top of page

Il s’agit de nous interroger sur ce qui fait nation aujourd’hui




Interview de Driss Ettazaoui, président de l’AEF et Vice-Président de l’agglomération d’Évreux


Plus de 150 mairies ou bâtiments municipaux ont été attaqués. Comment analysez-vous le fait que les mairies et les élus aient été pris pour cible lors de ces émeutes ?


Dans cette folie destructrice et irrationnelle, l’incarnation physique et symbolique de l’Etat est une cible privilégiée. Comme les policiers, les élus locaux sont dépositaires de l’ordre et de l’autorité. A cet égard, ils sont les premiers de tranchées. En proximité avec nos concitoyens, les maires sont le plus souvent, aux yeux des habitants, responsables de tout et innocents de rien. Pour autant, et c’est le paradoxe de la proximité, ils restent le personnel politique préféré des Français. Ils sont disponibles et familiers de tous. Et c’est aussi cette proximité qu’ils paient dans un contexte de grande crispation. Au-delà même des évènements dramatiques que nous connaissons ce jour, le phénomène n’est pas nouveau. De 2021 à 2022, les violences sur les élus ont progressé de 32 % ! 1300 maires ont démissionné depuis 2020.


On est passé du en même temps à l’entre-deux dans cette crise … Quels doivent être les leçons de cette crise sur le plan de l’engagement de l’Etat dans les quartiers populaires ?


La Politique de la Ville est restée longtemps, peut-être trop longtemps absente des radars du gouvernement. Pour autant, des mesures opportunes ont été prises, notamment en milieu éducatif avec le dédoublement des classes dans les réseaux d’éducation prioritaires, ou encore la création des cités éducatives. Pour autant, tout n’est pas qu’une question de moyens. Et les évènements ont mis en exergue une crise plus grave. Celle de la détestation pour une minorité violente de notre pays. L’enjeu est donc bien plus pénétrant que celui de la Politique de la Ville. Il s’agit de nous interroger sur ce qui fait nation aujourd’hui. Qu’avons-nous de commun, indépendamment de nos trajectoires, de nos cultures et de nos histoires ? Comment fait-on France ? Pourquoi d’aucuns ne se sentent pas appartenir à la maison commune ? La crise des repères et des identités, selon Jacques Chirac est encore bien vivace. Les moyens sont nécessaires, mais il s’agit aussi et surtout de considération. Ces enfants doivent se sentir enfants de la République avant d’être des enfants des quartiers.


Est-ce que cette population des quartiers prioritaires qui se sent oubliée des institutions finit par se créer une sorte de société parallèle avec ses réseaux économiques ses codes sociaux, voire sa justice ?


Oui ! C’est ce que je décris plus haut. Ils n’ont d’autres projections que les frontières de leurs quartiers. Ils ne se sentent pas appartenir à une communauté de destin, mais à un groupe racialisé. Nourris très probablement par des discours victimaires, mais aussi par l’expérience réelle des plus grands pour qui la promesse républicaine n’a été qu’un trompe-l’œil.

Pourquoi quarante ans après la marche pour l’égalité et contre le racisme, qui dénonçait en 1983 ces « morts violentes », le pays a peu avancé sur ces questions ? Comment construire des relations équilibrées entre les populations pauvres des banlieues populaires et la police ?

Merci de dire la marche pour l’égalité et non la marche des « beurs », insultante pour celles et ceux qui ont lutté pour le droit et la reconnaissance. Les discriminations sont réelles. Elles créent un sentiment de frustration et de colère qui provoquent, chez les plus jeunes et les moins instruits, une réaction de rejet. Racialiser une personne, c’est lui dénier le droit de vivre et de sentir comme autrui. A force d’être ostracisé, en raison de la couleur de peau, de son patronyme, ou de sa religion, la défiance devient détestation qui devient repli sur soi et rejet de l’autre. J’ai moi-même subi la discrimination et le racisme. A l’emploi comme devant les boîtes de nuit… Mais moi, je suis en capacité de prendre de la hauteur et de relativiser, grâce à l’instruction et l’éducation. Il n’est pas permis à tout le monde de s’élever pour pardonner, oublier et se réconcilier.


Quant à la police, je ne la crois pas raciste. Des policiers sont racistes, c’est une certitude, mais comme dans toutes les corporations. Elle gagnerait toutefois à ressembler à sa population. Une fois le phénomène d’identification acquis, les risques de confrontation avec la population de nos quartiers est plus faible.


Il existe un dispositif pénal, mais comment mettre fin aux lenteurs judiciaires ? Doit-on comme aux Pays-Bas favoriser les courtes peines ?


Les peines doivent être proportionnelles aux infractions, délits et crimes commis. A ce rythme, et considérant le nombre d’interpellation, il va nous falloir construire de nouvelles prisons. Car nous savons qu’elles sont surpeuplées ! Réfléchir également aux peines alternatives avec l’accentuation de la citoyenneté. Mais au bout du bout, il me semble bien plus utile et moral de construire des écoles pour fermer des prisons.


Le président de la République a appelé « tous les parents à la responsabilité ». Comment rétablir l’autorité parentale alors que 30% des émeutiers ont moins de 18 ans ?


Ce sujet n’est pas nouveau. Dans nos quartiers, il y a une forte proportion de familles monoparentales, dans l’incapacité d’élever le plus correctement leurs enfants. La figure du père absent et des horaires décalés les conduisent dans l’impasse jusqu’à parfois avoir peur de leurs propres enfants. Puis, il y a aussi les laxistes qui pensent que l’éducation de leurs enfants peut être le fruit de la tribu en pied d’immeuble les soirs de semaine. Il nous faut accompagner et soutenir les premiers. Il nous faut responsabiliser les seconds.


Êtes-vous inquiets sur l’avenir de notre société qui se fragmente, se territorialise… Le vivre ensemble et le collectif sont-ils définitivement menacés ?


L’Association des élus de France a été créée, il y a trois ans, parce que nous étions inquiets. Vous imaginez bien que nous le sommes encore plus aujourd’hui… Notre pays n’a jamais été aussi divisé : des fractures économiques avec les gilets jaunes. Des fractures sanitaires avec la crise du covid. Des fractures sociales avec la réforme des retraites. Et aujourd’hui, des fractures territoriales et identitaires avec les émeutes de ces derniers jours. Nous aurons pu continuer à œuvrer pour nos villes et nos administrés respectifs et après tout, c’est la mission du peuple qui nous a été confiée. Nous avons fait le choix de contribuer à résorber, à notre échelle, les maux qui divisent nos concitoyens. La route est droite, mais la pente est forte !


bottom of page