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« Devenir Business Angel ou (s’)investir dans les métamorphoses de son temps »

Entretien avec Jacques Meler, co-président de France Angels




Qu’est-ce qu’un Business Angel ? 


En substance, un Business Angel (BA) est une personne physique, comme vous et moi, qui investit son argent personnel dans les entreprises innovantes que sont les startups. Il s’agit souvent d’individus qui ont connu des belles réussites entrepreneuriales bien que les entrepreneurs à succès n’aient pas le monopole du titre de BA.


Par ailleurs, le propre de l’investissement financier d’un BA est de se doubler d’un accompagnement opérationnel des entrepreneurs, à titre bénévole. Selon le profil du BA, l’accompagnement porte sur les aspects commerciaux, financiers, juridiques ou encore technologiques de la startup. En revanche, le BA met presque systématiquement son réseau à disposition des startups dans lesquelles il a investi. 


Puisqu’il est investisseur, le BA espère un retour sur investissement une fois que la startup a fait ses premiers pas, à travers la vente de ses parts au capital de la société. Cependant, beaucoup de startups déposent le bilan dans les 3 à 5 ans. 


À défaut d’être un ange, un Business Angel est un être humain et non une entité abstraite comme un fonds d’investissement. Puis-je en déduire que les Business Angels se montrent particulièrement attentifs à la promesse d’impact des startups qui se présentent à eux ? 


Oui, sans aucun doute. Devenir BA, c’est toujours l’expression d’une envie de transmettre, d’aider et de prendre part à de nouvelles aventures entrepreneuriales au service d’une vision cohérente du monde. Chaque BA, comme chaque entrepreneur, a l’ambition de contribuer à un futur différent. La logique de retour sur investissement n’est d’ailleurs, d’un certain point de vue, qu’une condition qui permet de renouveler continuellement nos investissements, au service d’un plus grand nombre de startups y œuvrant. 


Du reste, cela fait 15 ans que je suis BA et que je vois combien les promesses sociales et environnementales des startups sont souvent des éléments décisifs dans l’investissement des BA. Je veux dire que les BA ont toujours été sensibles à celles-ci, sans nécessairement catégoriser une startup comme étant à impact ou non. Depuis 2 ou 3 ans, il y a un véritable engouement autour du monde de l’Impact auquel participent les fonds d’investissement. D’ailleurs, l’indice des levées de fonds de l’année dernière témoigne bien que l’impact n’est plus seulement une sensibilité mais aussi une condition d’investissement : si les startups à impact ont levé davantage en 2023 qu’en 2022, le montant global des levées de fonds a, lui, diminué. 


J’évoquais trop rapidement les fonds d’investissement, avec lesquels vous entretenez des rapports chargés d’une certaine ambiguïté. Entre concurrence et collaboration fructueuse, comment s’articulent vos relations avec ces derniers ? 


Il est vrai que nos relations avec les fonds d’investissement sont quelque peu ambivalentes.


De façon générale, les BA sont ceux qui investissent le plus tôt dans les startups. Dès qu’un entrepreneur ouvre son capital, il se tourne vers sa Love Money – celle de sa famille et de ses amis – puis les BA dans la foulée. À ce stade, les modèles économiques des startups n’ont que rarement fait leurs preuves si bien que les fonds jugent les investissements trop risqués. Dès lors, les tensions avec les fonds sont d’ordinaire situées au moment du Cash Out. Les fonds d’investissement souhaitent entrer à des conditions très favorables, ce qui a pour effet de sous-valoriser les risques pris par les BA en phase d’amorçage. C’est pourquoi France Angels, la fédération des BA, échange régulièrement avec France Invest, la fédération des fonds d’investissement, pour rappeler à ces derniers que la juste rémunération des risques est une condition sine qua non à ce que nous continuions de les encourir. Du reste, cela bénéficie à l’ensemble de l’écosystème puisque plus la base de la pyramide des startups financées est large, plus elle monte haut. Rires.


Par ailleurs, le dynamisme des levées de fonds de ces dernières années s’est traduit par une course au bon Deal Flow. Les fonds d’amorçage sont intervenus toujours plus tôt dans la vie des startups, allant jusqu’à concurrencer les BA sur certaines d’entre elles. Cependant, les conditions actuelles sont telles que cela n’est plus vraiment d’actualité.


Enfin, si nos relations sont ambiguës, c’est aussi que nous sommes régulièrement amenés à collaborer et heureux de le faire. Les fonds disposent d’une puissance financière sans commune mesure avec celle des BA. En revanche, nous avons un savoir-faire et une plus-value opérationnelle qu’ils ne possèdent pas. Allier nos forces multiplie les chances de succès des startups et, par extension, de nos investissements. Nous aurions tort de nous en priver et c’est d’ailleurs tout le parti pris des fonds d’investissement dits « opérationnels ». 


À la suite de la mission Midy, du nom de son rapporteur le député Paul MIDY (Renaissance), la loi de finances pour 2024 a rendu l’investissement dans les startups encore plus attrayant aux yeux des particuliers. Pouvez-vous revenir sur les nouveaux dispositifs créés par la loi de finances ? Pouvez-vous me dire pourquoi je devrais absolument devenir Business Angel ?


Rires. On ne devient pas BA pour des raisons fiscales. Cela pouvait être le cas lorsque l’impôt sur la fortune (ISF) était en vigueur, cela ne l’est plus maintenant. Je vous encourage à devenir BA à mesure que j’imagine votre volonté de vous impliquer dans l’économie, dans les entreprises qui participent à son dynamisme et à ses métamorphoses ou encore votre goût du risque. D’ailleurs, les aspects fiscaux ne sont qu’un pondérateur du risque : une exonération fiscale n’est une bonne affaire qu’à condition que l’investissement qu’elle permet le soit aussi ! Si une startup dans laquelle j’investie échoue, l’exonération fiscale ne sera pas suffisante pour que je m’y retrouve. 


C’est précisément cette pondération du risque que poursuivent les amendements portés par le député Paul MIDY (Renaissance). Orientés vers les jeunes entreprises d’innovation de rupture (JEIR), c’est-à-dire les startups Deep Tech, les dispositifs introduits par le député Paul MIDY visent à encourager l’investissement dans ces entreprises stratégiques pour notre économie, à travers des exonérations fiscales pour les particuliers qui investissent dans celles-ci. Cela était particulièrement nécessaire puisque ce sont des entreprises qui développent des technologies lourdes et onéreuses, avec une temporalité de retour sur investissement très longue : ces caractéristiques les rendent peu attractives aux yeux des BA alors même qu’elles sont essentielles pour le futur de notre économie. Les dispositions inscrites dans la loi de finances pour 2024 y remédient. 


En revanche, il faut bien avoir à l’esprit que l’État ne les a pas introduites dans un geste de générosité mais de lucidité. Les transitions de notre économie, à l’instar de sa décarbonation, sont d’une ampleur inédite et, aussi important l’investissement public et parapublic soit-il en France, l’État ne peut pas tout. Le financement de ce mouvement profond nécessite d’embarquer les investisseurs particuliers. Cela est d’ailleurs l’opportunité pour moi de compléter ma plaidoirie pour faire de vous un BA : devenir BA, c’est investir dans métamorphoses de son temps. N’est-ce pas réjouissant ? 


Sans aucun doute. Rires. De votre exposé découle une question assez primaire mais opportune, à savoir : n’importe qui peut-il devenir Business Angel ?


Ce qui est certain, c’est que disposer d’une grande fortune n’est pas un prérequis à une activité de BA. Le montant moyen de l’investissement d’un BA est de 10.000 euros. Il y a ensuite toute une gradation allant du BA qui investit 10.000 euros une fois tous les trois ans à celui qui multiplie les tickets de 100.000 euros dans l’année. 


En somme, je dirais qu’il est préférable d’être aisé avant de devenir BA puisque le risque de l’investissement est relativement important. Néanmoins, et a contrario d’une idée reçue, il n’y a pas besoin d’être parmi les plus grandes fortunes pour investir dans des startups. Si on prend l’exemple des réseaux de BA de la MedTech, on trouve beaucoup de médecins libéraux qui investissent des petits montants par fierté de contribuer à l’évolution de leur activité. 


Enfin, je le disais, être BA demande un certain goût du risque. En ce sens, il serait faux de dire que tout le monde peut devenir BA. 


La démocratisation de l’activité de Business Angel était l’une des promesses du crowdfunding. Comment percevez-vous ce nouveau modèle de financement participatif ? 


En toute franchise, à ses débuts, le crowdfunding a semé un peu d’émoi au sein de la communauté des BA. Certains d’entre nous redoutaient qu’il tue notre modèle économique, qu’il annihile la force de notre organisation en réseaux de BA, etc. Finalement, le crowdfunding a su trouver sa place dans l’économie et est venu compléter, sinon enrichir, notre offre. 


Cela est d’autant plus vrai que le crowdequity, c’est-à-dire l’investissement participatif dans le capital d’entreprises, n’est qu’un volet minime du crowdfunding. Les particuliers y dédient des tickets allant de 100 à 1.000 euros. En réalité, en matière de capital, les plateformes de crowdfunding viennent surtout combler nos tours de table. 


En revanche, la plus-value d’une campagne de crowdfunding se ressent véritablement pour les startups B2C (produit ou service vendu directement aux particuliers). Pour ces entreprises, une campagne de crowdfunding réussie renforce leur attractivité aux yeux des investisseurs car elle témoigne de la rencontre d’un produit ou d’un service avec le marché – rencontre jamais certaine avant qu’elle n’advienne. En outre, pour l’entrepreneur, elle est pleine de sens puisque qu’elle lui offre l’opportunité de tester sa solution auprès d’une communauté embarquée dans son projet.


Parlons désormais de France Angels. Qu’est-ce que France Angels ? Quelles sont ses activités ?  


Comme son nom l’indique, France Angels est une fédération de réseaux de BA et de BA. Nous comptons aujourd’hui une soixantaine de réseaux de BA, qui sont des associations de loi 1901 réunissant des BA selon leur situation géographique ou leur thématique d’investissement, et environ 7.000 BA particuliers. L’avantage d’être inscrit dans un réseau est de bénéficier de modules de formation, d’une charte de déontologie et d’un bon Deal Flow. 


Surtout, notre mission est de fédérer tous ces acteurs et de promouvoir leurs activités auprès du plus grand nombre, y compris des dirigeants publics. 


En outre, la fédération France Angels a la particularité de préexister aux réseaux de BA puisque ses fondateurs ont souhaité créer d’abord la fédération avant de fonder les réseaux qui en sont membres.


Comme vous le savez, un certain nombre d’entrepreneurs s’étonnent de la longueur des processus d’investissement des réseaux de Business Angels. Cela est d’autant plus surprenant que l’un des attraits des Business Angels, aux yeux des entrepreneurs, est la connaissance qu’ils ont des problématiques rencontrées par les startups, au premier rang desquelles se situe leur contrainte temporelle…


Vous avez raison. Du reste, c’est une réalité que je ne voudrais pas nier mais seulement nuancer. 


D’abord, les délais d’investissement des BA sont extrêmement variables selon les réseaux et la complexité des projets qui les sollicitent. Ensuite, le contexte économique a contribué à rendre les tours de table plus longs puisqu’il y a moins d’argent disponible que ces dernières années. Enfin, il est vrai que les réseaux de BA sont sans doute moins rapides que les fonds d’amorçage. Mais combien de fois voyons-nous des entrepreneurs venir vers nous après avoir vainement plaidé leur cause auprès des fonds ? Il me semble que les startups gagneraient souvent du temps, et je sais à quel point le temps est précieux, si elles étaient plus lucides sur leur niveau d’avancement…


Cela me permet d’ailleurs de compléter ma réponse. Si les BA sont un peu longs avant d’investir, c’est aussi qu’ils participent à la mise en place des premiers indicateurs de performance dans les startups – qui sont des prérequis à un investissement. Surtout, à la différence des fonds qui demandent des tableaux dans tous les sens, les BA prennent le temps de construire avec les entrepreneurs une poignée d’indicateurs qu’ils estiment véritablement utiles.


En d’autres termes, vous défendez que la démarche d’accompagnement des Business Angels est initiée avant même que ceux-ci n’investissent dans les startups grâce à la co-construction d’indicateurs de performance avec ces dernières…


Exactement. Cependant, les BA savent bien que la priorité d’une startup est toujours de vendre et que celle d’un entrepreneur est d’être au contact de ses clients. C’est très bien ainsi.


Depuis quand France Angels existe-t-elle ? 


France Angels a été fondée en 2001. 


L’association a ainsi plaidé la cause de l’entrepreneuriat et, a fortiori, des Business Angels devant de nombreux gouvernements. Avez-vous le sentiment que l’accueil réservé à vos plaidoiries par les gouvernants a évolué ?


Il est vrai que nous sommes désormais entendus par les décideurs publics comme jamais auparavant. Le député Paul MIDY nous a écoutés - ou peut-être devrai-je dire entendus car nous avions dressé une liste du Père Noël si bien qu’il lui était difficile de retenir toutes nos revendications. Rires. 


Plus sérieusement, je veux ici saluer Paul MIDY pour la qualité de sa mission qui s’est faite le porte-voix de l’ensemble de l’écosystème des startups. Tous les acteurs s’y trouvent rassemblés autour d’une mission commune qu’est celle de soutenir l’innovation, au service de la société.  


En outre, la mission Midy prend le parti pris d’encourager les investissements directs plutôt que les investissements indirects. Je sais que vous y étiez attaché…


Stimuler l’investissement direct, c’est faire en sorte que l’investissement serve à financer l’innovation des startups et non l’écosystème financier. C’est pourquoi il s’agit d’une avancée majeure au regard de notre mission commune qu’est celle de soutenir l’innovation. 


En somme, la problématique essentielle de l’investissement indirect est la déperdition qui s’opère de la levée de fonds conduite par les sociétés de gestion à l’investissement final dans les startups. Les sociétés de gestion prélèvent des commissions lors de leurs propres levées de fonds, des commissions d’apport aux startups et des frais de gestion aux investisseurs initiaux. Leur modèle économique s’est ainsi dissocié du rendement de leurs investissements. Pour vous dire, j’ai vu des sociétés de gestion rentrer au capital de startups à des valorisations complètement dissociées de la réalité du marché mais cela leur était indifférent puisqu’elles se rémunéraient grâce aux commissions. D’ailleurs, le ministre Bruno Le Maire hurlait déjà contre l’investissement indirect lors de son arrivée à Bercy au titre que lorsqu’une société de gestion lève 100 euros, seuls 60 euros finissent dans la trésorerie des startups financées. C’est une aberration et c’est heureux que les pouvoirs publics soient déterminés à y remédier. 


Nous parlions de construction d’un futur différent par l’entrepreneuriat si bien que je ne peux que conclure notre discussion avec une question de Peter Thiel, à savoir : quelle conviction profondément ancrée en vous les autres considèrent-ils comme insensée ?


Il y a tellement de choses insensées aujourd’hui… Rires. 


J’ai l’intime conviction que l’engagement, l’initiative, la création ; disons l’esprit d’entrepreneuriat sous toutes ses formes est ce qui nous est de plus précieux devant les défis qui se présentent à nous. J’entends beaucoup de personnalités en demander sans cesse davantage à l’État, dans l’espoir de son secours. De mon côté, j’ai toujours préféré parier sur l’énergie que j’ai descellée chez ceux qui entreprennent. 


L’activité de BA est fondamentalement un acte militant. Soutenir celles et ceux qui ont envie de se prendre en main et de participer à la création d’un futur désirable, c’est cela la vocation de BA. On ne devient pas BA pour devenir riche. On le fait au service de celles et ceux qui ont ce désir insatiable de créer, au service d’une vision de l’avenir que l’on partage. 


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