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Interview de Patricia Guérin, Directrice de la culture de Toit et Joie 




Toit et Joie a été créée en 1957 sur le modèle coopératif afin de fournir de nouvelles possibilités d’habitation aux personnels de La Poste. Au sein du groupe La Poste, cette société est une coopérative de production de logement social. Ses missions ont-elles évoluées depuis sa création ? 


Les missions de Poste Habitat poursuivent un objectif inchangé, à savoir loger prioritairement les postiers. Cependant, Poste Habitat n’a de cesse de se réinventer pour approfondir sa vocation initiale. 


C’est ainsi que le groupe a repensé son territoire d’intervention, originellement réservé à l’Ile-de-France (Toit et Joie – 15.000 logements annuels) et désormais étendu à la région Rhône Alpes (Poste Habitat Rhône Alpes – 800 logements annuels), à la Provence (700 logements annuels) et à la Normandie (Poste Habitat Normandie – 600 logements). 


Approfondir notre vocation initiale, cela exige également de la lire au regard des évolutions majeures de notre époque. C’est pourquoi Poste Habitat structure son action autour de quatre engagements forts. Le premier d’entre eux est un engagement citoyen qui se traduit par la création de projets d’habitats innovants pour tous : étudiants, jeunes professionnels en devenir, publics en difficulté. Le deuxième, je le disais plus haut, est un engagement pour les territoires. C’est ainsi que, d’une part, nous avons élargi notre activité à de nouveaux territoires et, d’autre part, nous portons une attention toute particulière à ce que nos logements contribuent au développement économique, social, culturel et écologique des territoires sur lesquels ils s’inscrivent. Notre troisième axe d’engagement est écologique. La maîtrise de la consommation énergétique est au centre de nos préoccupations, aussi bien lorsque nous construisons de nouveaux logements que lorsque nous réhabilitons le patrimoine existant. Enfin, le dernier engagement est évidemment social. Il m’est impossible d’entrer dans le détail de ce qui est un pilier pour le groupe mais je voudrais mentionner la création d’un pôle social en 2011. Celui-ci a développé une offre d’hébergements d’urgence, noué un partenariat avec l’association Aurore pour l’hébergement de publics fragiles ou encore expérimenté Interlignes à destination des personnes souffrant d’illettrisme ou d’analphabétisme.


Nous sommes fiers d’accueillir plus de 1.500 ménages chaque année, de compter plus de 300 collaborateurs dont 200 au plus près des résidents ainsi qu’un agent de proximité pour 80 logements. Ce dernier point est au cœur de notre conviction de proximité.


Précisément, au moment de sa création, Toit et Joie faisait le pari de la proximité. Comment ce parti pris se manifeste-t-il dans l’organisation de Poste Habitat ? 

La proximité est véritablement la marque de fabrique de notre groupe. 

De façon très concrète, cela se matérialise dans la place accordée aux gardiens d’immeuble dans l’organisation de Toit et Joie – Poste Habitat. Je veux dire que la structurée du groupe repose grandement sur le rôle confié aux gardiens logés sur site, y compris dans les immeubles en copropriété. Cela s’explique par un constat simple : le gardien est le premier interlocuteur des résidents aussi bien pour des questions techniques qu’administratives.  Dès lors, le fait que la grande majorité des gardiens soit logée sur site est un énorme avantage – y compris au regard de nos engagements que je détaillais plus haut. Nos gardiens permettent de maintenir un lien constant entre les immeubles et le siège des sociétés. C’est essentiel pour résoudre et désamorcer des situations potentiellement problématiques. Du reste, nous sommes fiers d’avoir acquis une expertise particulière dans la formation, le recrutement et le management des gardiens d’immeuble qui bénéficie à tous. 

Vous avez déclaré que la création récente de la direction de la culture au sein de Toit et Joie exprimait la volonté d’aller au-delà des murs. Que signifie cette expression ? 


Une nouvelle direction dédiée à la culture a été créée à l’été 2017. C’est la première fois qu’un organisme HLM fait un tel pari, celui de faire entrer la culture au cœur de son organisation et de son action quotidienne. C’est aussi le pari de croire que la culture peut incarner une réponse à des enjeux aussi variés que ceux qui touchent aux territoires, au social ou encore à l’économie. 


L’idée de Poste Habitat est d’apporter plus qu’un toit à ses locataires, mais de l’amener vers de nouveaux horizons : imaginaire, découverte de l’autre et de cultures différentes. 



En tant que Directrice de la culture de Toit et Joie, quels objectifs assignez-vous aux projets culturels dans le cadre du développement du lien social ? 


D’abord, nos projets culturels visent à favoriser le bien vivre ensemble à travers des aventures culturelles longues. Ce temps long permet de se rencontrer et d’échanger. Il est indispensable pour créer et susciter du lien. En outre, la présence régulière de l’équipe culturelle du bailleur (et des autres équipes techniques de Poste Habitat) est un élément clef pour assurer aussi un meilleur suivi avec les habitants. Ils se sentent ainsi écoutés et considérés.


Ensuite, développer l’accès à la culture au plus près des habitants, en lien direct avec des artistes et des structures culturelles est également un objectif en lui-même. Nous voulons proposer un accès à la culture sous forme d’« expérience » et non sous forme de « consommation » (don de billets pour assister à des spectacles par exemple). À travers nos projets, l’habitant peut ainsi voir un artiste au travail, une œuvre en cours de création. C’est une expérience unique que nous proposons et qui permet de faire tomber des barrières entre un secteur artistique vu parfois comme inaccessible, et des habitants souvent logés loin des grandes structures culturelles parisiennes. En fin de compte, c’est pour une fois la culture et l’art qui se déplacent vers les habitants et non plus l’inverse (l’artiste qui attend que le public arrive dans son théâtre ou sa galerie d’art). La circulation est inversée : c’est bien l’artiste qui va au-devant de son public, et plus l’inverse. 


Par ailleurs, nos projets culturels ambitionnent de donner une autre image du bailleur et des quartiers populaires en amenant des projets innovants, fédérateurs et positifs dans les quartiers. Aussi, nous proposons des formes d’art très diverses et des styles différents. Nous évitons par exemple de développer uniquement des projets d’art urbain. Il est important de proposer des projets différents : de la musique ancienne par exemple, de l’art contemporain. Il faut casser les idées reçues. L’art urbain ne doit pas que se développer dans les quartiers populaires, et la musique ancienne que dans Paris intramuros. 


Enfin, il est pour nous primordial de faire connaitre des structures culturelles partenaires du territoire avec lesquelles nous collaborons (médiathèque, MJC, centre culturel) pour que, une fois le projet terminé, les habitants continuent à avoir une pratique artistique ou des habitudes culturelles. C’est ainsi qu’ils pourront se sentir bien dans leurs lieux de vie, leurs villes. 


Comment mobilisez-vous les habitants d’un quartier autour d’un projet culturel ? Qui choisit le projet et quelles sont les parties prenantes publiques et privées ?


Nous avons plusieurs moyens de mobiliser nos habitants. 


D’abord, les gardiens implantés sur site sont nos meilleurs ambassadeurs grâce aux liens qu’ils ont tissés avec les habitants. En outre, il est possible d’utiliser les voies d’affichage, le porte à porte ou encore les journaux locaux. Enfin, nous organisons des rencontres conviviales pour présenter les différents projets culturels aux locataires et nous nous appuyons sur les amicales de locataires pour un relai de communication supplémentaire. 


La programmation des projets incombe à la direction de la culture. Toutefois, nous collaborons aussi avec des personnes extérieures (spécialistes, gardiens et autres) pour définir la programmation. Nous lançons des appels à projets annuels et travaillons étroitement avec la DRAC, le CNL, les mairies ou encore la Fondation La Poste. Il arrive également que des institutions du milieu artistique nous recommandent des projets ou que des compagnies artistiques nous sollicitent directement. Enfin, nous accordons une place singulière aux propositions des gardiens ou de nos habitants et, encore davantage, aux artistes étant logés chez Toit et Joie – Poste Habitat. 


Nous avons auprès de nous un grand nombre de partenaires, publics et privés. Je voudrais les remercier ici. Cependant, il nous faut encore de trouver davantage de ressources financières privées, notamment pour financer notre festival Au-delà des toits. Ce festival permet en effet de mieux faire connaitre nos projets. C’est le moment phare de l’année pour nous. Afin de lui donner davantage d’ampleur (une programmation encore plus étoffée), nous cherchons des fonds. Pour augmenter la notoriété du festival, nous sommes aussi en quête d’un parrain ou d’une marraine qui pourra porter notre projet et le faire rayonner. 


Quels sont les différents dispositifs de la DRAC/ Ministère de la culture qui peuvent aider les bailleurs sociaux à mettre en place des projets culturels ? 


Il existe désormais un accord-cadre entre la DRAC IDF et l’AORIF (assemblée des bailleurs de l’IDF). 


En outre, la DRAC IDF a développé un programme intitulé « Culture et lien social ».  Ce sont les compagnies artistiques ou les associations qui déposent des dossiers dans ce programme et non les bailleurs. 


Pouvez-vous nous présenter les projets culturels que vous avez portés ? 


La direction de la culture de Poste Habitat organise tous les ans une trentaine de projets artistiques avec des compagnies professionnelles et nos habitants, en pied d’immeuble. 


Nous organisons également un festival annuel intitulé « Au-delà des toits », en juin, proposant la restitution de tous nos projets réalisés pendant plusieurs mois (de 6 mois à 2 ans) avec des artistes de toutes disciplines et nos locataires. En juin 2024, nous aurons le plaisir d’organiser la 7e édition de notre festival. Il s’agit de l’unique festival annuel en France en pied d’immeubles HLM, proposant de nombreuses actions culturelles par et pour les habitants. Ce festival multidisciplinaire (cinéma, photo, théâtre, cirque, création sonore, ou encore musique) est complètement gratuit, ouvert à toutes et tous. 


Travaillez-vous également dans le monde rural où vous êtes implantés ?


Oui, nous travaillons dans le monde rural : notamment dans l’Eure où nous portons un projet pour 2024 autour de la figure du Facteur Cheval avec l’artiste graveur Hakim Beddar qui dispose d’un atelier d’artiste chez Poste Habitat. En effet, Poste Habitat Normandie a entrepris la rénovation de plusieurs centres de tris de la poste pour créer des ateliers d’artistes. Cela permet la création de projets culturels avec des habitants de zones rurales et des artistes qui viennent s’implanter dans ces territoires. 


Pensez-vous que les bailleurs sociaux ont désormais la conviction que les projets artistiques et culturels contribuent à l’amélioration du cadre de vie, du lien social et de la valorisation du patrimoine HLM et de ses habitants ?  


Oui, je suis convaincue que les projets culturels sont amenés à se développer chez les bailleurs pour de nombreuses raisons. 


En premier lieu, il est désormais admis que les projets culturels permettent de développer du lien social entre les habitants, notamment dans le cadre de travaux comme les démolitions – reconstructions. Or, ces opérations vont se multiplier dans les années à venir pour mettre au norme environnementale le parc HLM. Les bailleurs auront ainsi intérêt à développer ce genre de projets artistiques dans ce contexte particulier de grand changement.


Aussi, dans le cadre du vieillissement de la population, notamment dans le milieu HLM, les projets culturels permettront également d’accompagner les habitants et de favoriser le lien social. Ils permettent une présence et une meilleure écoute des populations. 


Enfin, les grandes institutions culturelles comme les musées et autres (Louvre, Pompidou, Institut du Monde Arabe, théâtres, scènes nationales…) souhaitent de plus en plus travailler avec les bailleurs pour renouveler leur public, qui reste encore trop centré sur une catégorie socioculturelle restreinte. À titre d’exemple, c’est ce que le Louvre Lens a très bien su faire dans son territoire 

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