Depuis plusieurs années, nous assistons à un phénomène d’hybridation de notre monde qui touche de nombreux domaines de notre vie… Prenez les villes : les projets de végétalisation se multiplient, les fermes urbaines, les potagers, les élevages d’animaux sur les toits des bâtiments se développent au point que la frontière entre les villes et les campagnes tend à devenir de plus en plus ténue. La case « ville » explose. Cette hybridation de la nature et de l’urbanisme se fait parallèlement à celle des produits et des services proposés par les entreprises.
Si nous étions avant dans une société industrielle et que nous sommes passés à une société de services, il devient difficile aujourd’hui de distinguer les deux et ils s’hybrident dans ce que l’on pourrait appeler une société des usages ou des relations. Ces innovations par hybridation vont bouleverser les entreprises, les métiers, les secteurs, les marchés et la notion même de concurrence. Les écoles, les universités, les laboratoires de recherche, les entreprises, les administrations publiques commencent, partout et de plus en plus, à collaborer de manière plus étroite ; ce qui accroît le nombre de doubles diplômes, brouille les fiches de poste et les métiers et chamboule les modèles organisationnels et les identités professionnelles.
La Covid-19 a accentué ces hybridations, en métamorphosant les manières de travailler à distance et en présentiel. La case « travail » doit être complètement revisitée. Les objets n’échappent pas à la règle et s’hybrident également : le téléphone, pour prendre l’exemple le plus trivial, est aussi un réveil, une radio, un scanner et un appareil-photo.
Il est paradoxalement, et tout à la fois, un espace/temps de loisir et de travail. Les territoires, eux, voient se multiplier les « tiers-lieux » : des endroits insolites qui mêlent des activités économiques de services, avec de la recherche, des startups, de l’artisanat, de l’innovation sociale ou encore des infrastructures culturelles. Par ailleurs, les entreprises prennent de plus en plus conscience de leur responsabilité sociétale ; et l’économie sociale et solidaire, une économie hybride par excellence – puisqu’il s’agit d’hybrider des logiques économiques et des logiques sociales et solidaires – pourrait bien devenir le modèle économique de demain. De même, l’art sort enfin des musées et des galeries pour aller à la rencontre du plus grand nombre dans les gares, dans les rues, dans les commerces et les hôpitaux.
Les modes de consommation et de commercialisation suivent également cette grande tendance à l’hybridation et l’on voit émerger de nouveaux types de magasin où il ne s’agit plus seulement de vendre et d’acheter, mais également de jouer, de se cultiver, de se rencontrer… Il y a une hybridation non pas seulement des canaux (distanciel/présentiel), mais aussi des usages, des secteurs, des générations, des univers et des fonctionnalités. De même, l’émergence de nouvelles formes d’habitat, comme celle du coliving, remet complètement en question l’habitat, le chez-soi, le voisinage, la colocation ou la copropriété, en hybridant diverses manières de vivre ensemble sous le même toit.
Il est donc urgent que cette hybridation du monde soit prise en compte dans l’action publique : en catégorisant les populations, les territoires, les secteurs ou encore les générations, les politiques publiques renforcent, voire créent, sans le vouloir, des silos au sein de notre société. L’hybridation sociale, économique, professionnelle, territoriale, générationnelle constitue le grand enjeu public, - donc politique aussi -, des années à venir pour détruire les fractures actuelles.
Et si les maisons de retraite étaient aussi des auberges de jeunesse, des jardins-potagers et des incubateurs de startups ? Et si les gares étaient des musées et les musées, des écoles ? Et si les hôpitaux se transformaient en salles de concert et les hôtels, en bureaux ou en salles de spectacle ? Et si les centres commerciaux se transformaient en résidences d’artiste et les librairies en salons-cathédrales ? Et si tous les lieux devenaient des tiers-lieux ?
Pour y parvenir, l’une des clefs réside dans l’action publique dont tous les champs et tous les échelons territoriaux sont concernés par la nécessité de l’hybridation.
Une politique publique hybride serait celle qui hybriderait les intérêts particuliers pour construire l’intérêt général. Concrètement, si vous pensez la banlieue indépendamment du cœur de ville ; les personnes âgées, en dehors des jeunes actifs ; les commerces, sans les lieux culturels et sportifs ; l’écologie sans l’économie ; la mobilité des uns sans la mobilité des autres, vous créez des fractures et vous ne dépassez ni les contradictions ni les logiques identitaires de chacun.
Or, aujourd’hui, l’agenda du décideur politique est enfermé dans le paradigme de la « séquence », - se déclinant en discours, en déplacement, en politique publique -, qui sont thématisés et orientés pour parler à tel ou tel segment électoral. Le corps citoyen est découpé en morceaux, qui sont ensuite rangés dans des cases, selon les âges (les personnes âgées, les jeunes, etc.), selon le secteur économique (les industriels, les artisans, les startups, etc.), selon le territoire, etc.
Il en est de même des programmes politiques des candidats aux niveaux local et national. Il est donc urgent d’en finir avec ce marketing politique, - qui se traduit par un marketing public -, créateur de fractures au sein de notre société. En catégorisant les citoyens, il pousse, il encourage un intérêt particulier. Face à la fragmentation de la société, la seule réponse possible réside dans l’hybridation.
C’est cela, l’idéal du creuset républicain. Si le territoire est pensé en silos, il ne faut pas s’étonner qu’il y ait de moins en moins de « vivre ensemble ». L’hybridation comme boussole des politiques publiques devrait être le devoir infrangible des élus dans tous les territoires.
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