Entamer un dialogue entre l’homme, l’arbre et la forêt
- Brice Soccol
- 12 mai
- 3 min de lecture
Thierry Gauquelin, professeur émérite à Aix-Marseille Université et auteur de « De mémoire d’arbre », Tana Editions 2024.
Entretien réalisé par Gabrielle Halpern

1/ Ce livre a pour héros un vieux genévrier thurifère des Atlas marocains. Est-ce que vous auriez pu écrire le même livre sur un autre arbre ?
Sans doute pas pour ce premier roman car ce genévrier est un vieux complice depuis près de quarante ans et, tout naturellement, il s’est imposé pour ce livre où je voulais aussi parler du Maroc et des Atlas marocains dont ce genévrier est vraiment l’espèce emblématique. Il s’agissait aussi d’évoquer la recherche scientifique en écologie. Ayant mis en place une station expérimentale au cœur de la forêt de thurifère, j’avais toute la matière pour parler des difficultés et des joies d’une étude concrète sur le terrain de son fonctionnement et de sa dynamique. Enfin, ce genévrier est le modèle parfait pour entamer un dialogue entre l’homme, l’arbre et la forêt, tant leurs destins sont liés... Ceci dit, dans le même esprit, j’ai l’idée de m’intéresser à d’autres espèces d’arbres, tel, par exemple, le chêne liège, qui individualise des socio-écosystèmes où l'homme et l’arbre sont indissociables.
2/ Pourquoi avoir fait parler cet arbre à la première personne ?
Pour faire comprendre que l’arbre est un être vivant aux contraintes multiples et pour faire partager la difficile réalité de ces forêts de haute montagnes soumises à la dent du bétail et la hache du berger, je me suis glissé dans la peau de ce genévrier vieux de plus de 500 ans.L’idée était aussi d’instaurer et de faciliter ce dialogue entre l’homme et l’arbre, dans la mesure où cet arbre va nous relater les nombreuses rencontres qu’il a pu faire au cours de son existence avec les humains (que certains lecteurs ont d’ailleurs cru réelles alors qu’elles ne sont que réalistes !). J’ai cependant été très attentif au risque d’anthropomorphisme que cela pouvait engendrer. J’espère avoir pu montrer que si cet arbre réagit et s’adapte et s’est adapté à son environnement d’une manière aussi fascinante, cela ne relève pas d’une démarche consciente mais est plutôt le résultat d’une évolution sur des millions d’années.

3/ Adrouman, 517 ans après sa naissance, est toujours debout, bien vivant. Pourquoi cette fin si positive ?
On aurait effectivement pu s’attendre et redouter qu’Adrouman meure à la fin de ce roman ; Il aurait pu être frappé par la foudre et se consumer lentement au milieu de ses congénères. Il aurait pu être coupé et se retrouver sous forme de poutres pour soutenir les habitations des douars alentours. Mais ce roman est résolument optimiste. La leçon de vie que nous donne Adrouman, cette dendro-philosophie positive, ne pouvait pas s’éteindre avec lui. Et on espère encore qu’il sera enfin capable d’assurer une descendance à partir des graines qu’il continue à produire.
Biographie : Thierry Gauquelin est un expert renommé du groupe Forêts de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) en France et professeur émérite à Aix-Marseille Université, travaillant au sein de l’Institut méditerranéen de biodiversité et d’écologie (IMBE). Auteur de plus de 180 publications scientifiques, il est spécialiste des forêts du bassin méditerranéen, en particulier celles des Atlas marocains où l’on rencontre ces fascinants genévriers. Il a dirigé, jusqu’en 2022, la station expérimentale provençale « O3HP », étudiant l’impact du changement climatique sur la forêt méditerranéenne.
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