Entretien avec Thomas CAZENAVE, député de Gironde (Renaissance), président de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation de l’Assemblée nationale
Par Matpate — Travail personnel, CC BY-SA 4.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=82448626
Le titre du rapport d’information de la délégation évoque une « accélération » de l’investissement des collectivités territoriales dans la transition écologique. Est-ce à dire que les montants aujourd’hui investis ne sont pas à la hauteur de l’enjeu ?
Nous avons en effet identifié que les collectivités locales étaient appelées à participer à hauteur de 12 milliards d’euros par an à l’effort national d’atténuation du changement climatique, lui-même évalué à 70 milliards d’euros par an. Cela concerne par exemple le triplement des dépenses des pistes cyclables, le doublement des dépenses dans la rénovation énergétique, l’accroissement de plus de 50% de l’investissement dans les transports publics… Les efforts actuels des collecitvités locales sont de 5,5 milliards. Il manque donc 6,5 milliards d’euros par ans d’investissement pour que les collectivités puissent remplir ce objectifs. Le coût d’entrée dans la transition écologique apparaît, dès lors, prohibitif pour les décideurs.
Quelles sont les freins à l’investissement des collectivités dans la transition écologique ?
Il y a, je crois, trois type de freins. Tout d’abord, l’accès à l’ingénierie. Les petites collectivités doivent pouvoir disposer de l’ingénierie des services de l’Etat, de l’ANCT, du Cerema ou de la Banque des territoires. On peut souligner que l’un des enjeux de la transition écologique réside, selon moi, dans la capacité de notre pays à concilier les impératifs de la différenciation territoriale avec la nécessaire diffusion des compétences et des bonnes pratiques vers des collectivités qui ne sont pas nécessairement proches les unes des autres. De toute évidence, les enjeux de transition ne sont pas les mêmes entre une commune de montagne, une zone urbaine et une commune du littoral. Deuxièmement, on a besoin de lisibilité pour engager de lourds investissements. Il faut contractualiser, sur le moyen et le long-terme, la certitude du financement. Enfin, il ne faut pas avoir peur de l’endettement.
Par ailleurs, vous avancez que le frein à l’investissement des collectivités dans la transition écologique ne réside pas tant dans les sources de financement, nombreuses, que dans leurs modalités d’accès. Comment repenser celles-ci, afin de rendre les financements existants plus accessibles ?
Oui, l’ANCT par exemple peut mobiliser ses propres ressources au travers du budget d’aide à l’ingénierie dont elle dispose (20 millions d’euros en 2022 et en 2023). Elle dispose à cette fin d’un accord-cadre à bons de commande couvrant des prestations très larges… Les financements apportés aux collectivités par la Banque des territoires représentaient un total annuel de 14 milliards d’euros, dont 2 milliards d’euros d’abondements en fonds propres et 12 milliards d’euros de prêts. La vrai question n’est donc pas la source des financements, mais l’accès à ces financements et la difficulté parfois d’accéder à ces sources.
Dans le contexte budgétaire difficile qu’est le nôtre, mais aussi devant la nécessité impérieuse d’investir dans la transition écologique, l’émergence d’indicateurs financiers autour de la « dette verte » fait débat. Si d’aucuns plaident en faveur d’une exclusion des investissements verts du mode de calcul de la dette budgétaire, d’autres mettent en avant le risque associé d’un endettement non-maîtrisé. Quelle est votre position en la matière ?
Il est aujourd’hui essentiel de pouvoir distinguer les investissements ciblés en faveur de la transition écologique des autres investissements et, ainsi, identifier la part de la dette globale des collectivités consacrée à la couverture de ces dépenses « écologiques ». Cela suppose une évolution des documents budgétaires, la mise en place de « budgets verts » adaptés aux spécificités des collectivités et une identification plus précise de la dette contractée pour atteindre leurs objectifs climatiques ; c’est l’une de nos propsositions fortes.
Je suis persuadé que les investissements réalisés par les collectivités en faveur de la transition écologique nécessiteront de diversifier les sources de financement. C’est la raison pour laquelle j’ai déposé une proposition de loi votée en mars dernier favorisant le recours à un tiers financeur. Une occasion de donner au secteur public un nouvel outil au service de la transition énergétique, de nature à apporter des solutions de financement pour des projets à haute valeur environnementale. Les collectivités territoriales, l'État et leurs établissements respectifs pourront plus facilement programmer des travaux de rénovation énergétique de leurs bâtiments, en faisant partiellement reposer leur financement sur les économies d'énergie qui résulteront de ces travaux, le coût initial étant pris en charge par un tiers financeur.
Vous plaidez en faveur de l’adoption d’une loi de programmation pluriannuelle pour le financement des collectivités locales. Cela vous apparaît-il comme une condition sine qua non à un investissement plus ambitieux des collectivités dans la transition écologique ?
Oui, bien évidemment. De tels investissements ne peuvent s’envisager que sur le long terme, ce qui implique que les collectivités puissent avoir une vision pluriannuelle de l’évolution de leurs dépenses et de leurs ressources. En ce sens, je ne peux qu’appeler de mes vœux l’adoption d’une loi de programmation pluriannuelle pour le financement des collectivités locales en faveur de la transition écologique.
Comment penser les rôles respectifs de l’État et des collectivités territoriales en matière de transition écologique ?
L’accélération de la transition écologique dans les territoires dépendra de la relation entre l’Etat et les collectivités locales. L’Etat doit aider les collectivités locales à investir et l’idée d’un tiers financement permettra d’accélerer la capacité des collectivités locales à investir dès maintenant. Et comme je l’ai déjà dit, à partir du moment où une collectivité réalise un investissement vert, il faut que les indicateurs financiers en tiennent compte ! Je plaide donc pour une dette verte et un budget vert !
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