’entre eux.
Que manque-t-il pour parvenir à un état des lieux plus précis ?
Il faut d’abord bien comprendre qu’identifier le nombre exact de ponts ainsi que leurs propriétaires respectifs n’est en rien accessoire. Si un accident se produit sur un ouvrage d’art inconnu et sans propriétaire identifié, on imagine aisément les problématiques qui en découleraient.
Les ponts en milieu rural sont, par exemple, des ouvrages d’art à la source de l’imprécision quantitative susmentionnée. Imaginez une ligne de chemin de fer abandonnée traversant plusieurs communes et sur laquelle se situe un pont : il est probable que celui-ci soit connu de quelques habitants, peut-être du maire, mais pas des autorités compétentes. C’est pourquoi le Sénat recommande que chaque commune se livre au recensement de ses ouvrages d’art et qu’elle en fasse une carte d’identité sur laquelle figurerait, notamment, son propriétaire et un carnet de santé.
Quelles sont les principales variables déterminantes pour préjuger de l’état des ouvrages d’art ?
Les 35 000 communes de France ne sont évidemment pas égales devant l’entretien des ouvrages situés sur leur territoire. Il y a une inégalité de capacité de financement mais aussi de compétences. Si cela est vrai à l’échelle des communes, cela l’est aussi à l’échelle des départements.
La disparité au sein des collectivités et des départements est suffisamment importante pour que nous jugions indispensable de consolider le rôle du Cerema comme acteur central d’évaluation de l’état des ouvrages d’art et, le cas échéant, de financement des travaux d’entretien qui s’imposent. Il en résulte évidemment un besoin de financement plus important du Cerema.
Enfin, l’exposition aux effets du dérèglement climatique – notamment les variations de chaleur – est une variable exogène à l’impact important sur l’état des ponts.
Avez-vous le sentiment que le Gouvernement a pris la mesure du caractère alarmant de la situation ?
Il faut être lucide. La mission d’information a été publiée en juin dernier, à la suite des élections présidentielles et législatives, dans le contexte de la guerre en Ukraine et de l’inflation qui en résulte : le Gouvernement a eu d’autres priorités à gérer. Toutefois, si une catastrophe arrive, l’État ne pourra pas dire qu’il ne savait pas.
Cependant, afin de diminuer le risque qu’une telle catastrophe advienne, nous ne manquerons pas de remettre le sujet de la préservation des ouvrages d’art sur la table lors de l’examen du projet de loi de finances de 2023 ou bien d’une proposition de loi à l’automne. L’enjeu est bien que l’État se saisisse de ces problématiques car les collectivités locales – à qui incombe souvent la compétence – ne pourront pas le faire ou, du moins, pas toutes seules.
Vous parlez d’un « patrimoine de ponts ». Est-ce à dire que l’entretien des ponts ne se borne pas au seul enjeu sécuritaire ?
L’État a nécessairement une responsabilité patrimoniale, notamment à l’égard de ponts emblématiques comme le Pont Henri -IV à Châtellerault, érigé en 1574. Si nous allons solliciter le ministère de la Culture et les DRAC, il me semble toutefois que l’État n’a pas les moyens de sa responsabilité dans ce domaine. Les coûts d’entretien de ces ouvrages sont très élevés.
Par ailleurs, et je conclurai sur ce point, votre question illustre également la nécessité de conforter le Cerema comme acteur unique afin de centraliser toutes les demandes aujourd’hui adressées indifféremment au ministère de la Culture, au ministère de l’Intérieur, au ministère de l’Agriculture, etc. Cela augmentera l’efficacité des services de l’État, efficacité fort utile devant l’urgence de la situation.
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