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Entretien avec Julie Laernoes, députée de Loire-Atlantique (EELV).




La commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale a publié un rapport d’information, dont vous êtes co-rapporteure, sur « les suites de la Conférence sur l’avenir de l’Europe ». La Conférence sur l’avenir de l’Europe se présentait comme un effort d’association des citoyens de l’Union à la prise de décision européenne. L’exercice a-t-il été concluant ?

La Conférence sur l’avenir de l’Europe constitue un exercice inédit mené à son terme ; en ce sens, on peut dire qu’il a été concluant. Cependant, on peut, tout en saluant le travail des participants de la conférence, émettre quelques réserves, qui sont surtout des pistes d’amélioration concernant cet exercice de démocratie délibérative.


Tout d’abord, je regrette le choix très politique du Président de la République de ne pas décaler la présidence de l’Union pour éviter une juxtaposition avec la période électorale. Ce choix explique indéniablement une partie du manque de retentissement ou d’engouement envers la conférence du côté français.


En plus de cela, à part les citoyens particulièrement informés sur les questions européennes, il faut reconnaître que très peu ont entendu parler de la Conférence, que ce soit pendant qu’elle a eu lieu ou après. Nous avons regretté dans le rapport que la conférence ait suscité aussi peu de débats au-delà du cercle des participants, et que l’événement ait eu peu de résonance, en particulier dans les médias.


Comment rendre cette dynamique d’association des citoyens durable ?


Deux éléments sont cruciaux pour rendre cette dynamique d’association des citoyens durable : la mise en œuvre rapide des recommandations émises par les participants à la conférence sur l’avenir de l’Europe, et la pérennisation des dispositifs de démocratie délibérative au niveau européen. En effet, la majorité (90%) des recommandations peuvent être implémentées sans attendre la révision des traités. Il faut ainsi à tout prix qu’un signal fort soit envoyé aux citoyens européens pour témoigner du sérieux qui est porté à ces recommandations.


Deuxièmement, les dispositifs de démocratie délibérative doivent être pérennisés et faire partie intégrante de l’appareil consultatif des institutions européennes, ce à quoi nous avons appelé dans notre proposition de résolution européenne qui a été adoptée par la commission des affaires européennes de l’Assemblée Nationale le 14 juin 2023. Ainsi, nous saluons les panels citoyens qui ont déjà eu lieu au premier semestre 2023, sur les mondes virtuels, le gaspillage alimentaire, et la mobilité à des fins d’apprentissage. Pour autant, on ne peut pas faire intervenir les citoyens sur des sujets uniquement consensuels, comme la politique agricole commune par exemple. Si on veut véritablement rapprocher l'Europe des citoyens il faut qu'elle fasse sens. Si les initiatives en place constituent déjà un point de départ sérieux et essentiel pour pérenniser la dynamique de démocratie délibérative, si on les utilise uniquement pour des sujets mineurs cela n'aura pas de réelle plus-value sur le sens donné à l'Europe.


Le président de la République disait son souhait de « prendre le pouls du continent » à travers cette consultation. À la lecture de ses conclusions, quel est-il ?

Les conclusions de la Conférence sur l’avenir de l’Europe confirment que les citoyens européens veulent une Europe plus forte, dotée de plus de compétences, et qui agisse de manière unie pour apporter une réponse aux crises climatiques et sociales auxquelles nous faisons face. Les conclusions de la conférence soulignent réellement la nécessité de mener des politiques publiques européennes qui soient concrètes, directement visibles des citoyens, qui soient véritablement utiles et qui aient un impact dans leurs vies. Les citoyens interrogés veulent clairement une Europe écologique, qui œuvre de manière concrète pour mener à bien la transition écologique, et une Europe sociale, qui fait de la lutte contre la pauvreté une de ses priorités.


Il existe un certain désaveu démocratique de l’Union européenne par ses citoyens. Quelles en sont les raisons ? Comment y remédier ?


En effet, il y a eu un désamour progressif de l’Union européenne, caractérisé par l’échec du référendum sur le traité constitutionnel dans les deux pays européens où il a été mené : la France et les Pays-Bas. C’est un signal important que nous devons entendre : l’Europe pour beaucoup de nos concitoyens s’est éloignée de son objectif premier et est aujourd’hui perçue comme lointaine, technocratique et libérale.


Aujourd’hui, pour remédier à ce désaveu démocratique, il faut renforcer l’Europe, mais surtout surmonter sa doctrine libérale actuelle. Notre objectif est de redessiner le visage de cette nouvelle Union, pour qu’elle ne soit plus une simple alliance économique mais une véritable communauté politique qui agisse concrètement et visiblement pour les citoyens. Nous devons surtout absolument sortir de la logique unique de marché commun et remettre en question le libéralisme européen, si nous voulons atteindre nos objectifs de réduction de gaz à effet de serre. Nous avons besoin de résolument nous tourner vers l’avenir et de voir ce que nous pouvons faire en commun.


Vous soutenez que l’Union européenne est à un moment carrefour de son histoire. Pourquoi ? Quelle voie doit-elle emprunter ?


L’Europe se trouve à un moment carrefour pour deux raisons principales : tout d’abord, la pandémie du Covid-19 ainsi que la guerre en Ukraine ont démontré la capacité de l’Union à agir de manière coordonnée en tant de crise. La réponse européenne à ces deux crises plaide donc en faveur de plus de compétences partagées au niveau de l’UE. Deuxièmement, nous faisons face aujourd’hui à des crises climatique et sociale majeures ; et l’Europe est indéniablement le bon échelon pour répondre à ces crises, que ce soit à travers la création d’un pacte social européen, à travers l’harmonisation de normes environnementales ambitieuses, ou à travers la structuration d’une industrie européenne de la transition écologique.


L’Europe n’en est pas au premier caillou dans sa chaussure ; on peut citer l’échec du traité constitutionnel européen en 2005, ou la crise financière en 2008-09. Mais aujourd’hui, face aux crises sociales et environnementales, l’Europe a l’occasion d’émerger comme un acteur d’envergure capable d’apporter des réponses à ces crises auprès des citoyens européens et en pesant sur la scène internationale. Elle doit se saisir de cette opportunité et endosser ce rôle. Et cela correspond - comme en témoignent les conclusions de la conférence - à une demande forte des citoyens.

Enfin, votre engagement politique connaît deux thématiques principales : l’intégration européenne et la préservation de l’environnement. L’une de ces deux thématiques d’engagement est-elle la conséquence de l’autre ?

Je ne dirais pas ça comme ça ; je dirais que mes moteurs principaux sont l'injustice et le climat. Mais oui, je fais vraiment partie de la génération Erasmus et être dotée d'une double nationalité m'a effectivement donné une identité européenne. Par ailleurs, pour revenir sur la question, il est vrai que l'échelle européenne est primordiale pour tout ce qui concerne le climat, l’environnement et la biodiversité. C'est à cette échelle qu’on peut gagner des combats avec des effets décisifs, que ce soit sur l'usage des pesticides, sur les énergies fossiles ou encore sur la renaturation. Pour autant, le marché commun et le libéralisme européen ne sont structurellement pas compatibles avec la trajectoire de neutralité carbone que nous devons suivre. C'est aussi pour ça que je plaide pour plus d'Europe, mais pour une Europe reconnectée aux enjeux d'aujourd'hui. En résumé : l'Europe pour sauver le climat.

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